Dans son cinéma, le réalisateur Pablo Larraín a déjà redonné vie à des figures historiques, comme Pablo Neruda et Jacqueline Kennedy-Onassis. Dans Spencer, il s'intéresse au destin de Lady Diana. Loin d'être un biopic classique, le film met en scène les tensions entre la princesse et sa belle-famille pendant les fêtes de Noël de 1991.
Poignant, poétique et anxiogène, le long métrage brille par la mise en scène inspirée de son cinéaste, mais aussi par l'interprétation de Kristen Stewart. Elle signe son meilleur rôle. Alors que Spencer reçoit les louanges de l'industrie et du public, rencontre avec l'homme derrière la caméra.
AlloCiné : La princesse Diana est une figure fascinante, sujette à de nombreuses œuvres littéraires ou cinématographiques. Dans Spencer, elle n’a jamais été montrée aussi tourmentée. Que souhaitiez-vous révéler d’elle à travers ce biopic ?
Pablo Larraín : Comme tout le monde, Diana avait ses propres démons, ses propres désirs, sa propre tristesse. Ce film explore les angoisses qu’elle vivait ces jours-là. Quand le spectateur la découvre dans le film, elle est déjà brisée. Pourtant, je refuse de montrer pourquoi, de filmer l’origine de ce mal-être. Au contraire, Spencer est un film sur les conséquences. Ici, ce qui compte, c’est la finalité des choses et expliquer comment elle va s’extirper de ce milieu.
Je souhaitais aussi montrer que ce n'est pas seulement une mère qui protège ses fils, elle comprend qu’elle peut agir et apprendre d’eux. Elle peut s’appuyer sur ses garçons, même s’ils sont petits. Je parle en tant que père et je pense qu’il est possible de demander de l’aide à ses enfants. Dans le film, elle comprend qu’elle peut avoir une vie seule avec eux, loin de cette famille, de cette institution et de cette manière, elle va retrouver son identité.
Le film est une véritable expérience, comme tous vos projets précédents.
Le script signé Steven Knight est excellent, mais nous voulions aller au-delà d’une structure classique et des enjeux dramatiques traditionnels. L’important ici était de construire un ton, une atmosphère. C’est l’une des choses les plus difficiles à faire au cinéma.
En réalité, Spencer est un film qui n'a pas vraiment d'intrigue. Quelques bases sont posées dans les 15 ou 20 premières minutes, le temps de comprendre de quoi parle le film et quels sont les enjeux pour ce personnage. La véritable intrigue est plus interne et relève davantage d'une nécessité existentielle d'aller de l'avant.
Quand je pense aux films que j’aime, je pense surtout à leur ambiance, pas vraiment à ce qu’ils me racontent. Le plus gros travail pour Spencer était de créer cette énergie particulière.
Beaucoup de spectateurs et de critiques comparent Spencer à un film d’horreur. Qu'en pensez-vous ? Cela vous pose-t-il un problème ?
Au contraire, je pense que l'horreur est l'une des plus grandes formes d’art. J'utilise un autre mot, qui est la panique. Je voulais être à la lisière de cette émotion. Cette panique n’est pas permanente, elle survient à des moments précis, comme dans la scène du dîner.
Ce qui est intéressant, ce n’est pas vraiment de connaître le genre du film. Savoir si Spencer appartient au drame ou à de l’horreur importe peu. Ce qui compte, c’est de savoir comment les spectateurs le perçoivent. C’est le point de vue de chacun qui prime.
On a tous une idée préconçue de qui était Diana. Le film sera différent pour tout le monde, en fonction de la relation de chacun avec elle. C’est un exercice de cinéma incroyable, que les avis soient positifs ou négatifs. Chaque réaction devient très intéressante.
Dans Spencer, la caméra est en mouvement perpétuel. Comment avez-vous construit ce langage entre la caméra et Kristen Stewart ?
La plupart du temps, nous faisions des plans d’elle très serrés. D’ailleurs, on n'arrêtait jamais de tourner une scène tant que nous n’avions pas un seul plan d’elle très proche. Pendant le montage, cela nous permet de choisir à quel moment nous devions nous approcher d’elle.
C’est essentiel pour ce film, car c'est comme ça que nous entrons dans la perception du personnage. Vous pouvez observer ce qu’il y a autour d’elle et, en même temps, vous la regardez, elle. Cela crée un effet de double miroir. Il y a une vraie interaction avec le public.
La photographie du film est sublime et elle est signée Claire Mathon. Une Française dont le travail est reconnu et très apprécié dans la profession. Comment s’est passée votre collaboration ?
Claire Mathon est une femme très calme et discrète. Au début, nous avons partagé des idées, des photos et nous avons parlé de films. Il nous a fallu du temps pour vraiment nous comprendre. Mais une fois qu'on s'est entendus et qu'on s'est compris, c'était tout simplement fascinant.
Je n'avais jamais travaillé avec une femme cheffe opératrice et elle a changé la façon dont je vois la réalisation. Elle a une autre manière d’appréhender la texture, la couleur et la mise en scène. Elle peut créer des choses que nous ne pouvons pas décrire et c’est ce qui est le plus important au cinéma.
La trajectoire de Spencer est impressionnante. Le film reçoit de nombreux prix, tout comme l’interprétation de Kristen Stewart. Quel souvenir gardez-vous de ce tournage ?
Ce film est un objet fragile et dangereux. Chaque jour sur le tournage était une victoire car à tout moment le projet pouvait tomber à l’eau. C’est un sentiment très agréable d’échapper au désastre. À chaque fois que vous entrez sur un plateau, c’est comme si c’était le premier jour de votre vie. Il n’y a rien de garanti.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 1er décembre 2021.