Il y a un an, les salles de cinéma fermaient à cause de la pandémie de Covid-19. Après avoir pu rouvrir cet été dans le respect des règles sanitaires, les salles de spectacles ont été contraintes de baisser le rideau le 30 octobre dernier. Le gouvernement n'a, depuis, pas donné l'autorisation de rouvrir les lieux de culture.
Malgré les consignes gouvernementales, l'ACID (l'Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion) et le GNCR (Groupement National des Cinémas de Recherche) ont organisé les 12, 13 et 14 mars des projections "test" afin de marquer le triste anniversaire de la fermeture des cinémas et de protester contre la non-réouverture des lieux culturels.
Un événement auquel s'ajoutent la campagne #OuvrezLesCinémas sur les réseaux sociaux et un manifeste baptisé le "manifeste des 20" soutenu par 54 syndicats et signé par plus de 2000 acteurs de la profession dont Mathieu Amalric, Juliette Binoche, Karin Viard, Corinne Masiero, Gaspard Ulliel ou encore Nicolas Maury.
20 cinémas situés partout en France ont ainsi organisé des projections et des rencontres avec des cinéastes, dans le respect le plus strict des consignes sanitaires. Parmi eux, le cinéma Lux de Caen. Nous nous sommes entretenus avec son directeur Gautier Labrusse.
AlloCiné: Pouvez-vous nous parler de l'opération #Ouvrezlescinémas et ce qui vous a poussé à ouvrir votre salle hier ? Qu'envisagez-vous d'autre pour faire réagir le gouvernement ?
Gautier Labrusse : Nous avons pris l'initiative, avec le GNCR et l'ACID, d'organiser des projections en salles afin de marquer l'anniversaire de la fermeture des cinémas et de protester contre la non-réouverture des lieux culturels. 20 cinémas aux quatre coins de la France ont ainsi accueilli des projections et rencontres avec des cinéastes autour, entre autres, de films soutenus par l'ACID et/ou par le GNCR.
Cinémas : une ouverture symbolique ce week-end mais pas de date de réouverture officielleDe manière générale depuis sa première fermeture en mars 2020, le LUX de Caen a toujours été dans la dynamique et l’énergie de faire son métier, contre vents et marées et dans le respect de la légalité : montrer des films à son public et jouer son rôle de passeur. Nous avons d’abord investi le terrain du dématérialisé en renforçant la programmation de notre plateforme VOD NetfLUX (via La Toile) puis en proposant régulièrement des séances de e-cinéma et rencontres dans notre salle virtuelle (via La 25e Heure).
Puis, quand cela a été possible, nous avons ouvert un drive-in et proposé des séances de films encore à l’affiche avant notre fermeture jusqu’à la réouverture des salles de cinéma.
Après la non-réouverture le 15 décembre, nous avons protesté en organisant une projection dans une église et nous proposons également des projections sur des façades d’immeubles visibles depuis fenêtres et balcons dans les différents quartiers de la ville.
Ce week-end, nous avons décidé de refuser le maintien, abusif selon nous, de la fermeture des lieux culturels en faisant ce qui nous est interdit : ouvrir nos salles, accueillir du public, montrer des films.
Pour la suite, nous réfléchissons à deux niveaux : d’une part, avec l’ACID et le GNCR, sur la possibilité de fédérer plus de salles et de réitérer cette action, de nombreuses salles ayant manifesté leur soutien et le souhait de nous rejoindre.
D’autre part, à un niveau local, de fédérer l’ensemble des acteurs de la culture pour une convergence des luttes et des actions communes en plusieurs étapes pouvant se traduire très rapidement par une ouverture conjointe et simultanée de l’ensemble de nos structures pour des représentations au public (cinéma, théâtre, danse..), avec l’espoir que cela contamine les autres territoires.
Dans les deux cas, il est évident que rien ne sera envisageable en cas de confinement.
Non réouverture des cinémas : des projections organisées dans des églises !Cela fait un an que les cinémas sont à l'arrêt en France, alors que dans certains pays ceux-ci rouvrent. Comment vivez-vous la situation ?
Il y a plus de 130 jours, nous avons fermé nos salles pour la seconde fois de l’année. Nous l’avons fait en responsabilité devant une remontée rapide de l’épidémie de Covid-19. Les connaissances sur la propagation du virus étaient encore insuffisantes. Les théâtres, les cinémas, les salles de concerts… sont des lieux de vie et doivent le rester. Comme au printemps 2020, le principe de précaution devrait prévaloir.
Mais aujourd’hui, nous cumulons pas loin de 240 jours de fermeture et les données sanitaires ont évolué : les connaissances sur la transmission du virus ont progressé et les études scientifiques se succèdent en Europe. Elles arrivent toutes à une même conclusion : dans le respect des consignes sanitaires, les salles en configuration assises sont parmi les endroits où le risque de contamination est le plus faible.
La fermeture est un choix : celui du sacrifice de la culture
Comme l’a reconnu le gouvernement et l’a confirmé le Conseil d’Etat, les protocoles sanitaires sont renforcés pour nos salles et de nombreux virologues confirment qu’on ne s’y contamine pas.
Par ailleurs, une étude du Ministère de la Culture montre que l’impact d’une réouverture des lieux culturels sur le brassage journalier de population est négligeable : c’était pourtant l’argument retenu par le gouvernement pour justifier le maintien de notre fermeture. Nous savons aujourd’hui que plus aucune raison sanitaire ne justifie notre fermeture.
C’est un choix, celui du sacrifice de la culture. Pour donner le change quand les commerces sont ouverts et les transports en commun bondés ? Alors que de nombreux Français, en particulier les plus jeunes et les plus fragiles, souffrent de solitude, d’anxiété, d’isolement, les médecins alertent sur cette dégradation de la santé mentale de la population et sur l’urgence de retrouver du lien social.
Et cette respiration, ce sont des lieux bien organisés, responsables, citoyens, comme les lieux culturels notamment qui peuvent l’offrir en toute sécurité. Nous le savons et nous savons que nos lieux ne sont pas « substituables » et que la culture ne peut pas être entièrement dématérialisée contrairement à ce que prétend le gouvernement.
Sans, donc, m’appuyer nécessairement sur l’exemple d’autres pays, ma conclusion est que dans toute autre configuration qu’un confinement généralisé, le maintien de la fermeture des lieux culturels n’est pas justifiée et que leur ouverture est une obligation autant qu’une nécessité.
Comme Roselyne Bachelot a déclaré, en citant Pablo Neruda « Le Printemps est inexorable », nous lui répondons par le dicton « Mars prépare le Printemps » pour lui dire qu’il est désormais impératif et impérieux de se mettre autour de la table pour discuter des conditions d’une réouverture.
Nous savons qu’elle ne pourra pas se faire de façon « normale » immédiatement mais sans doute par étapes, avec des protocoles sanitaires renforcés et dans des jauges graduées dans le temps.
Jusqu’à un retour à une activité normale (jauges et nombre de séances), la réouverture et la reprise d’activités devront s’accompagner du maintien des aides au secteur (chômage partiel, fonds de solidarité, fonds de compensation).
Selon vous est-il préférable d'attendre une date de réouverture ou mieux vaut-il faire comme cet été, ouvrir les salles quitte à être obligés de refermer ? L'arrêt total est-il préférable au stop and go selon vous ?
La réponse est au-dessus : il est impératif de rouvrir coûte que coûte car une industrie, qui pourtant faisait la fierté de notre pays, s’effondre, et aura toutes les difficultés du monde à se redresser.
En cas de réouverture, comment s'assurer du respect des gestes barrière et du port du masque dans une salle plongée dans le noir ?
Les Français se sont habitués aux protocoles sanitaires et, dans une grande majorité, les respectent et les ont respectés lors de notre réouverture.
César 2021 : "Cette cérémonie n'a pas été utile au cinéma français" selon Roselyne BachelotQu'avez-vous pensé de la cérémonie des César ? A t-elle selon vous permis de faire entendre le message des salles ?
Au-delà de mon appréciation personnelle sur le ton de la soirée et les interventions des uns et des autres – le goût pour l’humour et la provocation est subjectif -, les critiques à l’égard de la Ministre de la Culture et du gouvernement et les revendications ont été très nombreuses et à il a rarement été autant question des salles de cinéma et de leur réouverture.
De nombreuses voix se sont élevées alors qu’elles s’étaient assez peu exprimées jusqu’à maintenant, à l’inverse de Kassovitz qui gageait sur la disparition des salles. On a beaucoup glosé sur l’ouverture de Marina Foïs ou sur le happening de Corinne Masiero, c’est oublier les paroles très justes prononcées par Stéphane Demoustier ou Anny Duperey sur la nécessité d’une politique culturelle.
Les salles se sentant soutenues désormais par l’ensemble de la profession
Si la cérémonie a été reçue de façon mitigée par les exploitants eux-mêmes craignant qu’elle ne serve pas les salles, je pense au contraire qu’elle a constitué un point de rupture, les salles se sentant soutenues désormais par l’ensemble de la profession et prêtes à en découdre.
S’agissant de la réaction de Roselyne Bachelot elle-même, notamment dans les déclarations qu’elle a faites sur RTL, il est regrettable de constater qu’elle continue à se situer uniquement sur les aspects des soutiens financiers au secteur : elle parle du cinéma comme d’une industrie et des César comme d'une vitrine pour le vendre à l’international. Elle dénonce le côté « meeting politique » et oublie précisément toute la dimension politique que revêt le cinéma.
Elle prétend enfin que « la cérémonie n’a pas été utile au cinéma français ». Je pense l’inverse et j’irais même jusqu’à dire qu’il y a des mots qu’une ministre qui a fait la démonstration de son inutilité ne devrait pas prononcer : ce qui aurait été utile pour le cinéma français c’est de le reconnaître pour ce qu’il est et d’avoir une véritable politique culturelle face à la crise.