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    Servant : sa rencontre avec Shyamalan, les défis de la série... l'interview de Julia Ducournau
    Thomas Desroches
    Thomas Desroches
    -Journaliste
    Les yeux rivés sur l’écran et la tête dans les magazines, Thomas Desroches se nourrit de films en tout genre dès son plus jeune âge. Il aime le cinéma engagé, extrême, horrifique, les documentaires et partage sa passion sur le podcast d'AlloCiné.

    Produite par M. Night Shyamalan, la série "Servant" revient sur Apple TV+ avec une saison 2 dès ce 15 janvier. Les deux premiers épisodes sont signés Julia Ducournau, la réalisatrice de "Grave". Entrevue.

    Elle avait retourné le ventre et la tête de la Croisette en 2016. Depuis, personne n'a oublié Julia Ducournau, ni son premier film Grave. Après sa sortie, cette histoire d'étudiante cannibale a connu un succès mondial. Elle a également révélé la comédienne Garance Marillier et imposé la réalisatrice comme l'un des nouveaux visages du cinéma de genre. L'impact est tel que le long métrage décroche, en 2018, six nominations aux César. Un exploit tant les œuvres de cette radicalité sont rarement mises à l'honneur par les cérémonies.

    Trois ans et une pandémie plus tard, Julia Ducournau prépare son deuxième film, Titane, avec Vincent Lindon. Avant de la retrouver sur le grand écran, elle revient à la télévision avec la saison 2 de Servant, série produite par M. Night Shyamalan. Elle réalise les deux premiers épisodes, intitulés Doll et Spaceman. En direct du Royaume-Uni, où elle poursuit la post-production de son nouveau long métrage, la cinéaste s'est accordé une pause pour AlloCiné, le temps de répondre à quelques questions.

    Servant
    Servant
    Sortie : 2019-11-28 | 30 min
    Série : Servant
    Avec Lauren Ambrose, Toby Kebbell, Nell Tiger Free
    Presse
    3,3
    Spectateurs
    3,8
    Voir sur Apple TV+

    AlloCiné : Comment êtes-vous arrivée sur la série Servant, votre premier projet outre-Atlantique ?

    Julia Ducournau : Tout a commencé lorsque M. Night Shyamalan a vu Grave. Il avait publié un tweet sur le film et quelques jours plus tard, il m'a envoyé un mail pour me dire qu'il voulait travailler avec moi. Depuis, on a continué à échanger. Il est venu plusieurs fois en France pour présenter ses derniers films, et il m'a toujours invitée aux projections. On a pu se rencontrer, se parler et le courant est bien passé. Il m'a proposé Servant au cours de l'année 2019. Les dates de tournage coïncidaient avec un hiatus dans ma préparation de Titane. C'était une fenêtre d'un mois et demi, j'étais disponible, donc j'ai accepté.

    Quel rapport entretenez-nous avec le cinéma de M. Night Shyamalan ?

    Je suis très fan de son travail. Surtout Sixième Sens et Incassable. Je dois dire qu'Incassable m'avait mis une grosse claque. C'était très audacieux et libre dans la réalisation, surtout pour un film qui s'annonçait comme un blockbuster avec Bruce Willis. C'est avant tout un film d'auteur. M. Night Shyamalan en est un. C'est quelqu'un qui ne se couvre pas, qui prend beaucoup de risques, même sur des ambitions grand public.

    M. Night Shyamalan m'a donné carte blanche sur tout.

    Qu'aviez-vous pensé de la première saison de Servant ?

    C'était très intrigant. Toujours très osé. Déjà, le sujet est brillant et les prémisses sont très fortes. J'ai accepté l'invitation de M. Night Shyamalan car je trouvais que chaque épisode était pensé, et bien découpé. Il y a une vraie écriture et pas forcément de charte. Je disais justement à Night que l'on reconnaissait immédiatement son style lorsqu'il réalisait un des épisodes.

    En ce qui me concerne, il m'a donné carte blanche sur tout. Bien sûr, je n'allais pas faire quelque chose qui allait dénoter avec le reste de la série, mais sur ma manière de raconter l'histoire à travers mes plans, j'ai fait absolument ce que je voulais. Il choisit des auteurs pour ce qu'ils sont et pour leur vision, pas dans un délire de les conformer à son projet.

    Une série doit garder une certaine cohérence, ce qui laisse parfois peu de place pour y infuser sa sensibilité. Pourtant, dans l'un de vos épisodes, il y a tout de même une scène où il est question d'une plaie à la main et d'un personnage qui s'arrache la peau lui-même. C'est très Julia Ducournau ça !

    (rires) J'adore cette scène. Pourtant, elle était très courte dans le scénario. Le personnage joué par Toby Kebbell retire son pansement et découvre sa main noircie. Cette plaie illustre une souffrance psychologique. Il se dégoûte lui-même et c'est sa manière de se venger, de purger sa culpabilité.

    L'idée m'est venue d'utiliser une pince à épiler et des ciseaux. C'était drôle car j'ai visionné les images le lendemain du tournage avec M. Night Shyamalan et il m'a dit : "Il n'y a que toi pour faire ça."

    De quelle manière avez-vous appréhendé le format de la série télévisée ? Est-ce que cela change votre manière de travailler ?

    Le cas de Servant est particulier car le scénario n'est pas de moi, alors que je suis habituée à écrire et réaliser. J'ai vécu cette expérience comme un défi de technicienne. Je devais trouver comment raconter l'histoire à ma manière alors qu'elle n'était pas de moi.

    C'est différent car pour un projet personnel, ces questions sont d'un ordre vital. Ici, c'était plus confortable. Il y avait une pression évidente car il faut que ce soit réussi, mais ce n'est pas le même enjeu. J'ai pris beaucoup de plaisir.

    Quel était le rythme du tournage ?

    J'ai eu huit jours de tournage par épisode. J'avais de grosses journées, de 12 heures minimum. C'était un gros sprint très intense et éprouvant malgré tout.

    Apple TV+

    L'histoire se déroule principalement dans l'appartement du couple. Il me semble que vous tournez en studio. Cela représente-t-il une contrainte ?

    Le décor unique et préexistant est à la fois un avantage et un inconvénient. L'avantage c'est qu'on peut le métamorphoser à souhait. Tous les murs bougent. Si je souhaitais un plan particulier, je demandais à l'équipe ce que je voulais et 4 heures plus tard, on venait me chercher pour me dire : "C'est prêt, viens faire un test." Tout est rapide. Il y a une forme d'aisance.

    La difficulté est de trouver un moyen de filmer ce décor sous un autre angle. Il a été montré tellement de fois qu'il faut le renouveler pour qu'on ne s'emmerde pas. Les scènes dans la nurserie par exemple.

    Avec M. Night Shyamalan, je cherchais un nouveau moyen de la filmer alors que c'était juste la millième fois qu'on la voyait. J'ai tout essayé : le travelling, en plongée... Mais c'est amusant car on trouve toujours des idées.

    La perspective d'un nouveau projet aux États-Unis pourrait-elle vous intéresser ?

    Cela m'intéresse, bien sûr. D'autant plus que cette expérience m'a beaucoup rassurée sur le fonctionnement des plateaux américains. On s'en fait un monde d'ici car ils travaillent d'une manière très différente. Les codes ne sont pas les mêmes. J'ai aimé m'adapter, ça m'a fait du bien. Ceci étant, je n'irai jamais m'installer définitivement là-bas. Je continuerai toujours à faire des films en France, avec quelques projets aux États-Unis si j'en ai la possibilité.

    Titane, c'est un film à part entière.

    Votre second film, Titane, est très attendu. Pouvez-vous nous en dire quelque chose ?

    Je suis actuellement en montage. C'était un tournage absolument incroyable, au sens premier du terme. Réjouissant, mais aussi très difficile. Nous sommes passés entre les gouttes de la COVID-19. Nous avons été arrêtés pendant la préparation avec le premier confinement, mais pas pendant le tournage. Donc c'était moins douloureux que pour d'autres, mais le stress était permanent. Et c'était formidable de travailler avec Vincent Lindon.

    Garance Marillier sera-t-elle de la partie ?

    Je ne peux rien vous dire… (rires)

    Ressentez-vous plus de pression ?

    Oui, forcément. En général, et pour tous les réalisateurs je crois, le deuxième film est plus difficile. Je l'ai surtout ressenti pendant l'écriture. La préparation m'a permis de lâcher un peu prise. Titane, c'est un film à part entière. Il ne faut pas le comparer au précédent et accepter son unicité.

    Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 11 janvier 2021.

    Découvrez la bande originale de la série, signée Trevor Gureckis :

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