Cet article contient des SPOILERS concernant le film "Suprêmes", actuellement en salles.
Alors que Suprêmes d'Audrey Estrougo porté par Théo Christine (JoeyStarr) et Sandor Funtek (Kool Shen) est sorti mercredi dans les salles, nous avons interrogé Olivier Cachin, journaliste musical et biographe de NTM entre autres, pour faire un petit "fact-checking" et comparer le récit du film avec la réalité.
AlloCiné : Vous connaissez les NTM depuis leurs débuts, avant d'attaquer dans le vif du sujet, lorsqu'on vous dit "Suprême NTM", quel est le premier souvenir qui vous vient ?
Olivier Cachin : Pour moi, le premier souvenir concernant Suprême NTM c'est quand avec l'émission Rapline, je vais à Saint-Denis pour tourner ce que je crois être notre clip de Je rap (qui était leur morceau sur la compilation Rapattitude) et où quand j'arrive, ils me disent "non, en fait on va tourner un autre morceau qu'on vient de faire qui s'appelle Le pouvoir", qui va être un des morceaux hardcore contenu sur leur premier Maxi Le Monde de demain.
Et là, je vois tout le posse 93 NTM, c'est-à-dire Kool Shen et JoeyStarr, le DJ S, Chi NO, Reak (...) et je fais connaissance de ce qui va devenir le plus puissant collectif du rap hardcore à un moment où le rap français commence à peine à exister et est déjà méprisé -alors qu'il n'existe pas encore médiatiquement- avec une puissance incroyable.
Ça m'a surpris d'ailleurs, car c'était la musique qui, avec le rock, charriait le plus de trucs excitants, aussi bien au niveau de ce qu'ils disaient dans les paroles que de ce que vivaient les acteurs de cette musique.
Vous qui êtes un spécialiste du groupe, comment avez-vous trouvé le film ?
Je l'ai trouvé formidable pour plusieurs raisons. Alors bien sûr, il y a quelques libertés prises avec la chronologie et certaines anecdotes, mais dans l'ensemble, c'est la vraie histoire. Et puis surtout, l'incarnation de Didier Morville et Bruno Lopes (JoeyStarr et Kool Shen), elle est extraordinaire.
Pour ce qui est de Sandor Funtek, on a l'impression qu'il a mangé Kool Shen (...) et pour Théo Christine, c'est différent parce qu'au début on se dit "ce n'est pas exactement JoeyStarr", il ne l'a pas singé, il n'a pas repris la grosse voix rocailleuse, mais ce qu'il a fait est très fort.
[Notamment] dans les deux scènes très fortes avec son père, il y a une scène dans laquelle il est collé à son père en train de hurler, et c'est le genre de scène qui, si elle ne fonctionne pas, fait éclater de rire. Et là, j'ai revu le film au Grand Rex pour la grande avant-première, et la salle était muette, on sentait qu'il y avait un truc qui passait. Il avait vraiment une façon d'incarner le personnage qui était super efficace.
Les fans se demandaient notamment s'ils arriveraient à capter l'animalité que peut dégager NTM sur scène. Vous qui les avez beaucoup vus en concert, quel regard vous avez sur ces séquences-là ?
Elles sont très réussies. Il faut voir que le film couvre vraiment les premières années d'NTM, donc c'est totalement brouillon, ça s'arrête au Zénith de 92 qui est un peu leur première apogée, il y en aura beaucoup d'autres, mais toutes les scènes de concert que l'on voit dans le terrain vague éclairé avec les voitures parce que le concert officiel a été interdit par la mairie, le Confort Moderne à Poitiers où ils sont devant des punks à chiens, sont super bien vues. On sent la puissance du groupe et il y a aussi un humour -car ce sont aussi des moments de défaite- car ils sont dans des conditions complètement incroyables (...).
Vous mentionniez la fidélité du film quant à la réalité, je vous propose un petit moment "fact-checking" avec quatre scènes emblématiques de Suprêmes et d'NTM. Je vous laisse les commenter comme vous voulez, les voilà :
- Kool Shen et JoeyStarr écrivant leur premier texte ensemble, l'un aidant l'autre, scène de cinéma ou histoire vraie ?
C'est plutôt une scène de cinéma car notoirement -et ils l'ont tous les deux confirmé tout au long de leur carrière- ils n'ont jamais écrit ensemble, c'est ça le truc incroyable de NTM. Ça a toujours été un truc improbable où chacun écrivait un truc de son côté puis au moment de se retrouver, le plus souvent en studio, ça collait et ça se rassemblait. Mais le côté "écrire ensemble comme deux potes qui se renvoient la balle", c'est peut-être arrivé une ou deux fois au tout début, mais c'est quand même plus la vision cinématographique pour montrer une amitié qui se scelle autour des paroles.
- Y avait-il déjà des engueulades entre les deux en 1990-1991 ?
L'histoire de NTM est l'histoire d'une gigantesque engueulade dès le début ! Il faut savoir qu'ils ne sont plus amis proches depuis le milieu du deuxième album, c'est-à-dire 1993. Et il y a toujours eu cette tension. Quand on voit la (...) tête de lard de Didier, l'intransigeance de Bruno... Mais leur antagonisme est aussi leur puissance, parce que l'un sans l'autre, ce sont des grands artistes, mais l'un avec l'autre, c'est NTM.
Et ça, ça fait partie de la légende de tous les groupes : tout le monde sait que Mick Jagger et Keith Richards ne sont plus potes depuis longtemps, il n'y a qu'à lire leurs biographies. C'est "one for the money, two for the money, three for the money" ! Mais ce n'est pas grave, car quand on va voir les groupes qui se détestent, il y a une magie qui fait que tout d'un coup, il se passe quelque chose.
- NTM qui arrive à un festival punk et qui retourne la salle à son avantage ?
Oui, il y a eu plusieurs moments où, dans des festivals ou en première partie de La Souris déglinguée, ils ont eu à affronter ce public de punks à chiens et de rockers et oui, ils ont réussi. Et même si chez les rockers, le rap est une musique qui reste un petit peu avec une odeur de souffre, c'est le seul groupe de rap français qui peut prétendre avoir cette attitude rock et être respecté par un public rock. Parce qu'ils ont dû faire leur chemin à une époque où les concerts rap n'existaient pas et où ils se sont retrouvé chez les rockers à devoir prouver que même sans instruments, ils avaient l'attitude et la puissance.
- Le concert sur le terrain vague ?
Oui, ça fait partie des moments mythiques de leur carrière, même si pour des raisons d'époque ça n'a pas été capté sur pellicule (...). C'est effectivement arrivé. Le frère de Kool Shen, Gilles, que j'ai revu à l'avant-première n'était pas sûr que ça soit à Mantes-la-Jolie (...), c'était quand même il y a plus de trente ans. (...) Mais oui, ça fait partie de la légende underground d'NTM.
Un film est avant tout une œuvre de fiction. Y a-t-il quelques raccourcis avec la réalité telle que vous la connaissez ?
Sans trop spoiler, le moment où JoeyStarr retrouve sa maman n'est pas au moment que montre le film, mais plutôt antérieur, et ce qui m'a fait marrer c'est que pendant une répétition il y a une grosse engueulade avec le DJ qui arrive pendant l'embrouille entre Kool Shen, JoeyStarr et Lady V, et le discours qu'a Joey face au DJ est celui qu'il a eu face au perchman dans le fameux incident avec France 2 pour le journal télévisé. Il dit : "qu'est-ce que t'as, toi ?! Tiens ta perche !" et là ça devient : "qu'est-ce que t'as, tire tes platines" ! C'est un petit raccourci amusant.
Et il y a quelques morceaux que l'on entend mais qui ont été faits un peu après. Quand ils font le concert à Mantes-la-Jolie, on entend Boogie Man qui est un morceau qui arrive un peu plus tard, mais ce n'est pas très grave. C'est comme pour Bohemian Rhapsody, globalement c'est vrai, mais pour la dramaturgie du cinéma, il est parfois utile de déplacer certains moments ou d'en enjoliver d'autres, c'est pour ça qu'il est inscrit sur l'affiche du film "librement inspiré des premières années de NTM" mais à 80-90%, c'est là, et le reste, c'est la légende.
Comment Sandor Funtek et Théo Christine sont-ils devenus Kool Shen et JoeyStarr ?
Entretien réalisé au téléphone le 19 novembre dernier.