Depuis 6 ans, Melati, 18 ans combat la pollution plastique qui ravage son pays l’Indonésie. Comme elle, une génération se lève pour réparer le monde. Partout, adolescents et jeunes adultes luttent pour les droits humains, le climat, la liberté d’expression, la justice sociale, l’accès à l’éducation ou l’alimentation. La dignité. Seuls contre tous, parfois au péril de leur vie et sécurité, ils protègent, dénoncent, soignent les autres. La Terre. Et ils changent tout. Melati part à leur rencontre à travers le globe. Elle veut comprendre comment tenir et poursuivre son action. Des favelas de Rio aux villages reculés du Malawi, des embarcations de fortune au large de l’île de Lesbos aux cérémonies amérindiennes dans les montagnes du Colorado, Rene, Mary, Xiu, Memory, Mohamad et Winnie nous révèlent un monde magnifique, celui du courage et de la joie, de l’engagement pour plus grand que soi. Alors que tout semble ou s’est effondré, cette jeunesse nous montre comment vivre. Et ce qu’être au monde, aujourd’hui, signifie.
AlloCiné : Quel message souhaitez-vous faire passer avec "Bigger Than Us" ?
Flore Vasseur (réalisatrice) : Bigger Than Us est un film sur des personnes qui se lèvent face à tous les défis auxquels nous sommes confrontés, et qui le font dans leur coin, auprès de leur communauté, sur tous les sujets importants du moment.
Ce n'est pas un film uniquement centré sur l'environnement, c'est un point de départ : on traite l'environnement comme un symptôme d'un problème plus large et de cette interconnexion des problèmes. Finalement, c'est un film qui adresse vraiment la question de notre système et de la façon dont on vit.
Et il se trouve que ces personnes qui agissent sont toutes jeunes, agissent depuis longtemps, font des choses très concrètes que la plupart des adultes ont arrêté de faire. C'est un film sur ce que cela signifie d'être vivant dans le monde dans lequel on vit aujourd'hui.
Est-ce qu'on est, comme le dit Melati dans le film, celui qui regarde le train passer et qui attend que quelque chose arrive du ciel ou celui qui s'empare de la situation et qui, quelque part, va prendre les armes ? Ces armes étant la solidarité, l'entraide, la volonté d'être utile et de donner un sens à sa vie. Il se trouve que ces personnes sont effectivement plus jeunes que la plupart d'entre nous, mais pour moi, ce sont les grands sages de l'époque.
C'est un film sur ce que cela signifie d'être vivant dans le monde dans lequel on vit aujourd'hui.
Le film tend aussi un miroir vers le spectateur, en tout cas les moins jeunes, et le met dans une position inconfortable mais nécessaire par rapport à sa propre inaction...
J'ai peut-être fait ça, oui. C'est une marque de fabrique dans tout ce que je fais, qui est de vouloir questionner. Et notamment questionner notre apathie, notre refus de changer, notre confort et notre amour du confort. Je pense que j'ai toujours fait ça, en fait.
J'ai assisté au 11 septembre, j'étais entrepreneur à l'époque, j'étais dans le monde de l'entreprise, j'étais dans quelque chose de complètement différent. Et là, cet événement m'a sortie de ma position de confort : j'ai beaucoup douté, j'ai beaucoup pleuré, j'ai beaucoup questionné et j'ai voulu que tout le monde partage ces questionnements. Depuis le début, je ne travaille que là-dessus. Essayer de décrypter ce qui est en train de se passer et de proposer des solutions.
C'est vrai qu'on sort de Bigger Than Us avec un message d'espoir et une envie d'y aller, mais c'est grinçant sur notre responsabilité… et non celle des générations d'avant. Mais comme le dit Melati, on n'a plus le temps de pointer du doigt pour savoir qui a fait quoi : on est dans un niveau d'urgence où ce n'est même plus la peine de se poser la question. La seule chose à faire, c'est de se retrousser les manches et de savoir ce qu'on peut faire juste à côté de chez nous, ici et maintenant. Et cela va au-delà d’une injonction ou d'une approche morale.
Ce que j'ai trouvé avec eux, c'est que c'est une formidable façon de vivre sa vie : ils sont tous merveilleux de vitalité, d'envie de vivre, de joie. Ils ont des liens partout. Et on ne parle pas de liens Instagram, on parle de liens avec des gens dans votre quartier. Tout ce qui rend la vie absolument délicieuse. La connexion à l'autre et au temps. Dans la période que nous vivons, on est en distanciation sociale de tout, en mettant tout à distance… Et je crois qu'on a tous compris que ça nous rendait très malheureux, qu'on était en train de se dessécher sur place et que ce qu'il y avait de formidable, c'est la connexion à l'autre.
C'est une formidable façon de vivre sa vie
La question centrale que pose le film est d’abandonner une partie de notre confort au profit du bien commun et de l’Humanité. Sommes-nous capables de cela selon vous ?
Je crois qu'on vit dans une société qui a construit ce récit du progrès et du confort pour cacher une énorme entreprise de séparation. Parce que je veux être confortable, alors j'ai besoin de l'air climatisé et d'une grande voiture. J'ai besoin de voyager au bout du monde. J'ai besoin d'être meilleur que les autres et d'ailleurs, je suis tout le temps en compétition avec les autres, etc...
Et ça, c'est vraiment un mantra avec lequel on a été programmé et qui fait qu'on est aujourd'hui dans cet état d'urgence absolue où l'on s'est accaparé absolument tout ce qui était possible : la Terre, les ressources, les femmes souvent... On est dans ce rapport de domination qui n'est qu'une resucée de la question du contrôle et de la séparation.
Or, ce que l'on dit, c'est que nous sommes une seule Terre, un seul peuple, une seule humanité. Je sais que ça a l'air naïf quand on le dit ainsi... Mais souvent, les choses les plus simples sont les plus vraies. Et c'est tellement vrai et tellement confondant de vérité qu'on n'ose même pas le dire parce qu'on a l'impression de ne pas progresser. On a oublié le bon sens.
C'est la culture qui peut nous changer
Ce film, et le cinéma en général, peuvent-il changer le monde selon vous, ou du moins aider à le changer ?
Absolument. Et d'ailleurs, pas que le cinéma mais l'art en général. Je pense qu'on est vraiment dans un moment où toutes les solutions à tous nos problèmes existent. Il n'y a aucun vrai problème à part notre problème culturel, notre perception de ce qu'est le progrès et notre perception de ce qu'est le futur. C'est ce récit qui nous manque et c'est cet état d'esprit qui nous piège. Et c'est la culture qui peut nous changer.
Nous sommes dans la bataille de la représentation de ce qui est juste et utile. Tant qu'on n'a pas gagné cette bataille-là, les gens n'auront pas envie de changer parce qu'ils n'ont pas de modèle à suivre. Ils n'ont pas d'aspirations, ils n'ont pas les nouvelles valeurs, ils n'ont pas la nouvelle représentation de ce que peut être l'avenir... À part cette histoire de scénario-catastrophe que personne ne veut voir, ce qui fait que personne ne bouge. Tout ça est éminemment lié.
Donc, si on change notre façon de voir les choses, alors il n'y aura aucun problème pour que demain matin, on se dise "Tiens, je pourrais rajouter un petit truc d'utilité dans tout ce que je fais". Vous voyez, on a passé quinze mois à se poser la question de ce qu'est un travail utile. On s'est tous rendu compte, à 95%, qu'on ne servait strictement à rien. Donc, la question de l'utilité dans nos propres vies est venue nous percuter. L'enjeu est peut-être de regarder cette question positivement et de commencer à essayer d'y répondre.
Et ce n'est pas nécessairement un changement à 180 degrés. Ce sont les toutes petites choses du quotidien. Quand vous commencez avec les petites choses du quotidien, la petite chose amène à une plus grande chose, etc... Vous rentrez dans un process, un parcours, un chemin. On ne va pas changer le monde, mais vous pouvez changer le monde en bas de chez vous. Et ça, c'est déjà énorme. Et si tout le monde le fait, on change tout.
Nous, ce que nous avons essayé de faire, c'est de poser des nouvelles représentations du Progrès. Je voudrais que Melati et ces jeunes activistes soient les nouveaux "role model". J'ai des enfants et je me demande qui ils peuvent admirer aujourd'hui ? Est ce qu'on n'a pas autre chose à leur proposer que des célébrités et des 15 secondes TikTok sur du maquillage ? Est-ce qu'il n'y a que ça qu'on peut faire ? Et vous, qui tenez un micro, moi qui tiens une caméra ou un stylo, est-ce qu'on ne peut pas être tous unis dans cette histoire et se dire qu'il y a peut-être autre chose à proposer ? Et que c'est notre responsabilité ?
C’est peut-être comme ça que cette industrie du cinéma, aussi, retrouve de l'utilité. De la même manière que toute industrie doit se poser cette question. Donc c'est bien un problème de culture. Vous voyez bien que ce n'est pas une solution technologique. C'est en nous. Est-ce que nous, on a vraiment envie de vivre cette vie ? Est-ce que nous, on a vraiment envie d'être dans cette époque-là ? Et qu'est-ce qu'on y fait ? Ça, c'est une question pour chacun de nous. Vous avez tout à l'heure mentionné l'idée que le film pouvait vous renvoyer un miroir. En fait, c'est ça la question qui vous est posée : et toi, tu fais quoi ?