Loin, très loin de l'ambiance sulfureuse et toxique de la pègre marseillaise et son trafic de drogue dans La French, son précédent film sorti en 2014, le réalisateur français Cédric Jimenez plonge à nouveau le spectateur dans le passé avec HHhH, diffusé ce 24 janvier sur France 2. Un passé éminemment douloureux et sombre, à la fois tragique et héroïque, ayant pour toile de fond la Seconde guerre mondiale et l'Europe, plus particulièrement la Tchécoslovaquie, écrasée sous la botte nazie.
HHhH : curieux nom et acronyme pour un titre de film. C'est qu'il signifie en fait "Himmlers Hirn heißt Heydrich", soit littéralement "Le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich". Il s'agit en réalité du surnom dont les SS avaient affublé Reinhard Heydrich. Adjoint direct de Heinrich Himmler dès 1933, Heydrich, incarné par Jason Clarke dans le film, joua un rôle important dans l'organisation de l'appareil répressif nazi et lors de l'élimination de la Sturmabteilung (SA) en tant que force politique, principalement lors de la nuit des Longs Couteaux à l’été 1934.
Mais il a également eu un rôle majeur dans l'organisation de la Shoah par la planification et le contrôle de l'activité des Einsatzgruppen (en français : "groupes d'intervention", qui étaient des unités de police politique militarisées chargées, à partir de l'invasion de la Pologne, de l'assassinat systématique des opposants au régime nazi, et en particulier des Juifs) et lors de la conférence de Wannsee qu'il préside le 20 janvier 1942. Placé par Hitler à la tête du Protectorat de Bohême-Moravie, il fut victime d'une tentative d'assassinat par la Résistance tchèque en plein Prague le 27 mai 1942, et succomba à ses blessures une semaine plus tard. La répression nazie qui s'abattit sur la population fut terrible : on estime au final qu'elle fit plus d'un millier de victimes.
Ci-dessous, la bande-annonce du film...
HHhH est adapté du premier roman de Laurent Binet, paru en 2010, lauréat du prix Goncourt du premier roman la même année et qui a figuré dans la liste des romans majeurs du New York Times. Vu la nature quelque peu délicate du sujet, Cédric Jimenez avait à coeur de rendre le personnage de Reinhard Heydrick humain, sans pour autant l'humaniser ; montrer sa réalité et son existence, sans lui trouver d'excuses. Une distance difficile à trouver pour le réalisateur. "Je voulais montrer que, aussi mauvais soit-il, on peut croiser des hommes comme lui dans la rue : il avait une femme et des enfants et il était face aux mêmes problèmes que tout un chacun" explique-t-il. Et d'ajouter : "Ce n’est pas un personnage de conte ou un monstre issu de l’univers Marvel : il incarne la capacité qu’a l’être humain d’être dénué de toute morale".
Heydrich, figure de cinéma (de propagande) dès 1943
HHhH n'est toutefois pas le premier film à évoquer le destin de celui qu'on surnomma "le boucher de Prague" ou "la Bête Blonde". De manière assez surprenante, les Alliés s'emparèrent du sujet dès 1943 dans deux oeuvres de propagandes, qui restent toutefois très solides. D'abord Les Bourreaux meurent aussi, signé par le grand Fritz Lang. Si le film est surtout centré sur les représailles consécutives à l'attentat contre Heydrich (incarné dans le film par Hans Heinrich von Twardowski), la particularité de cette oeuvre est que son scénario fut écrit par le dramaturge allemand Bertolt Brecht. Il s'agit ici de l'unique scénario de Brecht pour le cinéma hollywoodien. Pourtant, la Screen Writer's Guild refusa que le nom du dramaturge soit adossé au film, même si ce dernier travailla étroitement avec le scénariste du film, John Wexley.
Classée comme oeuvre subversive par le Comité des Activités anti-américaine durant le maccarthysme, le film fut banni des écrans américains et ne refera surface que dans les années 1970. Quant au scénariste, John Wexley, celui-ci fut blacklisté... Hitler's Madman de Douglas Sirk, cinéaste qui sera réputé entre-autre pour ses puissants mélodrames, est davantage centré sur le personnage de Heydrich, incarné par John Carradine.
Ci-dessous, la bande-annonce des "Bourreaux meurent aussi"...
En 1965, c'est au tour du cinéma tchèque de tenter d'exorciser ses vieux démons et de revenir sur un passé pas si lointain, avec Commando à Prague, réalisé par Jiri Sequens. Le film évoque notamment la préparation des agents tchèques en Angleterre, la prise de contact avec les résistants, l'attentat, la répression et enfin la mort des agents dans l'Église Saints-Cyrille-et-Méthode à Prague.
Les trois parachutistes résistants envoyés par le SOE britannique qui ont commis l'attentat contre Reinhard Heydrich se réfugièrent en effet dans la crypte de cette église, en compagnie de 4 autres résistants. Après avoir été découverts environ trois semaines après l’attentat, l’église fut assiégée par près de 800 militaires et policiers allemands. Une fusillade s'engagea, tandis que les nazis tentèrent d'inonder la crypte. Trois des résistants furent tués; les quatre autres occupants se suicidèrent pour ne pas être capturés par l'ennemi.
L'évêque Gorazd de Prague, dont l'église était la cathédrale, se sacrifia en se dénonçant auprès des autorités nazies, afin de protéger les prêtres, les sacristains de la cathédrale, et les fidèles de l'Eglise Orthodoxe de Tchéquie et de Slovaquie. Outre l'interdiction de l'Eglise orthodoxe par les nazis, la confiscation de ses biens et l'envoi aux travaux forcés en Allemagne de nombreux membres du clergé, l'évêque Gorazd fut arrêté par la Gestapo le 27 juin et exécuté le 4 septembre 1942, à l'âge de 63 ans. Cette histoire est au coeur du film Anthropoid, qui reprend le nom de code de l'opération visant à assassiner Heydrich. Réalisé par Sean Ellis et notamment porté par Cillian Murphy et Charlotte le Bon, le film est sorti en Direct to Video chez nous en 2016.
En voici la bande-annonce...
Lidice, symbole de la barbarie nazie
Si l'on peut également ajouter le film Sept hommes à l'aube réalisé par le vétéran britannique Lewis Gilbert en 1975, on retiendra surtout un autre film, sorti en Direct to Video en 2012 chez nous, sous le titre Opération Lidice ou Lidice.
La répression menée par les nazis suite à l'assassinat d'Heydrich fut d'une sauvagerie et d'une brutalité inouïe. Le petit village de Lidice, situé dans la région de Bohême centrale, en république tchèque, en garde l'atroce et douloureux souvenir. Village martyr considéré comme le Oradour-sur-Glane tchèque, celui-ci fut entièrement détruit par les nazis le 10 juin 1942 : ils accusaient en effet les habitants d'avoir soutenu - sans preuve d'ailleurs - les auteurs du commando ayant perpétré l'assassinat.
Ci-dessous, la bande-annonce du film "Lidice"...
Cerné par un détachement de la 7e division SS Prinz Eugen, le village fut investi par les nazis qui y tuèrent les 184 hommes âgés de plus de 16 ans. Les femmes furent déportées à Ravensbrück. Une dizaine d'enfants, correspondant aux critères de la "race aryenne", furent placés dans des familles allemandes pour y être rééduqués. Les autres furent d'abord déportés à Lodz, puis envoyés au camp d'extermination de Chełmno, où 82 enfants périrent dans les camions à gaz. Seuls 17 enfants ont survécu.
Après le massacre et les déportations, les nazis firent en sorte d'éliminer toute trace de l'existence même du village de Lidice, qui fut d'abord incendié. Puis en quelques mois de travaux, le terrain fut nivelé à la dynamite, les pierres enlevées, l'étang comblé, la route et la rivière détournées, tandis que le cimetière fut vidé de ses morts. Le lieu fut littéralement atomisé jusqu'au souvenir.
Le massacre eut un tel retentissement dans le monde que le nom de Lidice fut donné à des localités du Mexique, du Brésil ou des États-Unis, ainsi qu'à des nouveau-nés. Les mineurs britanniques organisèrent même une collecte pour la reconstruction de la commune martyre, qui commença en 1947. Le nouveau village fut ainsi rebâti à l'ouest de son emplacement original et devint un haut lieu de mémoire dédié aux victimes de la barbarie nazie.