Comment les cinémas ont-ils affronté la saison estivale, deuxième été sous Covid ? Quel a été l'impact de la mise en place du pass sanitaire ?
Depuis l'obligation du pass le 21 juillet, les salles auraient perdu 7 millions d’entrées, soit 50 millions d’euros de chiffres d’affaires. Ces chiffres sont ceux communiqués en ce début de semaine par le représentant des salles de cinémas françaises, Richard Patry, président de la FNCF.
Côté CNC, le Centre National de la cinématographie, les données du mois d'août attestent également une baisse du nombre d'entrées : 11,28 millions d’entrées (soit une hausse de 68,7% par rapport à août 2020). Mais une baisse par rapport au mois de juillet 2021, qui avait enregistré 14,1 millions d’entrées, porté notamment par les bons démarrages de Fast and Furious 9 et Kaamelott - Premier volet (voir le Top 10 de l'été plus bas).
Box-office : un mois de juillet en hausse malgré le pass sanitaireAu-delà de ces chiffres, quel bilan font les exploitants de salles de cinéma ? Dans quel état d'esprit sont-ils en cette rentrée ? Nous en avons sollicité plusieurs, représentant la diversité de nos salles, des multiplexes aux salles d'art et essai, sans oublier l'incontournable Grand Rex à Paris, afin de dresser un état des lieux, de leur point de vue.
Les exploitants contactés confirment que la mise en place du pass sanitaire a été un coup dur, et ce dès l'annonce du 12 juillet. "Clairement, il y a eu un avant et un après pass sanitaire, lance Sophie Dulac. Il a clairement mis à mal, et ça continue encore, l’envie des gens de venir au cinéma. La fréquentation s'en est, évidémment, beaucoup ressentie, et l'été a été assez mauvais en ce qui me concerne", selon la présidente de Maison Dulac, à la tête de 5 salles de cinémas art et essai à Paris ( l'Arlequin, le Reflet Médicis, l'Escurial Panorama, le Majestic Bastille et le Majestic Passy).
"C’est un vrai gâchis. On avait redémarré une exploitation qui était très dynamique. Les spectateurs nous ont fait la grande joie de revenir en nombre fréquenter les salles de cinéma. Début juillet, on était sur des chiffres équivalents, voire supérieurs à l’été 2019, ce qui était très encourageant", explique Arnaud Vialle, exploitant du Rex à Sarlat, en Dordogne.
"A partir du moment où il y a eu l’annonce du 12 juillet et sa mise en place le 21 juillet, ça a été une chute drastique de moins 60%. Ca a été une mise à l’abattoir. Depuis le 21 juillet, on est stigmatisés puisqu’on est les seuls à avoir été imposé comme ça, dès le 21 juillet, un pass sanitaire."
Même chute de la fréquentation observée du côté du réseau de multiplexes CGR. "Avant l’annonce du pass sanitaire, on était quasi à des chiffres records par rapport à N-2. Cela veut dire que les gens ont envie de revenir au cinéma. Et puis il y a eu l’annonce autour du 14 juillet du pass sanitaire pour une mise en place le 21, avec ce manque d’équité - 3 semaines avant tout le monde - où l’on a été dans l’œil du cyclone. Le repère, c’est le mardi où l'on était à 300 000 entrées France sur Kaamelott, et le mercredi à 60 000. Donc on a bien l’impact de l’annonce du pass sanitaire et de sa mise en place. Là, ça a été cata ! Moins 50%, peu ou prou."
Pass sanitaire : comment vont s'organiser les salles ? Le directeur du Grand Rex répondLe mythique cinéma du Grand Rex, qui avait été contraint à la fermeture temporaire l'été dernier pour la première fois de son histoire, est resté ouvert cette saison, mais a dû aussi, brutalement, accuser le coup. "Au mois de juillet, avant le pass sanitaire, on a eu des événements : il y a Fast and Furious 9, Black Widow, Kaamelott... Pour ce dernier, rien qu’en avant-première, on a fait plus de 6 000 entrées le mardi soir.On était très contents pour un mois de juillet, pour une reprise avec le Covid, avec des jauges, etc., indique Alexandre Hellmann, à la tête du Grand Rex à Paris.
"Après la deuxième phase, avec le pass sanitaire, des films comme Fast and Furious ont perdu énormément: on a enregistré moins -92%", poursuit-il.
Quels sont les tops et les flops de l'été ?
Un type de cinéma en particulier a-t-il souffert davantage qu'un autre ? Selon Richard Patry, "tous les films souffrent, car la baisse de fréquentation est assez linéaire", indique-t-il dans les colonnes de Télérama.
Le box-office estival en France est dominé par les franchises qu'elles soient américaines ou françaises comme l'illustre le top 10 des films ayant réalisé le plus d'entrées en France de juin à août inclus. Bac Nord de Cédric Jimenez (désormais proche du million d'entrées trois semaines après sa sortie) est le seul film n'étant ni une suite ou issu d'une licence à se positionner.
Sur 10 entrées, on note la présence de 3 films français, dont la pôle position, ce qui vaut à Kaamelott d'être le plus score enregistré en France pour un film depuis le début de la pandémie.
- Kaamelott - Premier volet : 2 434 035 entrées
- Fast and Furious 9 : 1 955 911 entrées
- Conjuring 3 : 1 886 996 entrées
- Black Widow : 1 662 230 entrées
- Cruella : 1 419 827 entrées
- OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire : 1 402 286 entrées
- Les Croods 2 : 1 100 940 entrées
- La Pat'Patrouille : 1 052 429 entrées
- Bac Nord : 897 551 entrées
- Pierre Lapin 2 : 885 490 entrées
Côté multiplexes, ce sont les films familiaux et jeune public qui ont assuré le meilleur remplissage des salles. "Les plus jeunes sont venus. On a vu que les films qui ont le plus marché, ce sont Pat’Patrouille, Baby Boss 2…", nous a indiqué Jocelyn Bouyssy à la tête du circuit CGR." Tous les films pour lesquels -entre guillemets- il n’y avait pas trop besoin de pass sanitaire pour les moins de 17, et les parents pour partie étaient vaccinés."
Déception en revanche pour une grande partie de l'offre de comédies françaises estivales : les résultats sont très décevants pour certaines -C'est quoi ce papy ?!, Mystère à Saint-Tropez, C'est la vie, Les Fantasmes...- .
Représentant un fort bassin de spectateurs, le public âgé n'a pas encore totalement repris le chemin des salles. Cela a avant tout eu une incidence sur le cinéma d'art et essai, même si certains films ont créé la surprise grâce à un joli bouche à oreille.
On peut citer Onoda d'Arthur Harari (plus de 40 000 entrées), Drive my car de Ryusuke Hamaguchi (90 000 entrées) ou La Loi de Téhéran de Saeed Roustayi (128 000 entrées). Parmi les reprises de l'été, on notera aussi le joli succès de la ressortie d'In the mood for love avec plus de 30 000 cinéphiles séduits.
Quel état d'esprit pour la rentrée ?
Après cet été en demi-teinte, comment se profile la rentrée ? La déferlante de blockbusters annoncés, James Bond en tête, va-t-elle attirer un public plus nombreux, et surtout rester aux dates prévues.
"Eiffel s’est décalé. Top Gun 2 également. C’est plus ça qu’on paye aujourd’hui", indique Jocelyn Bouyssy, directeur du réseau CGR. "Quand on voit la Paramount qui annonce le décalage de Top Gun 2 et Mission Impossible 7, c’est très contraignant, souligne Alexandre Hellmann, directeur du Grand Rex à Paris. Ce sont d’énormes machines qui ne sont pas là. Si vous n’avez pas de films porteurs, c’est sûr que vous n’allez pas avoir de monde. Une semaine avec un gros film qui n’est pas là, c’est quand même beaucoup d’entrées en moins", ajoute-t-il.
Aujourd’hui, on n’a qu’une crainte, c’est que le Bond se décale encore
Jocelyn Bouyssy parle de "dommages collatéraux". "On manque un peu de matière. Aujourd’hui, il y a une frange de la population qu’il faut faire revenir. (...) Un cinéma sans films, ça ne sert à rien. Si les gens ne reviennent pas, on leur donne moins envie, ils ne voient pas de bande-annonce, c’est un cercle vicieux. Il faut qu’on arrive à retrouver de la sérénité".
"Les distributeurs dépensent de l’argent pour que le film existe. Il ne faut pas oublier qu’il y a plus de 700 films qui sortent sur le marché chaque année, qu’il y en avait beaucoup qui attendaient de sortir pendant les confinements, donc peut être qu'ils se bousculent un petit peu pour la rentrée, rappelle Sophie Dulac, à la fois exploitante de cinémas et distributrice de films au sein de la structure Maison Dulac. "Si les distributeurs ne sont pas certains que les gens vont venir, que les gens sont frileux à cause du pass sanitaire, oui, ils vont attendre."
"Cela fait un an et demi que doit sortir James Bond, peut être même plus, et là il va enfin sortir, s’il n’est pas encore décalé, poursuit-elle. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. On a besoin des films, et les distributeurs ont besoin de public", conclut-elle.
Les exploitants ont besoin de films, et les distributeurs ont besoin de public.
"C'est cette situation d’instabilité qui fait peur dans le métier. Quand est-ce qu’on sera "sûrs" que ça s’arrête, pour que toutes ces machines ne se décalent pas ? Aujourd’hui, on n’a qu’une crainte, c’est que le Bond se décale encore", explique Alexandre Hellmann qui croit beaucoup à l'importance de l'offre pour attirer le public.
"Quand il y a eu les attentats en novembre 2015, il n’y avait plus personne du jour au lendemain dans les salles de cinéma. Plus personne. Un mois après, quand Star Wars 7 est sorti, on ne pouvait plus marcher sur le trottoir autour du Grand Rex tellement il y avait de monde. Il faut des films pour lesquels les gens ont envie d’aller au cinéma."
Les films événements de la rentrée : Shang-Chi, Dune, Boîte noire...Dune, remake signé Denis Villeneuve, sera l'une des locomotives de cette rentrée sur laquelle le Grand Rex misera, ce lundi 6 septembre, avec une avant-première publique en présence d'une grande partie du casting. Il s'agira du premier grand tapis rouge de ce type avec une distribution internationale à Paris depuis le début du premier confinement.
Y a-t-il une alternative au pass sanitaire ?
Outre les incertitudes sur un potentiel effet domino du report de sorties dans le sillage de Top Gun 2 et Mission Impossible 7, d'aucuns s'interrogent sur l'obligation du pass sanitaire.
Arnaud Vialle, directeur du Rex à Sarlat, préconiserait de revenir au système de jauge comme en mai-juin dernier. "Je crois que tout le monde souffre de ces décisions qui sont hâtives, qui ne sont pas calculées, qui ne sont pas réfléchies. Remettons les choses qui marchent. Nous, on serait très heureux de pouvoir accueillir tout le monde, dans les salles de cinéma. On ne peut pas faire un barrage comme ça à la culture et aux accès de salle de cinéma. Ce qui marche, c’est une jauge à 65% avec le masque dans les salles de cinéma."
Pour mémoire, jusqu'au 8 août, certains exploitants avaient mis en place une alternative, en baissant leur jauge à moins de 50 personnes afin de ne pas avoir à imposer la présentation d'un pass.
Cinémas : les séances à moins de 50 places autorisées sans pass sanitaire"Il ne faut pas oublier que nous sommes dans une situation inédite, contraste Alexandre Hellmann. Je pense sincèrement que nos politiques font ce qui est le mieux pour sortir de cette crise. Le pass sanitaire, oui, pour le moment, c’est contraignant à court terme. Si on regarde plus à long terme, on est obligé de passer par le vaccin. Si on commence à faire des petites mesures à gauche à droite pour y arriver, ce n’est pas comme ça qu’on va s’en sortir. Et il ne faut pas oublier qu’on reçoit des aides de l’Etat, donc à un moment, vous n’êtes pas vraiment perdant".
Des interrogations demeurent également sur l'accessibilité des salles aux plus jeunes à la fin du mois de septembre. "Quid des jeunes de moins de 18 ans, qui, le 30 septembre, vont devoir adhérer au pass sanitaire ?, s'interroge Jocelyn Bouyssy de CGR. Est-ce que la vaccination pendant un mois sera suffisante pour que l’on n’ait pas de déperdition. Tout ça ce sont encore des doutes.
En même temps, je veux être résolument optimiste, sinon on ne s’en sortira jamais. On est plein d’espoir mais on a passé un été compliqué. D’où l’accompagnement que l’on demande, poursuit-il. On ne peut pas être dans le stop du "Quoi qu’il en coûte". Aujourd’hui on est dans la négociation d’accompagnement parce qu’on est impactés de plein fouet."
Tous les regards sont à présent tournés vers James Bond ? Mourir peut attendre, attendu le 6 octobre, vient de dévoiler sa bande-annonce finale, laissant présager que sa sortie mondiale est bel et bien maintenue.