AlloCiné : Comment est venue l'idée de Cette musique ne joue pour personne ?
Samuel Benchetrit : Je voulais faire un film d'amour, un film apaisé. Ensuite, je voulais parler des ouvriers, des travailleurs, des gars qui ont la vie dure que j'ai pu connaître dans mon enfance qui sont un peu dans des bandes, qu'on pouvait retrouver dans des films de Sautet, de Melville. Je voulais m'intéresser à leurs sentiments plus qu'à leur environnement violent.
Et puis, les histoires qui se croisent m'intéressait, j'aime bien retrouver ce genre du film choral, comme j'avais pu faire sur J'ai toujours rêvé d'être un gangster ou Asphalte avec Jules, parce que c'est comme si on allait à une soirée où on a un verre à la main, on rencontre quelqu'un, on lui parle un peu et puis on passe à une autre personne. Il n'y a pas vraiment de psychologie, ni trop besoin d'expliquer les choses.
Vous avez fait appel à des comédiens avec qui vous avez déjà tourné auparavant et quelques petits nouveaux excentriques face à des jeunes pleins de fougue. Comment avez-vous choisi le casting ?
Samuel Benchetrit : C'est des tendres, c'est la famille, c'est les copains. Ils travaillent tous beaucoup. Ce qui est assez drôle, c'est que les jeunes qui jouent dans le film sont tous complètement différents de leurs personnages. Ils sont vraiment dans une composition. C'était assez amusant. L'harmonie générale se fait naturellement. Quand on regarde nos copains dans la vie, c'est étrange, on se construit des drôles de familles avec des êtres totalement différents.
Et là cette bande, c'est pareil et ça fonctionne. Moi, j'avais écrit pour tous et c'est assez fou. Ils ont accepté mais je me disais avec le producteur qu'on ne les aurait sûrement pas tous. Et miracle, on a réussi à avoir tout le monde. Ce qui m'a beaucoup touché aussi c'est le recul des comédiens plus expérimentés face aux jeunes à qui ils ont laissé l'opportunité de s'exprimer.
Jules, est-ce que c'était impressionnant de tourner avec cette bande ?
Jules Benchetrit : C'est hyper impressionnant. Après on s'est tout de suite mis au travail et mon père a une exigence qui nous guide. Il sait ce qu'il veut. Le rendu est fort parce qu'il a rassemblé une bande qui fonctionne très bien. Je suis assez timide et le fait de pouvoir jouer un rôle aussi sublime et à l'opposé de moi m'a permis de me libérer. Ce n'était que du plaisir et du travail. Il y avait quelque chose d'agréable à pouvoir se lâcher avec ce rôle très attachant.
C'est un film libre, comme les acteurs. On ne peut pas travailler avec ce casting de comédiens et attendre d'eux qu'ils soient des gens dans la norme.
Ce n'est pas la première fois que vous travaillez avec votre père. Est-ce qu'il y a toujours une appréhension à chaque fois ?
Jules Benchetrit : Bien sûr qu'il y a une appréhension, je n'ai pas envie de le décevoir. J'essaie vraiment de travailler pour faire honneur à son cinéma que j'aime beaucoup. Les rôles qu'il m'offre sont importants pour moi donc je prends très à cœur de leur faire honneur. J'ai la chance que notre relation au travail soit extraordinaire.
En voyant l'affiche de Cette musique ne joue pour personne avec ce casting quatre étoiles, on ne sait pas trop ce qu'on va voir. Comment est-ce que vous présenteriez le film au public ?
Samuel Benchetrit : C'est un film libre, comme les acteurs. On ne peut pas travailler avec ce casting de comédiens et attendre d'eux qu'ils soient des gens dans la norme.
Jules Benchetrit : Il les voulait comme ils étaient. On ne peut pas et on ne veut pas les changer. C'est ça aussi qui est extraordinaire.
Samuel Benchetrit : Il y a un respect. Ils ont accepté que je leur parle de poésie et moi je voulais qu'ils soient ce qu'ils sont, eux. Et ça s'est bien passé. On attend trop des films qu'ils soient quelque chose qu'on a déjà vu, qui nous rassure. Je trouve que c'est à nous de changer ça dans le cinéma. Le cinéma, plus que jamais, peut se permettre ça.
Les séries essaient de nous déconcerter, de nous surprendre. Pourquoi on a perdu ce truc avec les films ? Avant, quand j'étais jeune, que j'avais l'âge de Jules, j'allais au cinéma pour être dérangé, en colère, surpris, que ça me fasse rire, mais pas pour que ça me plaise. Il y a des films que j'ai détesté et qui pourtant m'ont donné envie de devenir cinéaste et m'ont appris des choses sur moi-même et les sentiments. Je trouve que le cinéma ne cherche plus assez à déplaire.
Ça vous plairait d'écrire et réaliser une série ?
Samuel Benchetrit : On me propose des séries. Oui, peut-être. Mais moi, je suis un peu old school, j'en suis encore à vouloir faire des films qui sortent en salle. Par exemple, Chien, le film que j'ai fait avant, c'était tellement le sujet. C'était un film pas aimable et c'est exactement ce que je voulais faire. David Lynch dit, - non pas que je me compare à David Lynch -, "pourquoi vous me demandez tout le temps de vous expliquer mes films ? Parce que vous vous arrivez à expliquer la vie ?". C'est un mystère de vouloir comprendre un film alors que nos propres vies sont incompréhensibles.
Vous parliez de Chien, dont Vincent Macaigne est le héros. Vous avez fait une nouvelle fois appel à lui pour Cette musique ne joue pour personne mais dans une petite scénette qui représente une histoire que raconte le personnage de Bouli Lanners à celui de JoeyStarr. Est-ce que vous avez toujours eu l'intention de la mettre en scène ou est-ce que l'idée est venue un peu plus tard ?
Samuel Benchetrit : Non, en fait c'est le contraire. La petite histoire était plus longue. Elle revenait trois fois et en fait, ça ne fonctionnait pas. Dans la petite histoire, il se fait adopter par la famille indienne et on le voyait une deuxième fois, il tombait amoureux de sa "soeur", et la troisième fois, il était viré de la famille et elle se mariait et il allait se mettre un couteau sous la gorge. Tout ça, je l'ai filmé.
Et finalement, il tombait amoureux d'une autre femme blanche du Nord de la France, elle aussi adoptée par une famille indienne concurrente du restaurant du départ. C'était amusant à regarder comme ça mais ça ne fonctionnait pas. Ça déconcentrait le reste de l'histoire donc j'en ai juste garder un petit bout. C'est dommage parce que c'était super mais je n'ai pas réussi à l'incorporer.
Comment vous est venu l'idée du titre Cette musique ne joue pour personne et la jolie réflexion du personnage de François Damiens sur cette question ?
Jules Benchetrit : On dirait un titre d'un Sergio Leone.
Samuel Benchetrit : Ouais c'est vrai, il y a un côté western. On m'a un peu engueulé avec le titre parce qu'il n'est pas très commercial. Mais je ne trouvais pas mieux. J'ai écrit avec ce titre et ce titre m'a donné envie d'écrire le film. J'ai noté cette phrase il y a une dizaine d'années. J'étais dans un restaurant lounge avec quelqu'un et une musique d'ambiance horrible, je m'ennuyais. Je suis allé aux toilettes et il y avait un Impromptu de Schubert, magnifique. Et il n'y avait personne.
Je suis retourné m'asseoir et je me disais "Il y a cette musique qui ne joue pour personne" et je me suis mis à réfléchir pendant ce déjeuner à toutes ces musiques qui jouaient pour rien. C'est terrible quand on y pense, c'est comme des deuils. Comme l'explique François, la musique c'est l'amour, qui joue pour personne et qui joue pour tout le monde. Si on continue d'aimer, il existe toujours. Et puis, je trouve que le titre sonne bien, c'est un peu mystérieux.
La musique berce le film, par ses paroles et par ses mélodies. Comment les avez-vous choisi et intégrer au film ?
Samuel Benchetrit : J'étais très sûr de vouloir les musiques de Gonzalez. C'était compliqué de les avoir parce que c'est quelqu'un qui donne difficilement mais il a aimé donc il a donné des musiques au piano, qui me semblaient parfaite. Et puis, je tenais à avoir des chansons françaises, j'en ai marre d'entendre des musiques américaines dans les films.
C'est pour que ça que je voulais cet auto radio dans la voiture de Ramzy et qu'il écoute des musiques de Laurent Voulzy, Christophe,... des chansons que j'aime. Et puis, cette chanson de France Gall, très belle, que je ne connaissais pas, et que mon assistante m'a fait découvrir. Et c'est une des premières chansons écrites par son père, Robert Gall. Même Vanessa [Paradis, ndlr] ne la connaissait pas.
Les personnages s'accomplissent à travers l'art et l'amour. Quel a été votre premier choc, votre premier éclat, votre première émotion avec l'art, quel qu'il soit ?
Samuel Benchetrit : Au cinéma, ça a été Les Affranchis de Martin Scorsese et en littérature, c'était Les Fleurs du Mal de Baudelaire, auquel je ne comprenais rien. Mais c'est une prof de français qui nous avait demandé d'apprendre un poème, que j'ai mis d'ailleurs dans le film, L'Homme et la mer, qui m'a bouleversé.
Jules Benchetrit : Moi, je pense qu'en littérature, c'était Jack Landon, j'adorais. En musique, j'étais fou de Michael Jackson, j'ai eu ma période. Et sinon, en cinéma, Taxi Driver ou Voyage au bout de l'enfer, j'étais fou de Robert de Niro.