LES DÉBUTS
La France fait connaissance de Denis Villeneuve en deux temps : passé par Cannes et Un Certain Regard en 1998, Un 32 août sur Terre sort dans nos salles… deux ans plus tard. De manière confidentielle, comme son deuxième long métrage, Maelström, visible en 2001 dans l’Hexagone. Deux opus qui tournent autour d’un accident, d’un changement radical de vie, et laissent entrevoir les facultés du cinéaste lorsqu’il s’agit de scruter l’intime.
Et c’est en 2009 qu’il confirme tous les espoirs placés en lui avec le choc Polytechnique, récit en noir et blanc de la tuerie survenue deux décennies plus tôt dans l’Ecole Polytechnique de Montréal. On pense évidemment à Elephant de Gus Van Sant, et Denis Villeneuve ne peut échapper à la comparaison avec la Palme d’Or 2003, avec qui il partage un côté choral dans sa manière de suivre les personnages.
Mais le réalisateur séduit par sa sobriété et sa retenue dans le traitement du fait divers, ainsi que par les quelques notes d’espoir qu’il distille malgré la tragédie. Et il prouve, déjà, son amour des plans aériens que nous retrouverons dans Blade Runner 2049 ou Dune.
Avec 5 Jutra Awards (équivalent québecois des César et Oscars), dont celui de la Meilleure Réalisation, il consacre son auteur comme une valeur sûre dont le talent ne demande plus qu’à exploser auprès du grand public. Ce qui n’est alors qu’une question de temps.
INCENDIES (2011)
Considéré comme l’un des 10 meilleurs films de 2011 par le New York Times, Incendies est le film qui apportera une aura internationale à Denis Villeneuve et qui lui permettra son incursion sur le marché hollywoodien par la suite avec Prisoners et Enemy, notamment. Inspiré de la pièce de théâtre de Wajdi Mouawad, elle-même inspirée de la vie de Souha Bechara, ce film raconte la quête des jumeaux Jeanne et Simon sur leurs origines et la véritable histoire de leur mère.
Manquant de peu la statuette du meilleur film en langue étrangère aux Oscars, Incendies a autant séduit la critique que le public par la force de son récit et la beauté époustouflante de ses images cruelles, brutes mais criantes de vérité.
Cette chronique familliale touche en plein cœur et marque un tournant dans la carrière de Denis Villeneuve, qui montre au monde entier tout son talent pour mêler l'émotion et la justesse de l'intime avec l'extraordinaire mise en scène d'un puissant thriller de grande envergure.
PRISONERS (2013)
Prisoners est sans doute le film qui a fait exploser Denis Villeneuve aux yeux du grand public. Ce thriller très sombre, âpre et violent, a marqué les spectateurs, envoûtés par les performances exceptionnelles de Hugh Jackman et Jake Gyllenhaal.
Le premier incarne avec puissance un père dévasté par la disparition de sa fille, rompant totalement avec son personnage de Wolverine qui commençait à trop lui coller à la peau. Quant au second, il interprète un enquêteur pugnace et flegmatique avec une rare intensité.
En signant ce thriller haletant, Denis Villeneuve secouait un genre devenu un peu moribond, convoquant des influences prestigieuses telles que Zodiac de David Fincher ou Mystic River de Clint Eastwood. Suspense implacable, ambiance glauque et cafardeuse, le canadien nous entraînait dans un tourbillon paranoïaque pendant 2 heures 30, nous laissant totalement sans voix au moment du dénouement.
ENEMY (2013)
La même année que la sortie de son remarquable Prisoners, le cinéaste québécois retrouve Jake Gyllenhaal pour un second long métrage beaucoup plus intimiste, beaucoup plus confidentiel, mais tout aussi perturbant pour les spectateurs qui osent s'y aventurer.
Ce labyrinthe psychologique digne d'un Christopher Nolan, ce "nouveau piège de Denis Villeneuve", comme le décrit la bande-annonce, suit le parcours d'Adam Bell, un professeur d'université à la vie monotone qui fait soudain une découverte des plus bouleversantes : quelque part, à quelques kilomètres de chez lui, habite un homme qui lui ressemble trait pour trait.
Trompe-l'oeil, illusion, délire paranoïaque ou confusion schizophrénique... Enemy est en tout cas une toile d'araignée dont vous ne vous dépêtrerez pas si facilement, et dont le plan final, aussi dérangeant que désarmant, promet de vous hanter pendant quelque temps.
SICARIO (2015)
Après le très intimiste Enemy, Denis Villeneuve s'attaquait à un nouveau genre, le film d'action policier avec Sicario. Comme à son habitude, il fait voler en éclats les codes habituels, offrant un spectacle absolument étonnant, prenant le contre-pied de toutes les productions du genre.
Emily Blunt y tient l'un de ses meilleurs rôles, celui d'une jeune recrue idéaliste du FBI. Cette dernière est enrôlée pour aider un groupe d’intervention d’élite dirigé par un agent du gouvernement dans la lutte contre le trafic de drogues.
Situé à la zone frontalière entre les Etats-Unis et le Mexique devenue un territoire de non-droit, Sicario préfigurait en quelque sorte Dune. Des paysages arides, une ambiance pesante, des enjeux politiques, la trahison des élites, une jeune héroïne dont les idéaux vacillent... des thèmes qu'on retrouve dans son nouveau long-métrage SF.
On y retrouve d'ailleurs Josh Brolin, qui sera ensuite dans Dune, ainsi qu'un génial Benicio Del Toro. Ce dernier sera d'ailleurs le protagoniste de la suite, Sicario : la guerre des Cartels, qui prolongera avec brio le récit de Villeneuve.
PREMIER CONTACT (2016)
Du drame au thriller plus ou moins tordu, il n’y avait qu’un pas que Denis Villeneuve a franchi plus d’une fois et sans trébucher. Le voir s’attaquer à la science-fiction ne relevait toutefois pas de l’évidence, mais c’est ce qu’il fait en s'emparant de l’adaptation de la nouvelle "L’Histoire de ta vie" signée Ted Chiang. Soit l’histoire d’une linguiste réquisitionnée pour tenter de communiquer avec les extra-terrestres qui ont débarqué sur Terre, et comprendre leurs intentions.
Très loin d’un Independence Day d’auteur, Premier contact garde les deux pieds sur terre, focalisé avant tout sur l’humain, et se présente comme un drame intime qui se développe dans un cadre de SF et parle avant tout de communication. Intelligent, sensible et (très) émouvant, le film ressemble finalement à son réalisateur, qui offre à Amy Adams l’un de ses rôles les plus marquants. Et injustement boudé par les Oscars.
BLADE RUNNER 2049 (2017)
Alors peut-être… Mettre du thriller puis de l’action dans son cinéma, Denis Villeneuve l’a réussi. Sortir indemne de la Compétition cannoise, même sans prix, également. Pareil lorsqu’il s’est aventuré dans la SF. Mais c’est une mission à priori impossible qui se présente face à lui lorsqu’on lui confie les rênes de Blade Runner 2049, suite longtemps évoquée du classique de Ridley Scott, et que beaucoup jugeaient aussi inutile qu’infaisable. Dès les premières images, pourtant, le doute s’installe, tant le réalisateur semble être parvenu à faire revivre l’ambiance du premier opus.
Et le résultat prouve qu’il ne s’agissait pas que de teasers et bandes-annonces habilement montés. Si certains lui reprochent un léger manque d’émotion, Denis Villeneuve réussit son pari, sur le fond comme sur la forme, en s’incarnant dans le personnage de Ryan Gosling, à la recherche de son vrai rôle dans la grande histoire et conscient de l’héritage auquel il fait face. Deux Oscars (Meilleure Photo et Meilleurs Effets Spéciaux) à l’arrivée pour ce blockbuster intelligent et imposant, qui laisse entendre que le metteur en scène a peut-être les épaules pour concrétiser l’un de ses plus grands rêves.
(Re)découvrez la bande-annonce de "Blade Runner 2049"...