Animal de Cyril Dion
Au cinéma cette semaine
Bella et Vipulan ont 16 ans, une génération persuadée que leur avenir est menacé. Changement climatique, 6ème extinction de masse des espèces... d’ici 50 ans leur monde pourrait devenir inhabitable. Ils ont beau alerter mais rien ne change vraiment. Alors ils décident de remonter à la source du problème : notre relation au monde vivant. Tout au long d'un extraordinaire voyage, ils vont comprendre que nous sommes profondément liés à toutes les autres espèces. Et qu'en les sauvant, nous nous sauverons aussi. L’être humain a cru qu’il pouvait se séparer de la nature, mais il est la nature. Il est, lui aussi, un Animal.
AlloCiné : L'écologie et la question climatique ont été au centre des regards cette année au Festival de Cannes. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Cyril Dion : Ça me fait plaisir, évidemment. C'était déjà un appel que j'avais lancé au Festival en 2019, avec une tribune avec le mouvement On est prêt qui appelait les cinéastes, les réalisateurs et les producteurs à faire des films qui nous aident à imaginer le futur différemment. En se disant que c'est un peu difficile de construire un monde vraiment écolo si on n'est pas d'abord capable de l'imaginer. Et qui mieux que les cinéastes, les scénaristes peuvent le faire ? Donc, le fait que cette année le festival décide de faire une sélection sur ce sujet-là et mette en même temps les films en lumière, c'est à dire leur dimension cinématographique, et le sujet en faisant aussi des efforts sur l'organisation du festival, je trouve que c'est un pas de franchi qui est très encourageant.
Les incidents climatiques se multiplient, la situation s'aggrave de plus en plus nettement, comment expliquer notre inaction et notre aveuglement face à tout ça ?
Je ne crois pas que ce soit de l'aveuglement. Je pense que c'est une forme de déni et que c'est un mode de fonctionnement des êtres humains de réagir quand la catastrophe est là. On l'a vu avec la pandémie : on savait depuis des décennies qu'un syndrome grippal pouvait dégénérer. On n'était pas prêts. On avait, en gros, remis à plus tard l'organisation qu'il aurait fallu avoir au moment où la pandémie est survenue. C'est un peu la même chose avec le climat.
On sait depuis la fin des années 70 que le réchauffement climatique est là. On sait ce que ça va avoir comme conséquences... Les scientifiques d'Exxon, en 1982, avaient calculé qu'en 2019, on serait déjà à +1 degré de réchauffement en moyenne sur la planète, ce qui était le cas en 2019. Et qu'on serait à 415 parties par million -la concentration de CO2 dans l'atmosphère- on y était en 2019. Donc, on sait tout. On sait tout depuis quarante ans.
Il faut se battre pour chaque dixième de degré
Simplement, d'une part, le secteur privé et particulièrement les grands pétroliers ont tout fait pour semer le doute, pour faire des études contradictoires, pour laisser entendre qu'on n'était pas certain de ce qui allait se passer et qu'il ne fallait pas non plus être catastrophiste et empêcher le progrès et empêcher notre civilisation de se développer comme elle se développe... Ce qui est vraiment profondément criminel.
Et puis, encore une fois, tant que cela n'est pas arrivé, ça reste pour les gens un peu un concept. Là, c'est en train de devenir très concret. Je peux vous dire que j'ai des amis en Californie, notamment des scientifiques, qui disent que l'apocalypse est là parce que les sécheresses sont là, parce que les méga-feux sont là, parce que eux aussi l'année dernière ont vu des villages partir en fumée, parce que leur vie est en train de se transformer, d'être bouleversée. Là, les climatologues nous disent : dans les dizaines d'années qui viennent, les 50 degrés à Lille, on va les avoir.
Malheureusement, on a attendu trop longtemps, mais ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas réagir aujourd'hui. Tout ce qu'on peut faire à partir de maintenant, chaque dixième de degré qu'on va réussir à gagner sur l'augmentation de la température est fondamental. Il faut se battre pour chaque dixième de degré.
Les films de la sélection "Le Cinéma pour le Climat" sont tous liés les uns aux autres, dans le sens où ces bouleversements à répétition sont les différents symptômes d'une situation globale alarmante. Et la solution réside sans doute dans notre capacité à renoncer à un peu de confort au profit d'une plus grande humanité. Mais sommes-nous capables de cela ?
On peut poser la question comme ça, se demander si on peut renoncer à notre confort. Une autre façon de poser le problème, qui est celle qu'on a développée dans Animal, c'est plutôt de se dire quel autre projet de société on peut avoir. Nous, les humains, on a besoin de trouver du sens et d'être motivés par quelque chose. On a besoin que l'avenir qu'on va construire soit aussi quelque chose qui nous stimule, qui nous inspire, qui nous fasse rêver. Si c'est simplement de la privation, je n'y crois pas. Et là, ce qu'on essaie de montrer dans Animal, c'est que pour l'instant, la direction que notre société prend c'est : toujours plus de croissance économique, toujours plus de richesses, toujours plus de possession matérielle. C'est en train de nous amener vers la catastrophe.
L'autre direction qu'on pourrait emprunter, c'est : à quoi est ce qu'on sert, nous, les êtres humains, dans le reste des écosystèmes et au milieu du vivant ? Et ce que nous ont dit les personnes extraordinaires qu'on a rencontrés, c'est que les humains peuvent être les gardiens du vivant. Comme on a la capacité de comprendre comment les écosystèmes fonctionnent, notre mission -le sens qu'on pourrait donner à nos sociétés- c'est de faire en sorte que la vie continue à se perpétuer sur cette planète.
Les humains peuvent être les gardiens du vivant
A la fois pour nous et évidemment, donc faire en sorte que les êtres humains vivent en bonne santé dans des environnements les plus sains possibles, mais aussi que tout le reste des écosystèmes s'enrichissent donc replanter des forêts, replanter des mangroves, ré-ensauvager. Permettre à des animaux qui aujourd'hui sont indispensables à nos modes de vie de pouvoir retrouver des espaces pour se nourrir, pour évoluer et potentiellement laisser un monde à nos enfants qui sera encore plus vivant que le monde dans lequel on est aujourd'hui.
C'est une perspective qui est exceptionnelle et qui nous demande effectivement de changer les règles du jeu : changer les règles du jeu économique, changer les règles du jeu, de l'urbanisme, de la façon dont on habite le territoire... Mais non seulement c'est tout bénef parce que ça va nous permettre de ne pas disparaître, mais en plus, c'est infiniment plus intéressant en terme de stimulation intellectuelle, de créativité que de simplement chercher à faire augmenter le PIB. Moi, je pense qu'on a besoin de ça. On a besoin de se donner des horizons enthousiasmants.
Propos recueillis à Cannes en juillet 2021