The Aversion project. C’est le nom du programme destiné à “guérir” les soldats homosexuels de l’armée sud-africaine pendant l’apartheid. Dirigée par le docteur Aubrey Levin dès 1969, cette méthode médicale visait à infliger des tortures aux conscrits désignés comme “déviants”. Ces derniers étaient admis à l’hôpital militaire de la base de Voortrekkerhoogte - aussi appelé Ward 22 -, près de Pretoria, pour subir des traitements par électrochocs ou des chirurgies de réassignation sexuelle. Au total, près de 900 hommes et femmes auraient été victimes de ces sévices jusqu’en 1987.
Ce pan de l’histoire, oublié de la mémoire collective, est le sujet de Moffie, quatrième long métrage du réalisateur Oliver Hermanus. Il y raconte le destin de Nicholas (Kai Luke Brummer), un adolescent de 16 ans sommé d’effectuer son service militaire. Lorsqu’elle rejoint les troupes, la jeune recrue, déjà peu bavarde, fait profil bas.
Là-bas, il n’y a pas de place pour les “moffies” - une insulte sud-africaine qui désigne les homosexuels. Mais lorsqu’il croise le regard de Dylan (Ryan de Villiers), un autre soldat, sa couverture est menacée et le danger se rapproche. “Je connaissais l’existence des thérapies de conversion, mais faire ce film m’a permis de découvrir des choses que je ne soupçonnais pas”, admet Oliver Hermanus à AlloCiné.
En Afrique du Sud, le traumatisme des anciens soldats est un sujet épineux. Celui des victimes de ces traitements l’est encore plus. Leurs témoignages sont rares, presque inexistants. Le réalisateur se remémore celui d’une auditrice alors qu’il participait à une émission de radio après le tournage du film. Elle expliquait avoir subi l’une de ces chirurgies forcées.
Moffie est l’adaptation des mémoires d’André Carl van der Merwe, un auteur et ancien conscrit, lui-même homosexuel, mais le film s’accorde quelques libertés. Pour faire ses recherches, le cinéaste s’est principalement tourné vers internet.
À défaut de pouvoir en parler librement, beaucoup de vétérans se réfugient sur les réseaux sociaux, notamment sur Facebook où ils créent des groupes pour retrouver leurs anciens camarades et partager leurs expériences. “Ces espaces de discussions sont publics et sont devenus de véritables sources d’informations pour moi”, fait savoir Oliver Hermanus.
À travers le périple de son personnage principal, le réalisateur s’intéresse à la peur d’être démasqué pour être qui l’on est. “N’importe quel homme homosexuel au monde sait à quel moment il a compris qui il était, avant de s’enterrer lui-même sous un sentiment de honte”, précise-t-il. Le titre s’inscrit dans cette idée. “Moffie”, comme “tapette”. Un mot lourd de sens qu’Oliver Hermanus décrit comme “une arme pour blesser les hommes”. Cette expression est scandée à de multiples reprises par les hauts gradés du film.
“Ce n’est pas seulement un mot pour fustiger les homosexuels, mais aussi pour mesurer la masculinité de chacun. Il insinue qu’être un homme repose sur des critères bien précis et si vous ne correspondez pas à ces critères, alors vous n’êtes pas un homme", poursuit-il. C’est le thème même de ce drame. Visuellement saisissant et psychologiquement difficile, Moffie se refuse pourtant à tout sensationnalisme.
À sa sortie en Afrique du Sud, le film a suscité de nombreuses réactions, surtout de la part d'anciens soldats. "C'est un pays très divisé et les avis l'étaient tout autant, conclut le metteur en scène. Nous avons fait un film qui pointe du doigt les mauvaises actions de l'armée et c'est quelque chose que certains n'arrivent pas à accepter. Ce n'est jamais facile d'admettre que l’on participait pleinement au problème."
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 21 juin 2021.
Découvrez la bande-annonce de "Moffie" :