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    Le Jeu de la Dame sur Netflix : on décrypte la série avec Marie Sebag, grand maître international d'échecs

    Alors que Le Jeu de la Dame continue de cartonner sur Netflix, devant l'une des productions les plus bingées de l'année, AlloCiné est allé à la rencontre de Marie Sebag, grand maître international d'échecs, afin de parler de la série et son impact.

    AlloCiné : Le jeu de la dame a été l’un des succès de l’année. Depuis, les échecs sont devenus in et tendance. Cela vous fait plaisir de voir une production sur le sujet faire autant parler d'elle ?

    Marie Sebag : C’est super de voir plein de gens qui s’intéressent à cette série et qui parlent des échecs. On vient souvent me demander si ça se passe réellement comme ça. Il y a aussi de l’engouement autour des jeux d’échecs. Il y a eu beaucoup plus d'achats et d’abonnements en ligne, notamment sur Chess.com. Pour les inscriptions dans les clubs, c’est compliqué à voir pour le moment puisqu’ils sont fermés.

    D’ailleurs le titre français a fait débat, puisqu’en VO il fait référence à une ouverture, le Gambit Dame. Vous êtes d'accord avec ce changement ?

    Le Gambit Dame, c’est quand les noirs répondent avec D5. Ensuite on sacrifie un pion en avançant l’autre parce qu’au début, le but de l’ouverture est le contrôle du centre. J’aime beaucoup ce titre Le Jeu de la dame, parce que la série ne parle pas forcément que des échecs. On la voit devenir femme peu à peu, elle commence à s’habiller de mieux en mieux. On suit la trajectoire d’une joueuse d’échecs mais aussi celle d’une femme. Donc je préfère ça à "Le Gambit de la Dame". 

    Quand avez-vous commencé à jouer aux échecs ?

    J’ai appris à 6 ans avec ma mère, qui était institutrice. Elle faisait des échecs dans une association de quartier, le Poumon sur Blaise. J’ai appris avec elle pour mieux travailler à l’école au départ. Ça m’a beaucoup plu, même si à l’inverse de Beth Harmon j’ai perdu mes 4 parties à mon premier tournoi. J’ai commencé à être forte la deuxième année et à gagner mes premiers tournois, dont le championnat de France des moins de 8 ans. 

    Vous dites que les échecs vous ont aidé à l’école. Dans quel sens ?

    Je fais un M2 de Psychologie cette année et je prépare justement mon mémoire sur les échecs. Ils aident à se concentrer, font travailler la mémoire visuo-spatiale… Et c’est important parce que les enfants sont de moins en moins concentrés avec les écrans. Les échecs peuvent aider à fixer leur attention. Ça les calme. 

    Le jeu de la dame
    Le jeu de la dame
    Sortie : 2020-10-23 | 60 min
    Série : Le jeu de la dame
    Avec Anya Taylor-Joy
    Presse
    3,9
    Spectateurs
    4,4
    Voir sur Netflix

    En parlant de mémoire visuo-spatiale, comment on se prépare à un tournoi d’échecs ? Beth (Anya Taylor-Joy) lit beaucoup, étudie les techniques, anticipe les coups dans sa tête …

    La série se joue dans les années 60 et à cette époque-là il n’y avait pas encore les ordinateurs. Quand j’ai commencé les échecs et jusqu’à mes 12-13 ans, je travaillais avec des livres et j’essayais de refaire mes parties sur l’échiquier. Les ordinateurs deviennent de plus en plus puissants et on peut analyser la partie que l’on vient de jouer pour voir ce que l’on a raté, les erreurs qu’on a pu faire et ce qu’on aurait pu faire de mieux. On peut aussi étudier toutes les parties qui ont été jouées dans le monde. Après c’est toujours très bien de prendre les échiquiers parce que ça permet de manipuler. On voit aussi Beth imaginer le jeu sur le plafond. C’est vrai que quand on a joué une partie pendant 6 heures, on l'a forcément dans la tête. Surtout quand on perd. On peut rejouer la partie plusieurs fois. L’ordinateur a beaucoup changé la manière de travailler. Dans la série on voit que c’est une équipe de secondants qui cherchent à plusieurs. 

    On est d’accord que si la série avait eu lieu aujourd’hui, elle n’aurait pas eu la même saveur. C’est un monde qui vous aurait plu ?

    J’ai aimé la série mais pas seulement pour le côté échecs. J’ai beaucoup aimé le personnage, le fait qu’elle ait perdu sa mère, les addictions qu’elle peut avoir. Je l’ai trouvée très touchante. Après en tant que joueuse, je suis toujours contente quand il y a des échecs dans un film ou une série. 

    Marie Sebag

    En dehors du côté addictions, vous vous reconnaissez dans le personnage ?

    Oui je me reconnais un peu, surtout quand elle perd ! Elle était très triste et un peu énervée. Je suis un peu comme ça, je n’aime pas du tout perdre (rires). C’est aussi un moteur parce que quand elle perd, elle refait ses parties pour travailler sur l’erreur qu’elle a faite pour ne pas la commettre à nouveau. Elle apprend de ses erreurs et c’est très important aux échecs. Je faisais pareil en analysant beaucoup par ordinateur. 

    Vous avez le titre de grand maître international. Vous pouvez nous expliquer ce que c'est ?

    Je suis la seule en France qui a décroché ce titre chez les hommes. On est à peu près une trentaine de femmes dans le monde à l'avoir. C’est le plus gros titre que l’on puisse recevoir. Il faut faire des performances ELO à plus de 2600 points trois fois. 

    Combien de temps peut durer en moyenne la carrière d’un grand maître ? 

    Ça dépend de la motivation de chacun. Je fais des échecs pour me construire et parce que c’est une expérience intéressante. Il y a des grands maîtres qui font des échecs toute leur vie et qui enchaînent les tournois. Il y en a d’autres qui préfèrent faire autre chose après. Je commence à construire ma carrière d’après en faisant mon master afin d’être psychologue… J’étais grand maître à 24 ans et je me suis dit que j’allais continuer à jouer tant que j’en avais envie, peu importe les résultats. Sachant qu’on ne le voit pas beaucoup dans la série mais on perd quand même beaucoup aux échecs. Même à très haut niveau. Dans son dernier tournoi, Beth gagne toutes ses parties alors qu’en réalité ça ne se passe pas comme ça. Il y a toujours des parties où on perd ou on fait des matchs nuls. Ça se fait petit à petit. 

    Phil Bray/Netflix

    Le point fort de la série, c’est qu’elle n’insiste pas sur son côté féministe. Et pourtant elle montre ô combien le monde des échecs est dominé par les hommes. J’imagine que c’est comme ça aujourd’hui encore. Est-ce que c’est quelque chose que vous ressentez ou quelque chose qui vous gêne ? 

    Les hommes sont quand même plus forts aux échecs. Je ne pense pas que les femmes vont arriver un jour à égaler leurs niveaux. Il faut une certaine endurance. Les tournois durent une semaine, il faut une bonne forme physique. Ça peut être très éprouvant psychologiquement. Je pense que les hommes sont plus aptes à tenir la distance vis-à-vis du stress et de l’entraînement. Je ne pense pas qu’un jour une femme comme Beth Harmon devienne champion du monde chez les hommes. 

    Qu’est ce que la série a bien fait ou, à l’inverse, n’a pas bien fait ?

    On voit que ce sont de vraies parties, qui ont été jouées, soit par Fisher, soit par Kasparov. Les adversaires paraissent réels, les tournois aussi. L’ambiance est la même. Quand elle apprend à jouer, elle se prend le coup du berger. On est tous passés par là. Il faut perdre une fois par le coup du berger avant de comprendre comment ça marche. Après elle joue trop vite dans les parties, c’est une petite incohérence. Et puis elle ne perd pas assez (rires). Même quand j’étais championne, j’ai continué à perdre. 

    Marie Sebag est licenciée au club d'échecs de Bischwiller et en Master 2 de psychologie de cognition à Paris 8. Elle fait aussi un stage au CMP Flandre où ils s'intéressent aux échecs dans le cadre de la remédiation cognitive. Elle donne aussi des cours au club d'échecs du Petit Poucet (Paris 18 et Paris 19).

     

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