AlloCiné : Mon Légionnaire est très différent de Baden Baden, votre premier film. Comment en êtes vous venue à vouloir faire un long-métrage sur la Légion étrangère ?
Rachel Lang : La genèse du projet remonte à ma première expérience militaire quand j'avais 20 ans. J'ai repensé à l'intensité de ce qu'on avait vécu et à comment les hommes qui sortent retrouvent leurs épouses et comment le retour à la vie civile peut être intense. La deuxième question du film qui m'est venue beaucoup plus tard porte sur la hauteur des attentes des femmes vis-à-vis de leurs hommes. C'est très difficile pour elles.
Est-ce que vous avez tous les deux discuté avec des militaires de la Légion étrangère afin de comprendre leur expérience et la retranscrire à l'écran ?
Rachel Lang : Oui, pendant plusieurs années, j'ai rencontré beaucoup de familles, des légionnaires et leurs épouses. J'ai écrit le scénario à partir de leurs histoires.
Louis Garrel : J'en ai rencontrés pas mal, surtout des militaires. C'est un monde qui est tellement loin de ce que je connais qu'il fallait impérativement, surtout parce que Rachel ne faisait pas d'exercice d'admiration, de virilité ou d'autorité, que je sois ethnologue. Il fallait que je regarde comment ça se passe.
On a fait ce stage, qui a duré 3 jours, on est allé dans la campagne avec des types qui faisaient des jeux de rôle où ils essaient de nous mettre en condition sur ce qu'on mange, comment on dort et comment on fait des pompes. Il fallait aussi que j'apprenne des termes et puis une sorte de chorégraphie pour avoir une certaine posture.
Outre la préparation militaire, comment l'avez-vous abordé ce personnage ?
Louis Garrel : C'est au fur et à mesure du travail et de la découverte de ce milieu. Là, il s'agissait de raconter comment un couple s'éloigne petit à petit parce que leurs réalités sont tellement différentes. Il a fallu imaginer, trouver des équivalences, même si je n'ai jamais été confronté à ça.
ML/Cheval deux trois/Wrong Men
La mise en scène est très intimiste avec des séquences sur le terrain qui répondent aux scènes familiales et inversement. Est-ce que des films vous ont inspiré pour cette mise en scène ?
Rachel Lang : Je n'ai pas de références d'autres cinéastes pour la mise en scène. J'avais envie de rendre tangible une réalité, de montrer un métier, de montrer un état, de montrer des choses que j'avais appréhendées dans des recherches documentaires. J'avais envie de mettre ça en scène avec le plus de vérité.
Comment avez-vous choisi Alexander Kuznetsov et Ina Marija Bartaité pour incarner Vlad et Nika ?
Rachel Lang : Alexander a été casté en Russie via des cassettes. Il était très intense, très proche du personnage rapidement, très investi. Quand je n'avais pas encore le personnage de Vlad, je cherchais du côté du cinéma slave pour trouver des acteurs et en regardant le film de Šarūnas Bartas, je suis tombée sur Ina, sa fille. Elle était à ce moment là au cours Florent à Paris donc j'ai pu la rencontrer en casting très vite. Elle était bouleversante, on avait les poils qui se hérissaient.
Je disais à Rachel de faire attention et de penser à ses spectateurs qui ne sont pas du tout de ce monde-là. Je pense qu'elle a une dette envers l'armée quand elle fait le film. Mais je lui disais qu'il fallait quand même penser aux spectateurs et qu'il y ait une promesse d'aventure.
Qu'est-ce qui vous a fait penser à Louis Garrel et Camille Cottin pour incarner le couple principal du film ?
Rachel Lang : Ce n'était pas une évidence mais il y a eu une lecture qui m'a totalement convaincue. C'était juste, intelligent, fin alors qu'il ne comprenait rien à ce qu'il disait. Donc c'était assez bluffant. Et comme il m'a promis qu'il ferait le job physique, je me suis dit que j'allais prendre le risque.
Louis Garrel : Je pense que le risque de me prendre dans ce film est plus grand que ce qu'elle a fait sur le terrain (rires).
Rachel Lang : Et puis Camille, il fallait quelqu'un avec de la poigne, de l'audace, du charisme et de l'autorité pour être dans un couple comme ça et qui tienne. C'est un couple surprenant que tu qualifierais comment ?
Louis Garrel : Giscardien. Il est étonnant ce couple, il est très loin de ce que je connais.
ML/Cheval deux trois/Wrong Men
Comment s'est passé le tournage et combien de temps a-t-il duré ?
Louis Garrel : Six ou sept semaines. D'abord en Corse et après au Maroc dans le désert, juste avant la frontière algérienne. Il faisait très chaud, il faisait 40 degrés parfois. C'était surtout la chaleur qu'il fallait combattre. Dans les blindés, il n'y a pas d'amortisseur, il y a des sièges qui sont un peu durs, ajoutez à ça les casques, l'équipement, c'était une vraie expérience dépaysante.
Et en même temps, il ne fallait pas sacrifier ce que le spectateur voulait, qui à un moment donné attend tout de même un peu d'aventure dans un film sur l'armée. Je disais à Rachel de faire attention et de penser à ses spectateurs qui ne sont pas du tout de ce monde-là. Je pense qu'elle a une dette envers l'armée quand elle fait le film. Mais je lui disais qu'il fallait quand même penser aux spectateurs et qu'il y ait une promesse d'aventure.
Rachel Lang : Le contraste était important, c'est vrai. On parle d'hommes qui attendent un ennemi invisible. C'est important d'aller au-delà de la frustration et de montrer un peu même si ça arrive rarement.
Pourquoi avez-vous choisi la Corse comme décor ?
Rachel Lang : C'est là où est en partie le deuxième régiment étranger de parachutistes donc le régiment de référence, le régiment d'élite. Après, il y avait l'idée d'être sur une île et d'avoir l'image de Pénélope et d'Ulysse. Et puis la Corse c'est aussi une Terre forte de caractère avec des gens qui viennent du monde entier.
Propos recueillis par Mégane Choquet le 15 juillet 2021 au Festival de Cannes.
