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    Paris Stalingrad : rencontre avec Hind Meddeb, la réalisatrice du docu choc sur les migrants
    Vincent Garnier
    Vincent Garnier
    -Rédacteur en chef
    Depuis l’enfance, Vincent Garnier cultive un goût pour le cinéma français, qu’il soit populaire ou plus confidentiel. Parce qu’il est le reflet d’une époque et d’un état d’esprit. Parce qu’il accorde une place de choix au dialogue.

    Ils viennent d'Erythrée, d'Ethiopie, du Soudan... et échouent sur les trottoirs parisiens. "Paris Stalingrad" capte leur réalité, la violence et les outrages quotidiens dont ils sont victimes.

    Stray Dogs Distribution

    Paris Stalingrad est votre premier film distribué en salles. Quel est votre parcours ?

    Hind Meddeb : J’ai été journaliste pendant une dizaine d’années (France 24, France Info, Arte, France télévisions, Paris Première, Radio Nova). J’ai réalisé mon premier documentaire quand j’étais encore étudiante à Sciences po, un film qui retrace l’itinéraire de jeunes Marocains radicalisés qui ont perpétré les premiers attentats terroristes au Maroc en mai 2003 (De Casa au Paradis, 2007). Entre 2011 et 2013, à l’heure du printemps arabe, j’ai tourné Tunisia Clash et Electro Chaabi deux longs métrages documentaires sur la création musicale comme acte révolutionnaire. Comme j’ai grandi dans une famille aux origines multiples, mon père est tunisien et ma mère maroco-algérienne, je parle arabe et j’ai passé de longs séjours en Afrique et au Moyen-Orient. Dans mes films, je m’intéresse aux formes de résistance à l’ordre établi en filmant du côté de ceux qui se révoltent. Je me suis peu à peu éloignée du journalisme pour aller vers la forme plus libre du documentaire de cinéma.

    Combien de mois avez-vous passé aux côtés des migrants ? De combien de rushes disposiez-vous avant le montage ?

    Avec Thim Naccache, nous avons tourné entre 2016 et 2018. Nous avions une centaine d’heures de rushes. Le montage s’est fait par étapes. Le tournage au long cours, nous a permis de reconstituer une géographie de l’exil dans les rues de la capitale et de montrer la dégradation de la situation sur deux ans.

    Vous recueillez la parole de ceux que la société anonymise. Comment êtes-vous parvenus à gagner leur confiance ?

    Nous avons passé beaucoup de temps sur les lieux, sans caméra, à échanger avec les personnes sur place, à leur expliquer notre démarche. Nous n’avons pas seulement tourné un film, des amitiés sont nées, nous avons accompagné des personnes dans leurs démarches administratives et nous avons aussi crée des liens au-delà du tournage. J’ai initié des collaborations artistiques entre des artistes français comme le metteur en scène Benjamin Lazar, Arthur H, Gaël Faye et certains réfugiés musiciens ou poètes. La Maison de la Poésie, mais aussi l’Institut du Monde Arabe à l’occasion de la Nuit de la Poésie, nous ont ouvert leurs portes en invitant Souleymane le personnage principal du film mais aussi les poètes Hassan Yassine et Moneim Rahma à venir dire leurs poèmes sur scène.

    En vous intéressant au sort des migrants, vous faites un film sur l'état du monde. Quelle est votre analyse de la situation actuelle ?

    L’Etat, les pouvoirs publics n’encouragent pas les solidarités, je dirai même qu’ils font tout pour les empêcher. De nombreux politiques font campagne en attisant la haine de l’autre. C’est une méthode paresseuse et payante, quoi de plus facile que de déplacer les frustrations des uns sur le dos des autres. C’est ce qu’on voit dans le film. Car Paris n’est pas une ville raciste, c’est une ville cosmopolite avec une longue histoire de métissages et de nombreux étrangers s’y sont établis et ont même contribué à son rayonnement. Paris est une ville où le FN fait son plus mauvais score. Et nous pensions avoir élu une maire de gauche. Et pourtant la police et les administrations exercent une violence quotidienne sur des personnes pacifiques et vulnérables. Et les personnes solidaires sont attaquées (il y a eu plusieurs procès contre des Parisiens qui soutenaient les réfugiés). Malgré tout, je reste optimiste. Car nous vivons de fait, dans un monde métissé, ceux qui s’accrochent à une conception figée de leur identité, sont nostalgiques d’un monde qui n’existe plus depuis longtemps. Les discours xénophobes qui sont présents partout dans les médias finiront par s’épuiser parce qu’ils entrent en contradiction avec le réel. Séparation, ségrégation sont contre nature, les murs finissent toujours par tomber. Mais nous traversons effectivement une période très sombre et notre film documente un épisode sinistre de l’histoire de Paris.

    Vous filmez l'épuisement des migrants, qui n'en finissent plus d'être chassés par les États et harcelés par la police. Vous filmez en creux ce besoin de repos et de sérénité. Est-ce cela la tragédie fondamentale des migrants ?

    Halil Altindere, artiste turc d’origine kurde répond à votre question avec humour avec son installation "Space Refugee" : "Et si, lassés d’errer sur Terre, les réfugiés partaient à la conquête de nouvelles planètes pour retrouver enfin un espace de vie ?" C’est la fiction qu’explore l’artiste dans son oeuvre. Il met en lumière avec beaucoup d’ironie l’absurdité de nos politiques. De mon côté, ce que j’observe, c’est la tragédie de l’Europe dite des « droits de l’homme » qui trahit quotidiennement ses valeurs fondamentales. La Méditerranée est un immense cimetière à ciel ouvert. C’est la politique européenne de fermeture des frontières qui est responsable de ces morts. Il y a aujourd’hui un immense décalage entre ce que l’Europe prétend défendre et ce qui se passe sur son territoire. J’ajouterai que la très grande majorité des réfugiés dans le monde ne viennent pas frapper à la porte de l’Europe. Chassés par la guerre ou le changement climatique, ils sont principalement dans les pays frontaliers aux leurs, un million de réfugiés soudanais en Ouganda, des centaines de milliers de réfugiés érythréens et éthiopiens au Soudan, plus de 500 000 réfugiés somaliens au Kenya etc. Et ce qu’on oublie souvent de rappeler, c’est que la plupart des personnes qui rejoignent l’Europe sont issus de pays anciennement colonisés dont les ressources ont été exploitées et qui ont largement contribué à enrichir l’Europe. Si l’Europe est devenue une terre promise, c’est aussi parce qu’elle s’est enrichie en colonisant presque tous les continents du monde.

    Aviez-vous en tête de mythe de Sisyphe en tournant votre film ?

    Le tournage a été très dur. Et le film est très en deçà des violences dont nous avons été les témoins. Il y a un degré de violence que nous ne sommes pas parvenus à restituer dans le film. Tous les deux jours, la police venait détruire les campements, jeter à la poubelle les affaires personnelles des réfugiés qui attendaient dans la rue de pouvoir déposer leur demande d’asile. Après le départ de la police et des agents de la propreté de Paris, les gens se retrouvaient à dormir à même le sol sur un bout de carton. Certains pleuraient parce qu’ils avaient perdu tous leurs papiers et leurs effets personnels. Il fallait tous les jours repartir de zéro. Oui, la répétition quasi quotidienne de ces drames est effectivement comparable au mythe de Sisyphe. Mais surtout toute cette violence infligée par l’Etat à des personnes extrêmement vulnérables était totalement inutile et insensée.

    Quels sont vos projets ?

    Je prépare un nouveau film intitulé "Soudan, retiens les chants qui s’effondrent", aux côtés d’une jeunesse révolutionnaire qui a renversé une dictature militaire et religieuse et qui se bat pour faire advenir un Etat de droit. La poésie est aussi au centre de ce film. Au Soudan, la résistance passe par les mots. « La balle ne tue pas. C’est le silence qui tue » entend-on dans les manifestations contre l’ancien régime. Ce film au Soudan constitue le "hors champ" de Paris Stalingrad. Nous y découvrirons que Souleymane vient d’un pays où des millions de personnes sont prêtes à mourir pour conquérir leur liberté.

    Propos recueillis à Paris, le 25 mai 2021.

    La bande-annonce de Paris Stalingrad : 

     

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