C’est un film qui vient d’une petite contrée. Une terre aux paysages singuliers, froids et rocailleux. Lamb de Valdimar Jóhannsson fait briller l’Islande dans le monde entier. Porté par la Suédoise Noomi Rapace, ce drame étonnant raconte la naissance d’un agneau à l’apparence anormale. Son arrivée va faire basculer le quotidien d’un couple d’éleveurs en deuil.
Récompensé à Cannes, et dans d’autres festivals, le long métrage ne passe pas inaperçu. Devenu le plus gros succès islandais aux États-Unis, il est sélectionné pour représenter son pays à la course aux Oscars. De par sa carrière unique, cette curiosité cinématographique permet à une industrie jeune et encore méconnue de poursuivre son expansion.
À l'écran, l’île apparaît souvent dans les grosses productions, notamment américaines. Il n’est pas rare que les studios d’Hollywood viennent y poser leurs caméras pour profiter du décor volcanique. C’est notamment grâce à ces blockbusters que la région attire de plus en plus de touristes. Pourtant, une grande partie du public ignore tout de son industrie du cinéma, à commencer par son impact considérable sur l’économie du pays.
L’Islande compte moins de 400 000 habitants. Selon les estimations, 3000 personnes travaillent dans le secteur de l’audiovisuel. Le nombre des productions est donc réduit. En moyenne, le pays produit 4 films par an - contre 240 en France. C’est peu, mais cela n’empêche pas les Islandais d’aller au cinéma. Un citoyen ordinaire peut s’y rendre 4 fois par an. C’est bien plus que la moyenne européenne, même si la météo y est certainement pour quelque chose.
Un microcosme de cinéma
La sphère de l’industrie islandaise est si petite que tout le monde se connaît. Les techniciens comme les acteurs et les actrices retrouvent fréquemment les mêmes équipes. Cette microsociété se fait sentir jusque dans les films. “Il arrive que l’on connaisse certains comédiens personnellement et c’est compliqué de les oublier derrière leurs personnages, s’amuse la réalisatrice Karna Sigurðardóttir. Tu peux même reconnaître la maison d'un cousin en arrière-plan.”
Cette proximité a ses qualités, notamment l’absence de compétition. Hilmir Snær Guðnason, à l’affiche de Lamb et acteur depuis plus de 30 ans, explique que les relations entre les artistes sont saines. C’est comme une grande famille. Mais les difficultés sont les mêmes qu’ailleurs, notamment pour les actrices. “Comme partout dans le monde, c'est toujours plus facile pour les hommes, admet-il. Quand on vieillit, un peu comme moi qui ai 52 ans, on peut continuer à faire du théâtre et du cinéma. Pour les femmes, c’est une autre histoire.”
Durer dans le métier n’est pas toujours évident. Il faut parfois savoir se faire plus discret pour ne pas monopoliser les écrans et lasser le public. Hilmir Snær Guðnason reconnaît qu’il s’est tourné vers le théâtre après avoir enchaîné les rôles au cinéma. “Certains se disaient : ‘On ne peut pas l’utiliser encore et encore’”, ajoute-t-il. C'est pourquoi beaucoup de personnes du milieu pratiquent plusieurs métiers en même temps. Un réalisateur peut être à la fois scénariste, monteur, décorateur et acteur. Savoir tout faire est presque une norme.
Avec peu de films islandais dans les salles, les spectateurs se dirigent principalement vers les productions américaines. Elles représentent 96% du marché. Le plus gros succès de l’année 2021 est, sans surprise, le 25e volet des aventures de James Bond, Mourir peut attendre. Il a rassemblé, au total, plus de 67 000 entrées.
Au milieu de cette surpuissance hollywoodienne, une salle de cinéma fait figure d’exception : le Bíó Paradís - “le paradis du cinéma” en français. Il est situé à Reykjavik, la capitale, et demeure le seul établissement d’art et essai du pays. Soutenu par l’État, il appartient à une association de cinéastes et se donne pour mission d’éduquer les jeunes. Les écoliers comme les étudiants peuvent y découvrir des classiques et des films européens grâce aux 3 salles disponibles.
Devant l'entrée, une affiche de la Palme d'or Titane de Julia Ducournau est placardée sur la façade. Lorsque l’on pénètre dans l’enceinte du bâtiment, c’est un temple de la cinéphilie qui se dévoile sous nos yeux. Les posters des plus grands films du monde recouvrent les murs d’une salle de réception remplie de fauteuils. C’est un lieu culturel, mais aussi de divertissement. Tous les vendredis, une soirée à thème est organisée.
“Nous pouvons organiser des séances spéciales sur Ingmar Bergman, comme sur le cinéma BDSM, lance Hrönn Sveinsdóttir, la directrice. Sans jugement, les gens se retrouvent entre eux et partagent leur passion. S’il ne devait rester qu’un seul cinéma dans ce pays, ce serait celui-ci.” L’autre objectif du Bíó Paradís est de préserver la mémoire des films islandais. Les œuvres majeures de la région y sont souvent projetées.
En Islande, tous les projets audiovisuels sont soutenus par l’Icelandic Film Center. Créée en 2003, l’institution joue un rôle majeur dans l’industrie du pays. C’est elle qui finance les films et assure leur promotion dans le monde. Elle est entièrement subventionnée par le gouvernement et appartient au ministère de l’Education culturelle.
Avec les années, les propositions de scénarios augmentent. "Nous recevons bien plus que ce que nous ne pouvons accepter, souligne Laufey Guðjónsdóttir, à la tête de l’Icelandic Film Center depuis sa création. Nous ne soutenons que 50% des demandes." Les critères de sélection sont nombreux, mais la directrice met un point d’honneur à mettre en avant l'originalité.
Le Hollywood de Reykjavik
Pour attirer les productions étrangères sur l’île, un remboursement de 25% des frais de tournage est proposé. Une aubaine pour les gros studios, mais aussi pour les équipes islandaises. Elles sont souvent engagées pour prêter main-forte.
“Sans les locaux, je pense que certains films n’auraient pas pu se faire ici, précise Laufey Guðjónsdóttir. Pour vous guider, vous avez toujours besoin de quelqu'un qui connaît la région.” Au contact des grosses machines hollywoodiennes, les techniciens gagnent en expérience et se perfectionnent pour leurs propres productions. Il suffit d’aller au RVK Studios pour s’en rendre compte. Implantée dans la capitale, cette société a été fondée par Baltasar Kormákur, le réalisateur le plus influent du pays.
Le studio, composé de deux immenses hangars, est l’un des plus grands d’Europe. C’est ici que sont tournées des productions importantes, comme des films, des séries, mais aussi des jeux vidéo. À deux pas, l’entreprise Kukl a pour mission de fournir tous les équipements, des grues aux caméras en passant par les lumières. Ils participent à beaucoup de projets américains, entre 5 et 6 par an. À quelques mètres, il y a également TRICKSHOT. Ils se chargent de toutes les étapes de la postproduction : montage, étalonnage ou encore mixage son.
Le pays prend également le dessus grâce aux effets spéciaux. La compagnie RVX est située à quelques kilomètres des studios. Les portes d’entrées sont verrouillées pour préserver la confidentialité des projets en cours. Vingt-quatre employés travaillent sur les effets visuels des productions islandaises, mais aussi étrangères. Ils ont notamment réalisé 240 plans de la saison 2 de The Witcher.
Toutes ces sociétés forment un Hollywood miniature. Elles illustrent la constante évolution d’un secteur qui ne cesse de gagner en importance. Lorsqu’elle est questionnée sur l’avenir, la directrice de l’Icelandic Film Center, Laufey Guðjónsdóttir, se montre confiante. “Il y a beaucoup de personnes créatives ici et tant d'autres histoires à raconter, se réjouit-elle. Nous avons progressé dans tous les domaines.” Petite par sa taille, l’industrie du cinéma en Islande n’en reste pas moins solide et réserve encore de nombreuses surprises.
Le cinéma islandais en quelques dates :
- 1921 : Sons of the Soil de Gunnar Sommerfeldt, premier film tourné en Islande.
- 1949 : Between Mountain and Shore de Loftur Guðmundsson, premier film parlant islandais.
- 1979 : création de l'Icelandic Film Fund qui permet de financer les films du pays.
- 1980 : Land and Sons de Ágúst Guðmundsson, premier film financé et tourné en Islande.
- 1992 : Les Enfants de la nature de Friðrik Þór Friðriksson, premier film islandais nommé aux Oscars.
- 1999 : création des Edda Awards, cérémonie qui récompense le cinéma et la télévision.
- 2003 : création de l'Icelandic Film Center.
- 2021 : Yes-People de Gísli Darri Halldórsson, premier court métrage islandais nommé aux Oscars.
- 2021 : sortie de Lamb de Valdimar Jóhannsson.
10 films islandais à voir :
- Les Enfants de la nature de Friðrik Þór Friðriksson
- 101 Reykjavik de Baltasar Kormákur
- Nói albínói de Dagur Kari
- Woman at War de Benedikt Erlingsson
- Des chevaux et des hommes de Benedikt Erlingsson
- Béliers de Grímur Hákonarson
- Heartstone - Un été islandais de Guðmundur Arnar Guðmundsson
- Rökkur (ou Ghosts of Love) d'Erlingur Thoroddsen
- Un jour si blanc de Hlynur Palmason
- Lamb de Valdimar Jóhannsson
Reportage réalisé par Thomas Desroches
Montage : Constance Mathews
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Reykjavik, du 28 octobre au 2 novembre 2021.
Bande-annonce de "Lamb" :