Acteur, réalisateur, scénariste, producteur, et surtout figure pionnière du cinéma de la Blacksploitation à qui l'on doit le classique Sweet Sweetback's Baadasssss Song sorti en 1971 ou Watermelon Man, Melvin Van Peebles est décédé ce mardi à 89 ans à son domicile de Manhattan.
Les cinéastes Ava DuVernay et Barry Jenkins ont salué sur Twitter la mort d'un "pionnier". Spike Lee de son côté se déclare "profondément affecté par la perte de [son] frère Melvin Van Peebles, qui a amené le cinéma noir indépendant au premier plan [...]".
C'est son fils, l'acteur - réalisateur Mario Van Peebles, qui a annoncé la nouvelle dans un communiqué : "Papa savait que les images des Noirs comptent. Si une image vaut mille mots, que valait un film ? [...] La vraie libération ne signifiait pas devoir imiter la mentalité du colonisateur. Cela signifiait apprécier la force, la beauté et la connexion entre tous les individus".
L'éditeur - distributeur américain et cinéphile par excellence, Criterion, a promptement salué la mémoire de Melvin Van Peebles :
"Au cours d’une carrière inégalée, caractérisée par une innovation incessante, une curiosité sans limite et une empathie spirituelle, Melvin Van Peebles a laissé une marque indélébile dans le paysage culturel international à travers ses films, ses romans, ses pièces de théâtre et sa musique".
Période française
Né le 21 août 1932 à Chicago, celui que l'on surnomma "Le Parrain du cinéma Noir" atterrit à Hollywood un peu par hasard. Souhaitant devenir réalisateur, il commence par bricoler quelques courts à la fin des années cinquante.
Invité par la Cinémathèque française qui souhaitait projeter ses courts métrages, Melvin part s'installer à Paris. Apprenant le français, il est même embauché pour traduire le magazine Mad en français, et collabore également au magazine Hara-Kiri.
Ecrivant des pièces de théâtre en français et quelques nouvelles, il finit par adapter l'une d'entre elles, qui sera son tout premier film : La Permission, en 1968. L'histoire d'un G.I. Noir en permission de trois jours à Paris, où il fait la connaissance de Miriam (Nicole Berger), et tombe sous son charme, avant que les préjugés raciaux ne s'en mêlent.
C'est avec ce film comme carte de visite, tourné pour un budget de 70.000 $, que Melvin Van Peebles peut signer son premier film américain pour un grand studio, la Columbia, avec Watermelon Man. Dans cette relecture de La Métamorphose de Kafka, un homme blanc profondément raciste se réveille un beau matin noir.
Incarné par l'humoriste Godfrey Cambridge, le personnage va progressivement accepter sa nouvelle identité avant de rejoindre les Black Panther. Une féroce satire, assez géniale, dont le propos politique est toujours d'actualité.
En voici la bande-annonce...
Le tournant de la Blacksploitation
Genre qui a su revaloriser l'image de la communauté afro-américaine, qui les présentait dans des rôles dignes et de premier plan, et non plus uniquement dans des rôles secondaires, de faire-valoir ou tout simplement dévalorisants, comme Hollywood le fit durant plusieurs décennies, la Blacksploitation mit fin au modèle unique d'intégration de la communauté noire dans l'industrie du cinéma, incarnée jusqu'alors par Sidney Poitier.
Dans cette optique, Sweet Sweetback's Baadasssss Song de Melvin Van Peebles fit l'effet d'une bombe à sa sortie. Financé notamment par un emprunt de 50.000 dollars à Bill Cosby pour un budget global de 100.000 $, le film rapporta environ 10 millions de billets verts.
Pour orchestrer la publicité autour de son film, Melvin Van Peebles eut le génie de mettre en avant la bande originale (une idée très peu usitée à l'époque), en faisant appel au groupe Earth, Wind and Fire, créant ainsi l’alliance entre musique et cinéma noirs.
L'une des grandes particularité de la Blacksploitation est que nombre de ses films eurent de brillantes bandes-originales : presque tous les grands musiciens noirs des années 1970 composèrent ses BO, comme James Brown, Curtis Mayfield, Isaac Hayes, Marvin Gaye, Barry White, Herbie Hancock, Roy Ayers...
Ci-dessous, la bande-annonce de Sweet Sweetback's Baadasssss Song :
Cette oeuvre, la plus célèbre de Melvin Van Peebles, a d'ailleurs été retenue l'an dernier pour rejoindre la prestigieuse Bibliothèque du Congrès américain, eut égard à son importance cinématographique et historique.
En 1972, il enchaîne avec un autre succès, la comédie musicale Don’t Play Us Cheap!, qu'il adaptera pour les planches de Broadway. Il sera d'ailleurs cité à trois reprises pour un Tony Award.
Artiste multi-facettes, il est aussi régulièrement passé devant la caméra comme acteur, notamment chez son fils Mario, qui le dirigera dans le western Posse, la revanche de Jessie Lee. On a également pu le voir à l'affiche de la comédie Boomerang avec Eddie Murphy, Terminal Velocity, Last Action Hero où il joue son propre rôle, en guest dans la série Dream On, Redemption Road...
En 2000, il fut même contacté par Pascal Légitimus pour jouer dans sa comédie Antille sur Seine. Sa dernière apparition à l'écran est justement un film signé par son fils, Armed, pas encore sorti en France. Un thriller dans lequel un ex US Marshall est aux prises avec une vaste conspiration.
"Je fais un film comme je ferais la cuisine pour des amis. J'espère qu'ils aiment ça. Mais si ce n'est pas le cas, je suis prêt à en profiter tout seul !" disait non sans facétie celui qui a permis à toute une génération de réalisateurs noirs de forcer les portes d'Hollywood dans les années 60 et 70. So long l'artiste...