"La France aime Billie Holiday. L'Europe aussi", nous dit Andra Day en préambule de notre interview avec elle. "Ses homologues disaient que si elle avait habité à Paris, elle aurait sans doute vécu plus longtemps. Et je ressens vraiment cet amour pour elle."
Un amour qui s'est notamment matérialisé par un Golden Globe de la Meilleure Actrice dans un Drame pour son rôle dans Billie Holiday, une affaire d'état, biopic signé Lee Daniels qui lui vaut maintenant une nomination aux Oscars. En attendant les résultats, dans la nuit du 25 au 26 avril pour nous, elle nous présente ce film et son premier grand rôle au cinéma.
AlloCiné : "Billie Holiday, une affaire d'état" est votre premier film en tant qu'actrice et vous vous glissez dans la peau d'une icône. Le fait de jouer une chanteuse a-t-il représenté un défi supplémentaire, étant vous-même chanteuse ?
Andra Day : C'était un défi oui et j'ai eu une révélation. Car je savais que j'étais capable d'assurer les parties chantées. Puis j'ai réalisé que je devrais le faire avec sa voix. Et puis que je devrais être elle. Ressentir le rapport au public qui était le sien. Donc je me suis rendue compte que chanter ne serait pas si facile, car il me faudrait aussi jouer. Le chant, dans le film, c'est aussi du jeu. Et je me suis dit : "Mince" (rires)
C'était intimidant, définitivement. Mais tellement gratifiant. Je ne pense pas avoir les mots pour vraiment dire combien j'aime Billie Holiday et sa manière d'être. J'aime aussi Lee Daniels, Suzan-Lori Parks [la scénariste, ndlr] et Johann Hari [qui a signé le livre dont le film s'inspire, ndlr]. C'était une bénédiction. Je remercie Dieu de ne pas avoir permis que je m'auto-sabote avec ce rôle - car c'est ce que je faisais en ne voulant pas le jouer dans un premier temps.
Pourquoi ne vouliez-vous pas ?
Car je ne suis pas actrice. Et je ne devrais d'ailleurs pas le dire, car Lee me demandait sans cesse d'arrêter avec cela, en me répétant que j'étais une actrice. Il est vrai que je le suis maintenant, mais à l'époque, et je n'ai aucun souci à le reconnaître, ça n'était pas le cas. Je ne voulais donc pas être une tâche sur l'héritage de Billie Holiday, et cela m'aurait brisé le cœur, car je l'aime énormément.
J'avais souvent cette pensée en tête : "Billie est super. Diana [Ross, qui l'a incarnée en 1972, ndlr] est super. Mais vous vous souvenez quand Andra s'est enorgueillie de la jouer ?" (rires) J'ai eu du mal à surpasser ce sentiment. Mais la rencontre avec Lee a été déterminante, tout comme le fait de voir à quel point tout le monde était dévoué à elle. Mon coach de jeu et mon répétiteur ont aussi beaucoup compté et aidé. Je ne voulais pas être mauvaise.
Je ne voulais donc pas être une tâche sur l'héritage de Billie Holiday, et cela m'aurait brisé le cœur, car je l'aime énormément.
Comment êtes-vous devenue Billie ? Grâce à des vidéos et des enregistrements sonores ? Quel a été l'aspect le plus difficile de cette transformation ?
Je connaissais déjà sa musique, car j'étais une grande fan. Mais j'ai dû réécouter toutes ses chansons, ainsi que des interviews, en plus de lire tous les livres que je pouvais, regarder des documentaires. J'ai essayé d'écouter chaque enregistrement dans lequel elle parlait, avec des humeurs différentes, en faisant attention pour parvenir à distinguer les moments où elle était sous l'emprise de drogue ou d'alcool, sobre, en colère, joyeuse, insouciante… J'y cherchais également sa voix pro, sa voix d'interview. Et les moments où elle était sexy.
Il n'existe pas tant d'enregistrements dans lesquels on l'entend parler. Pas autant qu'il ne devrait y en avoir pour une superstar de son calibre. Mais il y en avait assez pour que je saisisse ses différents états d'esprit et qui elle était dans les différents espaces. J'ai aussi collecté pas mal d'affaires : des chaussures, une marque de lingerie, des boucles d'oreilles, un parfum qu'elle aimait…
J'y suis arrivée à force de parler comme elle et de travailler avec mon répétiteur, de transformer mon corps en perdant du poids, de me mettre à fumer car je n'étais pas fumeuse avant - pas plus que je ne buvais d'alcool mais je m'y suis mise aussi. J'ai aussi changé de langage, adopté un comportement plus sexué à l'image du sien. J'ai écouté des personnes accros ou qui l'avaient été, pour comprendre à quel point l'addiction est une maladie mentale. Tout ce sur quoi j'ai pu mettre la main m'a rapproché d'elle.
"Billie Holiday, une affaire d'état" sortira dans nos salles le 2 juin.
Propos recueillis par Emmanuel Itier à Los Angeles le 7 avril 2021 - Retranscription : Maximilien Pierrette