Diffusée sur Canal+ et MyCanal, Antidisturbios est une mini-série choc qui dresse un portrait sans concession d’une brigade de policiers anti-émeute. Dans le viseur d’une enquête des affaires internes après le décès d’un homme lors d’une expulsion qui a mal tourné, ils s’effondrent littéralement.
Rodrigo Sorogoyen explique, en français, ce qui l’a motivé à raconter cette histoire puissante.
AlloCiné : Comment avez-vous eu l’idée d'Antidisturbios ?
Rodrigo Sorogoyen : C’est une idée qui remonte. Dans la première version du scénario du film Que Dios Nos Perdone, un des deux personnages était un policier anti-émeute. Et finalement on a laissé tomber cette idée car elle ne s’intégrait plus dans l’enquête.
Mais c’était clair pour Isabel (Peña, ndlr) et moi, que c’est une figure de la société qui nous fascine. La violence fait partie de leur quotidien. On les craint. En Espagne, comme dans beaucoup de pays, on considère les policiers anti-émeute comme le bras armé du pouvoir.
C’est une figure très intéressante pour nous parce que dans le fond ce sont des travailleurs. Ils souffrent, ils ne gagnent pas beaucoup d’argent, ils travaillent très dur mais ils sont "de l’autre côté". Ils ont un travail très désagréable mais aussi nécessaire pour la société malheureusement.
Et nous, on se demande comment ils font quand ils rentrent chez eux, quand ils retrouvent femme et enfants, comment ils les éduquent. Donc on a commencé à parler avec eux et essayer de comprendre cette branche de la police.
On a vu, comme vous à Paris et d’autres pays, beaucoup d’images violentes de policiers anti-émeute en train de frapper des personnes sans défense. Donc c’est pas une figure aimable aux yeux de la société. Et à chaque fois qu’il y a quelque chose de désagréable pour la société, on se demande Isabel et moi comment ils vivent.
Lors de la diffusion en Espagne d’Antidisturbios, il était souvent écrit que c’était les évènements autour du référendum de 2017 sur l’indépendance de la Catalogne qui vous avaient donné l’idée de faire la série…
Oui ce sont des images qui ont beaucoup circulé, mais avant cela, avec le Mouvement des Indignés, il y a eu beaucoup d’images et de situations horribles dans le centre-ville de Madrid. Je me souviens parfaitement des images qui circulaient sur YouTube et qui m’ont beaucoup marquées. On voyait un policier frapper un homme sans aucune retenue et je me suis demandé comment il faisait après quand il rentrait chez lui...
Est-ce qu’il dort tranquille ? Est-ce qu’il regrette ? Ou alors il oublie complètement son travail quand il est chez lui ? Tout ça, ça nous passionne et c’est pour ça qu’on a fait la série.
La série parle de violences en général et de violences policières en particulier. Mais pourquoi avoir choisi spécifiquement la police anti-émeute ?
C’est la moins connue dans la fiction et c’est la plus intimidante. Et pour moi, ce sont eux qui ont le travail le plus pénible de la police, ils ne sont pas très bien considérés. Ce sont comme des soldats, ceux qui ont le moins de valeur.
Antidisturbios sur Canal+ : que vaut cette série choc sur les violences policières ?Que dénonce Antidisturbios ?
Je ne sais pas si on dénonce quoi que ce soit. Notre objectif, c’est de montrer. De montrer pour comprendre, pour parler de choses dont normalement on ne parle pas. En Espagne, il n’y a jamais eu de fiction sur la police anti-émeute. Sur la police, beaucoup oui, évidemment. Même trop. Mais pas sur les anti-émeute.
Ce qu’on veut, c’est montrer une réalité, de la meilleure façon possible, et qui soit aussi divertissante. Et pourquoi on veut raconter ça ? Justement parce qu’on n’en parle pas. Jamais je ne ferai une série dont le sujet a déjà été traité mille fois.
Je veux raconter un thème, un sujet pour qu’on le comprenne mieux. Je ne veux pas dénoncer les violences policières. Je ne veux pas défendre la police. Je veux raconter le blanc et le noir d’un personnage, d’un sujet, d’un collectif. C’est ça notre objectif.
Pourquoi une série plutôt qu’un film ?
Il y a deux raisons. En Espagne, malheureusement, c’est très difficile de faire un film. Et c’est beaucoup plus facile de faire une série. Jamais on ne l’avait fait. C’est un format totalement nouveau pour nous. C’était un vrai défi et donc c’était intéressant.
Ça nous a permis de raconter notre histoire sur cinq heures. Mes films sont toujours trop longs pour les producteurs (rires). Et ça m’intéresse en tant que cinéaste et scénariste de pouvoir raconter une histoire plus longue.
Il y a des histoires qu’on peut raconter en 90 minutes, d’autres en 120 minutes. Il y a des histoires qui doivent être racontées dans des salles de cinéma. Et il y a des histoires sur le devenir de la société qui ont besoin d’être racontées en plusieurs chapitres.
Je déteste quand les séries télé – et c’est le cas de 90% d’entre elles – pourraient être plus courtes. Au début, on avait prévu de faire Antidisturbios sur huit épisodes. Au final, elle en compte six. Si on en fait trop, on met des choses qui n’intéressent pas le spectateur. Et je déteste ça, c’est une perte de temps horrible.
Vous filmez avec une caméra très mobile, très près de l’action. Pouvez-vous développer vos choix sur la manière de filmer ?
Je me suis beaucoup amusé à filmer Antidisturbios et ça me motive pour faire une autre série. La réalisation évolue au fil des épisodes. Dans l’épisode 1, j’utilise des grands angles avec la caméra à l’épaule, très proche des personnages. C’est le plus agressif que j’ai jamais fait. Je voulais que l’épisode 1 ressemble à un documentaire, je voulais que le spectateur ait la sensation d’être un policier anti-émeutes, d’être avec eux.
A chaque épisode, la caméra s’éloigne un petit peu plus et les optiques sont un peu plus fermées. Pour moi, l’objectif c’est de regarder la série sans se rendre compte de ça. Mais si vous regardez l’épisode 1 et l’épisode 6, on dirait deux séries totalement différentes.
C’est-à-dire ?
Je savais qu’un des handicaps de la série serait les préjugés. Le policier anti-émeutes est une figure très polémique. Une partie de la société attend une représentation très dure de ces policiers, qu’on dénonce leur violence et qu’on les traite comme des antagonistes. Et si on avait fait ça, une autre partie de la société – celle qui est plus à droite en Espagne – nous aurait dénoncés en disant "Les gens de gauche, qui font du cinéma, s’en prennent tout le temps à la police, etc."
Donc j’ai essayé de minimiser tout cela. Je ne voulais pas alimenter l’un ou l’autre préjugé. Je voulais d’abord que le spectateur soit un policier anti-émeute dans l’épisode 1. Et à chaque épisode, il s’éloigne de plus en plus. Arrivé à l’épisode 6, il n’est plus un policier anti-émeute mais un téléspectateur. Et à ce moment-là, il est en mesure de juger, de se faire sa propre opinion. C’est plus facile de se faire une idée quand on a vécu l’expérience de ces policiers.
La scène d’ouverture est très impressionnante. Parlez-nous de ce choix.
C’est une déclaration d’intention. Au moment où on a commencé à écrire la série, on savait que Laia (Vicky Luengo) n’allait pas être aussi importante que les policiers aux yeux des téléspectateurs. Mais pour nous, Laia c’est la protagoniste de la série. C’est pour cela qu’à chaque épisode, elle prend de plus en plus d’importance. Et à la fin, on peut se dire : "Merde, la série, elle peut s’appeler Laia !"
Pour nous, c’était très amusant d’ouvrir la série avec cette scène avec Laia en famille. Et, ça sert le propos. Cette scène permet de définir le personnage déjà dans sa façon de jouer avec sa famille. C’est un début de série très puissant parce que vous venez pour voir une série qui parle de violences, d’action et vous tombez sur une scène qui est à l’opposé. Mais il y a de la violence dans cette scène. Et aussi, elle parle de ce personnage, de sa façon de croire en la justice, de ne pas supporter la tricherie. Et c’était une jolie façon pour nous de présenter ce personnage qui va prendre de plus en plus d’importance.
Propos recueillis par Emilie Semiramoth le 12 mai 2021