1,7 million. C'est le nombre, en 2019, de nouvelles contaminations au VIH d'après l'Organisation des Nations unies (ONU). Aujourd'hui encore, les maladies liées au sida provoquent pas moins de 690 000 décès. À l'initiative de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), la Journée mondiale de lutte contre le sida est organisée tous les 1er décembre et ce, depuis 1988. Elle vise à soutenir les personnes malades, à poursuivre les opérations de sensibilisation et à saluer la mémoire des disparus.
Afin de participer à cet évènement important, sous le prisme du cinéma et de la télévision, un bond en arrière s'impose. Un coup d'œil dans le rétroviseur pour se remémorer les premières œuvres qui ont traité du sida à l'écran. Certaines restent cultes, d'autres sont méconnues, mais toutes ont permis de briser les tabous et de dissiper les préjugés. Retour sur quatre dates clés.
1983, à la télévision
Cette année-là, le professeur Luc Montagnier et des chercheurs de l'Institut Pasteur, à Paris, rendent public leur découverte du virus responsable du sida dans le magazine Science. Sept mois plus tard, le 21 décembre 1983, la maladie est abordée pour la première fois dans une œuvre de fiction. Et c'est la série américaine Hôpital St Elsewhere qui franchit le pas. Le neuvième épisode de la saison 2, intitulé Sida et réconfort - Aids and Comfort en version originale -, met en scène un patient porteur du syndrome.
Le personnage, incarné par Michael Brandon, est présenté comme un homme politique, marié et père de famille. Admis dans l'établissement, il tient à garder son anonymat pour le bien de sa carrière. L'épisode cumule de nombreux clichés sur la maladie, encore considérée, en 1983, comme le "cancer gay". Malgré tout, il reflète avec brio les conditions dans lesquelles ces patients étaient traités à l'époque : isolement, harcèlement, culpabilité et hostilité de la part du corps soignant.
C'est une révolution qui s'opère sur le petit écran. Grâce à cette intrigue, Hôpital St Elsewhere - ancêtre de Urgences et de Grey's Anatomy - suit l'actualité de façon quasi instantanée, de la même manière que les quotidiennes et les séries sont les premières à parler de la COVID-19. L'épisode se conclut par une fin inspirante durant laquelle un journaliste à la radio fait savoir que l'homme politique a annoncé publiquement la nouvelle.
1985, au cinéma
Du côté des films, le sujet est abordé deux ans plus tard. Un Printemps de glace de John Erman est souvent considéré comme le tout premier long métrage à parler du sida. Il s'agit en réalité de Buddies, réalisé par Arthur J. Bressan Jr, lui-même malade. Le cinéaste tourne le film dans l'urgence - 27 000 dollars de budget pour neuf jours de tournage seulement. Injustement méconnu, le drame, au ton très politique, ne sort que dans une poignée de cinémas d'art et d'essai après sa grande première à San Francisco, fin septembre 1985.
Le film suit David (David Schachter), un jeune homosexuel qui se porte volontaire pour accompagner un patient, Robert (Geoff Edholm), durant les derniers jours de sa vie. D'abord étrangers l'un pour l'autre, les deux hommes vont se lier d'amitié. L'histoire s'inspire du Buddy Program, une initiative qui permet à des bénévoles d'apporter un soutien moral aux personnes atteintes du sida, souvent rejetées par leur famille.
Grâce à son petit budget, le film fait preuve d'un réalisme déconcertant et s'ouvre sur un générique qui recense tous les noms des hommes décédés sur plusieurs années. Introuvable pendant un certain temps, le long métrage a fait l'objet d'une restauration grâce à la sœur du réalisateur, Roe Bressan. "Si Buddies est mon dernier film, alors c'est une belle manière de partir", proclamait Arthur J. Bressan Jr., avant de disparaître en 1987 à l'âge de 44 ans.
Un Printemps de glace, quant à lui, est diffusé à la télévision américaine un mois et demi plus tard, en novembre 1985. Porté par Gena Rowlands, Aidan Quinn et Ben Gazzara, le mélodrame raconte le retour de Michael (Aidan Quinn) chez ses parents pour révéler son homosexualité et sa maladie. Le soir de la diffusion, les annonceurs boycottent le long métrage, ce qui cause une perte d'un demi-million de dollars pour le groupe NBC. Néanmoins, Un printemps de glace rassemble plus de 34 millions de téléspectateurs et récolte de nombreux prix. Un succès indispensable pour une meilleure visibilité.
1985 marque également la sortie du premier documentaire sur la pandémie. Réalisé par Nick Sheehan, No Sad Songs met en lumière le témoignage édifiant de Jim Black, un Canadien de 37 ans. "Je suis mentalement prêt à mourir", lance-t-il face caméra, en arborant, non sans ironie, le célèbre t-shirt de George Michael, "Choose Life". D'autres voix, notamment issues du milieu associatif, viennent porter son discours pour dénoncer les discriminations et l'inaction totale de la classe politique.
1988, en France
Dans l'Hexagone, il faut encore attendre. Avec Mauvais sang, sorti en 1986, le cinéaste Leos Carax met en scène la propagation d'une maladie fictive, baptisée la STDO, qui contamine ceux qui font l'amour sans aimer. Or, le réalisateur s'arrête à la métaphore. Le mot "sida" n'est jamais prononcé. Ce n'est qu'en 1988, avec Encore de Paul Vecchiali, que le sujet est abordé pour la première fois de manière frontale.
Le long métrage relate la vie sentimentale de Louis (Jean-Louis Rolland) sur une période bien définie, entre 1978 et 1987. Le héros est un père de famille qui quitte sa femme pour vivre son homosexualité avant de tomber malade. "C'est grave ce qu'il se passe en Amérique. Ici aussi ça commence à être inquiétant", se soucie l'ex-compagne dans l'une des séquences du film. Projet indépendant et à la structure peu habituelle, Encore ne parvient malheureusement pas à toucher un grand public.
Le regard d'Hervé Guibert
Mais le 30 janvier 1992, TF1, première chaîne d'Europe, diffuse La Pudeur ou l'impudeur de l'écrivain Hervé Guibert en seconde partie de soirée. Peu après la publication de son ouvrage À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie, l'auteur documente, entre 1990 et 1991, son quotidien avec la maladie. Caméscope en main, il filme ses séances de kiné, ses rendez-vous à l'hôpital ou encore ses visites chez ses grands-tantes, Suzanne et Louise. D'une grande dureté, le documentaire met les Français en face d'une réalité. Hervé Guibert décède quelques jours avant la diffusion, le 27 décembre 1991, à l'âge de 36 ans.
Le sida continue de gagner en visibilité en octobre 1992. Ce mois-là, Cyril Collard sort Les Nuits fauves, film adapté de son livre autobiographique du même nom. Dans les salles, c'est un triomphe, avec près de trois millions d'entrées. La médiatisation du phénomène est une étape de plus dans la représentation des malades en France. Encensé par la profession, le long métrage reçoit quatre César, dont celui du meilleur film. L'acteur et réalisateur disparaît trois jours avant la cérémonie, le 5 mars 1993. Il avait 35 ans.
1993, du côté d'Hollywood
Aux États-Unis, il n'existe pas encore de succès semblable à celui des Nuits fauves. Des films comme Clins d'œil sur un adieu de Bill Sherwood, en 1986, ou Un compagnon de longue date de Norman René, en 1989, n'attirent qu'un public averti. L'année 1993 change la donne. TriStar Pictures, important studio Hollywoodien, sort Philadelphia, réalisé par Jonathan Demme. Son impact est mondial, ce qui place le sida au cœur de la culture populaire.
Il reçoit les éloges de la critique et deux Oscars : le premier pour Tom Hanks et le second pour la chanson culte de Bruce Springsteen, Streets of Philadelphia. En France, le long métrage attire plus de 2 700 000 spectateurs - presque autant que Les Nuits fauves - et fait la Une des journaux. C'est le cas de Libération, qui lui consacre plusieurs pages dans son édition du 9 mars 1994 pour la sortie française. "Son souci de rameuter le grand public peut crisper mais sa vertu pédagogique est sa force essentielle et nécessaire", écrit le quotidien.
Oui, Philadelphia reste un pur produit hollywoodien. Le studio choisit une distribution bien identifiée, Tom Hanks et Denzel Washington en tête, pour incarner des personnages virils et sans excès. De quoi rassurer l'opinion publique. Toutefois, plus d'une cinquantaine de figurants atteints du sida ont été engagés pour participer au projet, devenu un classique. Ses petits défauts, comme son aspect conventionnel, sont pardonnables tant le film œuvre pour la représentation du sida. L'important, c'est d'en parler.
(Re)découvrez la bande-annonce du film "Les Nuits fauves" de Cyril Collard :
Et la bande originale du film "Philadelphia" de Jonathan Demme :