Particulièrement éprouvant, physiquement et moralement, le tournage de Star Wars laisse des traces chez George Lucas. Brouilles avec son équipe technique, budget largement dépassé, retard sur le planning de tournage, post-production interminable...
De quoi achever de convaincre le cinéaste de passer la main sur le prochain volet de sa trilogie en devenir, d'autant que, de son propre aveu, la réalisation ne le passionne guère. Il préfère rester dans le fauteuil du producteur, qui lui permet en outre d'avoir logiquement une vue d'ensemble du développement du prochain film.
Il passe donc intelligemment la main à Irvin Kershner pour L'Empire contre-attaque, qui sort en 1980, et que beaucoup considèrent comme le meilleur film de la trilogie originale. Après Un nouvel espoir, c'est encore un gros succès au Box Office mondial.
George Lucas contrarié
Pour le troisième et dernier volet, Le Retour du Jedi, Lucas se met à nouveau en chasse pour trouver un réalisateur sur lequel il pourra se reposer et appuyer la vision de l'univers qu'il a créé. Et pourquoi pas son vieux complice Steven Spielberg justement, lui qui vient tout juste de mettre en boîte Les Aventuriers de l'Arche perdue, dont l'histoire a été écrite par George Lucas ?
L'espoir de confier les rênes du film à son ami est de courte durée. En 1980, Lucas se voit en effet infliger une amende plutôt salée de 250.000 $ par la toute puissante Directors Guild of America, pour ne pas avoir crédité sur L'Empire contre-attaque le nom du réalisateur au début du générique, Irvin Kershner.
En fait, le syndicat estime que la mention "Lucasfilm" (sa société créée en 1971, composée de son nom donc) induisait que c'était le producteur qui avait réalisé le film, et non pas le réalisateur. Lucas paye l'amende, mais, échaudé par l'affaire, se retire de la Directors Guild of America.
Si l'adhésion à l'organisme n'est pas obligatoire, il est en revanche interdit pour un de ses membres de réaliser un film en marge des conventions nouées avec les Majors. De fait, en tant que membre de la DGA, Spielberg n'a ainsi pas pu accepter l'offre de son ami, qui vient tout juste de claquer la porte du syndicat avec fracas.
"Vous venez de perdre des millions de dollars !"
Cherchant en dehors de la DGA, Lucas s'intéresse au profil de David Lynch, tout juste auréolé d'ailleurs d'une citation à l'Oscar du Meilleur réalisateur pour son éblouissant Elephant Man. "George a demandé à me rencontrer pour parler avec lui de ce qui serait le 3e volet de Star Wars. Mais j'avais à peu près aucun intérêt [sur ce projet]" a raconté bien plus tard Lynch à propos de cette rencontre.
Et d'ajouter : "mais j'ai toujours admiré George. George est quelqu'un qui fait ce qu'il aime. Et je fais ce que j'aime. La différence est que George aime faire des centaines de millions de dollars. Donc j'ai pensé qu'il fallait y aller et au moins le rencontrer, et c'était incroyable".
Le réalisateur, qui n'a à cette époque que deux films au compteur (avec Eraserhead en 1977) suggère alors à Lucas de réaliser le film lui-même, pour qu'il corresponde davantage à sa propre vision. Une rencontre qui se place aussi sous le sceau du secret absolu, vu les attentes concernant la conclusion de la trilogie et les enjeux financiers derrière.
"J'ai dû aller à ce bâtiment de Los Angeles. J'ai dû avoir une carte de crédit spéciale, puis des clés spéciales. Une lettre m'a ensuite été envoyée, ainsi qu'un plan. Puis je suis allé à l'aéroport, et je me suis envolé. Ils avaient déjà une voiture de location prête pour moi. Tout était déjà organisé. J'ai conduit jusqu'à cet immeuble, et j'ai rencontré George. Nous avons un peu discuté. Puis il m'a dit : "je veux vous montrer quelque chose..."
Lynch ajoute : "À ce moment-là, j'ai commencé à avoir un petit mal de tête... [...] Il m'a emmené à l'étage. Et il m'a montré ces choses appelées Wookies. Et maintenant, ce mal de tête s'intensifie. Il m'a montré de nombreux animaux et des choses différentes.
Puis il m'a emmené faire un tour dans sa Ferrari pour le déjeuner. Et George n'est pas très grand. Donc, il a dû reculer son siège, il était presque allongé dans la voiture. Et nous voilà parti à travers cette petite ville du nord de la Californie. Nous sommes allés au restaurant. Non pas que je n'aime pas la salade. Mais tout ce qu'ils avaient, c'était de la salade.
Ensuite, j'ai eu vraiment… presque une migraine. Et j'avais hâte de rentrer à la maison. Même avant de rentrer à la maison, j'ai en quelque sorte rampé vers une cabine téléphonique, et j'ai appelé mon agent pour lui dire: "Il n'y a pas moyen ! Il n'y a aucun moyen que je fasse ce film !" Il m'a répondu: "David, David, David… Calme-toi ! Tu n'es pas obligé de faire ce film".
Alors j' ai dit à George [...] au téléphone le lendemain qu'il devrait le réaliser. C'est son film. [...] J'ai appelé mon avocat et lui ai dit que je n'allais pas le faire. Et il a dit : "Vous venez de perdre je ne sais pas combien de millions de dollars ! Mais c'est d'accord".
Cronenberg et l'arrogance de la jeunesse
Si, peu de temps après cette rencontre, Lynch sera approché par le producteur Dino de Laurentiis pour lui confier les rênes de l'adaptation de Dune, qui se révèlera être un cadeau empoisonné pour le cinéaste en plus d'être un terrible flop commercial, George Lucas tenta de sonder brièvement David Cronenberg, comme ce dernier le raconta en 2018 à Entertainment Weekly.
"Je me souviens encore d'avoir reçu un appel téléphonique. Quelqu'un a dit qu'il appelait de la part de Lucasfilm, et m'a demandé si j'étais intéressé par "La Revanche du Jedi" - ca s'appelait comme ça à un moment, jusqu'à ce que quelqu'un souligne que c'était contre la philosophie Jedi de penser en termes de vengeance.
On m'a demandé si je serais intéressé de réaliser le film, et de rencontrer tout le monde. J'ai dit, avec l'arrogance de la jeunesse : "je ne suis pas habitué à travailler avec le matériau des autres." Et il y a eu comme un silence de stupéfaction, suivi d'un "clic" du téléphone qui se raccrochait".
Finalement, ce sera Richard Marquand, jugé d'ailleurs plus docile qu'Irvin Kershner qui avait eu quelques frictions avec Lucas sur L'Empire contre-attaque, qui réalisera Le Retour du Jedi. Lucas sera même le réalisateur de la seconde équipe sur le film, lui permettant de renforcer encore plus son contrôle, et la pression qui va avec. Ce qui inspirera à Marquand cette réflexion : "c'est un peu comme essayer de réaliser Le Roi Lear avec [William] Shakespeare dans la pièce d'à côté !"