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    Les Intranquilles : jusqu'où sont allés Leïla Bekhti et Damien Bonnard pour ce film intense
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Par la force de son sujet et l'intensité de ses interprètes, "Les Intranquilles", nouveau film de Joachim Lafosse, devrait trouver un écho en chacun. Ses comédiens Leïla Bekhti et Damien Bonnard, et son réalisateur se confient sur ce film à part.

    Les Intranquilles, présenté en compétition au Festival de Cannes en juillet dernier, suit un couple, Leila et Damien, faisant tout pour rester uni, malgré la maladie. Le nouveau film de Joachim Lafosse s'intéresse à un homme (Damien Bonnard) souffrant de bipolarité, et comment sa femme (Leïla Bekhti) fait face aux épreuves. 

    Nous avons rencontré l'équipe du film qui nous a parlé notamment de l'ambiance particulière de tournage (qui a eu lieu après le premier confinement) ou encore de la préparation. Son réalisateur et coscénariste Joachim Lafosse nous a également parlé de ses origines d'où il a puisé la matière pour raconter cette histoire forte.

    Un récit intime et universel

    Comme nous l'a confié Joachim Lafosse, l’envie de ce film "part de son enfance". Et d'ajouter d'emblée : "Mais ma petite histoire, mon enfance n’est pas forcément intéressante. Ce qui est fou, c’est d’avoir écrit un scénario à partir de cette histoire, de l’avoir donné à Leila [Bekhti] et Damien [Bonnard], et eux m’ont emmené pour donner forme à ce film, ce qui m’a ramené à des affects, des émotions que l’adulte que je suis avait peut être même oublié."

    "Mes parents ont pu voir le film, et ça a été l’occasion de leur dire combien j’étais fier d’eux. J’ai un Papa qui a été hospitalisé pour des phases de maniaco-dépression, bipolarité, et de pouvoir, avec le film, et avec ce que Damien et Leila en ont fait de pouvoir en même temps dire à mon père : 'Je suis fier de toi, tu n’es pas retourné à l’hopital depuis 30 ans, c’est génial'."

    "Puis, d'avoir des acteurs qui vous disent à un moment : 'Tu sais quoi, on va garder nos prénoms', et qui, en répétition, s’emparent de chaque scène pour les amener encore plus loin que ce que vous avez écrit, c’est génial. C’est ce qui peut arriver de plus beau à un auteur."

    Une expérience de tournage singulière

    "Cela faisait très longtemps que j’essayais de vivre ça pour un film, confie le réalisateur. C’est-à-dire que j’invitais mes collaborateurs à proposer, à donner, et après je fais mon modelage avec tout ça. Mais pour ça, il faut des gens qui n’ont pas peur d’oser. Je ne peux pas travailler avec des gens qui disent : 'ok, tu nous dis ce qu’on fait'. Ca ne m’amuse pas, il n’y a pas d’altérité. Moi ce qui m’intéresse, c’est que Leila me bouscule et me dise les choses."

    "C’est vrai qu’on s’est tous bousculés, complète Leïla Bekhti. On a eu une chance incroyable, 80% du film se passait dans un même décor. Et on a pu répéter 10 jours avant le tournage, on a pu réécrire des scènes, et ce qui ne nous a pas empêché de les réécrire ensuite. On ne s’est jamais arrêtés de travailler. Et j’avais la même ferveur pour des scènes dans lesquelles je n’étais pas. Mais de toute façon je ne vois pas ce métier comme un travail solitaire. Moi c’est le collectif qui m’anime." 

    Joachim Lafosse ajoute : "Quand on est face à la psychose d’un compagnon, d’une compagne, on prend "cher". Ca ne permet pas de faire la fête, d’aller retrouver ses copines… J’ai demandé à Leila de venir fatiguée, et de travailler physiquement de manière à ce qu’on sente qu’elle est atteinte physiquement. Et franchement, c’est d’une générosité incroyable d’avoir accepté et d’y être allé".

    Leïla Bekhti considère que cette demande l'a justement "beaucoup aidée". "J’ai adoré chercher, j’ai adoré être épuisée. Il n’y avait que ça : on rentrait, on dormait, on se réveillait, on repartait. J’aime bosser ; j’adore fouiner, ne pas trouver, qu’on cherche ensemble, qu’on ne se formalise pas. Et c’est vrai que c’est un tournage qui était assez intense. Mais dans tous les sens du terme."

    "On a eu beaucoup de facilités à se dire les choses au sein de l’équipe", indique-t-elle. "Et il y avait toujours quelqu’un de l’équipe pour venir soutenir. Disant Faut pas que tu lâches ! Il y a plein d’exemples comme ça, et ce n’est juste pour faire de la promo", renchérit Joachim Lafosse. 

    Une préparation intense

    Ce rôle a nécessité une préparation particulière pour Damien Bonnard. Outre aller à la rencontre de personnes atteintes de bipolarité, l'acteur s'est prêté à une longue préparation, sur laquelle il revient à notre micro :

    "Quand j’allume la machine pour la préparation, j’essaye d’allumer tous les boutons. J’ai été à plein d’endroits différents et c’est Joachim Lafosse qui m’a permis de le faire et la production, qui m’ont accompagnés là-dedans.

    J’ai d’abord travaillé avec le peintre référent du film pour pouvoir peindre à sa place, et que ça soit crédible. Ensuite, je me suis formé au catamaran. Après j’ai appris le crawl. J’ai également appris à dépasser ma peur de la haute mer. Nager en pleine mer était quelque chose qui me faisait ultra peur. Joachim m’a accompagné et on a passé du temps pour se rassurer dans l’eau, et je n’en ai plus peur. J’ai pris 14 kilos pour le film."

    Et de poursuivre : "J’ai passé beaucoup de temps à Sainte Anne avec un docteur spécialiste des maniaco-dépressifs qui s’appelle Luc Foucher, avec qui on a beaucoup échangé sur le scénario, sur les effets des médicaments.

    J’ai également travaillé avec une psychiatre qui m’a permis de rencontrer des patients qui souffraient de ça avec qui j’ai pu échanger. J’ai lu des livres, notamment de Gérard Garouste, qui a écrit un très beau livre, L’Intranquille. Puis j’ai crée mon Damien."

    Les Intranquilles
    Les Intranquilles
    Sortie : 29 septembre 2021 | 1h 54min
    De Joachim Lafosse
    Avec Leïla Bekhti, Damien Bonnard, Gabriel Merz Chammah
    Presse
    3,9
    Spectateurs
    3,5
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    Damien Bonnard détaille ce qu'il a appris de cette maladie auprès de patients : "Cette maladie est composée de phases maniaques, qui sont des phases de grande envie, de grande joie, de grande euphorie.

    C’est comme une espèce d’élan vital mais survolté, et d’avoir envie de faire des choses riches et hyper généreuses. Du coup, elles sont très amplifiées, et parfois trop. Mais c’est aussi endroit de liberté totale, et qui en même temps, parfois, agresse les autres. 

    C’est suivi par des phases de dépression totale qui sont des endroits où l’on est pratiquement sans vie, souvent accompagnées de médicaments qui sont très costauds, dont le lithium et des choses comme ça.

    Chaque phase maniaque est suivie de la phase de dépression. On sait qu’après chaque phase jouissive, ça sera suivi forcément d’un contrecoup qui est ultra violent, mais quand on est dedans, on ne rêve que d’une chose, c’est de pouvoir revivre l’euphorie. C’est une espèce d’épée de Damoclès qui est en permanence au-dessus de soi."

    Si la maladie occupe un rôle central du film, Les Intranquilles raconte avant tout une histoire d'amour : "Le film parle surtout d’amour et de ce qu’on fait quand quelque chose vient dérégler une stabilité et un équilibre, et comment est-ce qu’on le transforme.

    Est-ce qu’on l’abandonne, est ce qu’on le fuit, est-ce qu’on le quitte, est-ce qu’on le répare… Dans un monde où l’on a plutôt tendance à abandonner assez facilement dès qu’il y a une petite difficulté, on arrête les histoires, on ne cherche pas à les réparer", souligne Damien Bonnard.

    A propos de son personnage, Leïla Bekhti poursuit : "Il y a cette femme dont le métier est de restaurer des meubles. En quelque sorte, elle répare des meubles abîmés... C’est comme si elle avait un mari abimé et qu’elle le restaurait. Et le jour où il n’a plus envie de se restaurer de cette manière, ça lui fait peur.

    Ce sont des places qu’ils se sont donnés. Le couple, c’est ça. Au bout de quelques années, tu peux tourner en rond, quand il n’y a plus trop de communication, et être à des places qu’on n’avait pas forcément envie d’avoir, mais qui te rassurent aussi. Ça me fascine, même dans la vie. De parler de tout ça. Ce que j’aime, c’est que c’est un film qui pose des questions, qui est assez dans la psychologie, mais ce n’est pas ' psychologisant'. Il n’y a rien de didactique."

    A propos de la résonance que peut trouver le film chez tout un chacun, Damien Bonnard explique : "On sait très bien que le confinement, ce sont des moments où de nombreux couples ont éclaté, d’autres se sont formés. Mais ce sont aussi des moments où plein de gens se sont remis en question sur leur vie, ont revu leur priorité. Est-ce que j’ai vraiment besoin de ça ? Est-ce que c’est ça que je veux ? D’essayer de faire évoluer les choses. Le film parle de ça aussi. Comment on fait évoluer les choses quand ça coince quelque part. Le Covid, personne d’entre nous ne l’avait imaginé, et on se retrouve à vivre ça. Qu’est ce qu’on en fait et qu’est-ce qu’on remet en question à partir de ça ?".   

    Une fin imaginée sur le tournage

    Les Intranquilles a ceci de particulier que la fin a été décidée sur le tournage par les acteurs eux-mêmes. 

    "Quand j’ai vu la qualité de leur répétition, de leur travail, et pendant ce temps, je ne trouvais pas la fin du film, je leur ai proposé un truc... La fin, c’est vous qui allez l’écrire ! Vous allez choisir en fonction de ce que vous avez vécu vous-mêmes, avec vos personnages !"

    "C’est génial. C’est merveilleux et en même temps, c’est vertigineux, s'enthousiasme Leïla Bekhti.  A force de vouloir être dans la vérité de cette famille, on a créé une famille. On s’est comportés ensemble comme si on se connaissait depuis toujours."

    Les Intranquilles sort sur les écrans le 29 septembre 2021. Il était en compétition cette année au Festival de Cannes.

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