Dans Un Triomphe, en salles depuis le 1er septembre, Kad Merad campe Etienne, un acteur en galère. Pour boucler ses fins de mois, il accepte d’animer un atelier théâtre en prison. Surpris par les talents de comédien des détenus, Etienne se met en tête de monter avec eux une pièce sur la scène d’un vrai théâtre. Commence alors une formidable aventure humaine.
UNE HISTOIRE VRAIE... SUÉDOISE
Cette comédie feel good s'inspire d'une incroyable histoire vraie s'étant déroulée en 1985 en Suède. L’acteur et metteur en scène Jan Jönson monte avec les détenus de la prison de haute sécurité de Kumla En attendant Godot, de Samuel Beckett. Le jour de la première publique à Göteborg, cinq des six acteurs s’évadent. Trente-cinq ans plus tard, Jan Jönson revient sur cette expérience théâtrale insolite et cocasse.
À l’époque, Jönson était acteur au Théâtre National de Suède. Depuis plusieurs mois, il jouait un monologue, The Man himself, écrit par Alan Drury. Il s'agissait de la confession d’un jeune homme en quête d'identité. Après la dernière à Stockholm, un spectateur est venu voir le comédien après le baisser de rideau. "N’arrêtez pas ce spectacle, c’est une pièce très importante. Il faut que vous la jouiez dans tous les théâtres, mais aussi dans les universités, partout !"
DU THÉÂTRE EN PRISON
C’était le directeur de la prison de Kumla. Ce dernier demande à Jan Jönson de venir le jouer dans sa prison, pour ses détenus. L'acteur accepte et se retrouver à faire sa performance devant 75 prisonniers, "qui me regardaient d’à peu près trente manières différentes, en me jaugeant", se souvient le comédien.
Dès la première réplique, "Je m’appelle Michael", l’un des détenus insulte Jönson, lui disant d’aller se faire foutre, geste explicite à l’appui. "J’étais un peu effrayé alors j’ai repris : "Je m’appelle Michael." En le regardant du coin de l’oeil, j’ai vu qu’il commençait à écouter. À la fin du spectacle, zéro applaudissement, un silence total. J’ai quitté la scène, les gardes m’ont demandé d’y retourner pour parler aux détenus. Et le type qui m’avait insulté s’est levé et m’a dit : "Revenez et apprenez-nous à faire du théâtre". Et il m’a tendu une rose rouge, je n’ai jamais su où il l’avait trouvée", confie l'artiste.
Pendant le spectacle, Jönson avait vu tous ces visages, ces spectateurs étranges assis face à lui. Au milieu du monologue, il a commencé à penser à En attendant Godot. "Je me suis dit, ce sont eux, les personnages de la pièce de Beckett. Alors, j’ai dit : - Je ne sais pas si je peux vous apprendre à jouer mais je peux déjà revenir et lire une pièce. - Laquelle ? - En attendant Godot. Alors, un autre homme s’est levé, et il m’a dit d’une grosse voix : "Beckett est mon héros." Je leur ai raconté ma vie, pourquoi j’étais acteur, comment j’avais découvert Beckett, à 14 ou 15 ans, en jouant l’enfant dans Godot. Le directeur a accepté : "Venez dans ma prison, passez-y le temps qu’il faudra, un an même, et montez la pièce.""
Jan Jönson est retourné à la prison régulièrement pendant un an, le temps d’une longue période d’amitié avec ces détenus. Les lectures ont commencé avec une vingtaine de prisonniers. À un moment, le metteur en scène a dû en choisir cinq. "J’avais peur de dire à l’un ou l’autre que je n’avais pas besoin d’eux, je retardais ce moment. Ils me fascinaient tous. J’écoutais leurs voix, j’observais leur langage corporel. Un jour eux-mêmes m’ont dit : "il est temps de choisir." En ajoutant que ceux qui ne seraient pas sur scène pourraient toujours travailler à la technique, en coulisses. J’ai pris les deux détenus qui m’avaient interpellé le soir du monologue, le premier pour jouer Vladimir, le second Pozzo", explique le suédois.
DE LONGUES RÉPÉTITIONS
L'artiste a répété très longtemps le premier acte de la pièce avec les prisonniers (il n'avait les droits que pour le premier acte). Au bout d’un an, ils ont trouvé le bon rythme et les bons silences. "On a joué dans la prison et on nous a dit que ce serait bien de montrer notre travail dans un vrai théâtre. Alors, ces détenus, dont certains n’étaient pas sortis depuis près de dix ans ont reçu l’autorisation d’aller jouer à Göteborg. Pour la première fois de leur vie, ils ont rencontré des gens qui les écoutaient", se souvient Jönson.
Ce dernier reçoit alors une lettre de Samuel Beckett en personne ! Il avait entendu parler de leur travail et voulait rencontrer ce fameux Jan Jônson. "Il m’a fixé rendez-vous dans un café, à Paris, près du Panthéon. Je lui ai raconté la prison, les répétitions, etc. Il m’a regardé fixement : - Pourquoi n’avez-vous joué que la moitié de la pièce ? - On n’a pas pu s’acquitter de l’intégralité des droits. Il a pris une serviette en papier, et il a écrit au crayon qu’il m’offrait la pièce. "Repartez, montrez ça à mon éditeur en Suède, repartez sur la route et racontez-moi ce qui s’est passé.""
LA GRANDE ÉVASION
Jönson et ses comédiens-détenus ont finalement répété la pièce toute entière. Ils devaient la jouer trois fois dans trois théâtres. À Göteborg, toutes les places s’étaient vendues. "Il y a eu une conférence de presse le matin. Après déjeuner, le directeur, le détenu qui jouait Pozzo et moi avons fait des raccords techniques. Les quatre autres m’ont dit : "on vous rejoint dans dix minutes." Et ils ont disparu. Je les ai cherchés partout, en vain. Alors, à l’heure de la représentation, je suis monté sur scène, et je suis resté deux heures, deux heures d’impro, il fallait que je sorte ça de mon corps", confie l'artiste.
Un peu plus tard, Jönson revoit Samuel Beckett à Paris. "- Parle-moi de la représentation. - Sam, on a eu quelques problèmes. - Quel genre de problèmes ? - Six heures avant le lever de rideau ils se sont tous enfuis, sauf Pozzo. - Enfuis ? Il a commencé à rire, sans pouvoir s’arrêter. Et il a ajouté : « C’est ce qui est arrivé de mieux à ma pièce depuis que je l’ai écrite. » Peu de temps après, mes acteurs m’ont téléphoné, ils étaient en Espagne. Depuis, ils sont rentrés en Suède. Maintenant ils sont libres", conclut le metteur en scène.
Kad Merad : "J'ai vécu au rythme de la prison pendant le tournage"