Cheyenne et Lola est votre premier rôle principal dans une série. Quel était le défi principal qui s'est posé à vous lorsque vous avez découvert le projet ?
Charlotte Le Bon : C'est ma première série, et ce qui m'a donné envie c'est le défi du rôle parce que pour le coup c'est un vrai personnage, qui n'est pas stéréotypé. Au départ on a l'impression qu'elle l'est, c'est le stéréotype de la blonde un peu niaise, et en fait on se rend compte qu'il y a un éventail de personnalités qui sommeillent en elle et qui vont se réveiller tout au long de la série. Ensuite, elle traverse toutes sortes de choses, ça me permet de toucher à plein de couleurs différentes, et ça me donnait cette opportunité de pouvoir vraiment composer un personnage, chose qui n'arrive pas si souvent que ça au cinéma, parce qu'on a encore tendance à faire des personnages féminins stéréotypés, de jouer "la femme de", "la copine de", la fille gentille, jolie et pétillante... Alors que dans la série, Lola est totalement imprévisible. A jouer, c'est vraiment génial.
Connaissiez-vous Veerle Baetens, qui joue Cheyenne ?
Je connaissais juste l'actrice, on s'est seulement rencontrées à la première lecture. J'étais à la fois très intimidée et très excitée à l'idée de jouer avec elle. Ca passe ou ça casse, à ce moment-là ! Mais heureusement on s'est bien trouvées, on a même cohabité ensemble. C'est une histoire d'amour maintenant !
La durée du tournage impliquée par une série de 8x52 minutes vous effrayait-elle ?
J'avais déjà fait des gros tournages avant, donc c'est un peu la même chose en termes de durée. On a juste l'impression de faire un long film ! Après, ce qui est agréable, c'est que nos personnages nous accompagnent sur une plus longue période. Un film français en moyenne, c'est un mois et demi de tournage, là on est sur quatre mois, donc on a vraiment le temps de s'approprier complètement nos rôles.
Comment avez-vous approché le personnage de Lola ? Qu'est-ce qui vous a aidé à le nourrir ?
Parfois, on nous donne un espèce de canevas de base et puis on essaie de construire le personnage avec notre imaginaire. Mais là je trouve que le scénario de Virginie Brac était déjà tellement bien écrit à la base, c'était vraiment extraordinaire et très rare de lire des projets de cette qualité. Je me rappelle avoir lu les huit épisodes et j'étais supposée en discuter avec elle après, et je lui ai dit "mais en fait je n'ai pas de questions, c'est génial ! " Ca part dans tous les sens, Lola est complètement imprévisible, elle est folle-hystérique, à la fois bourreau et victime, elle est manipulable et en même temps très manipulatrice… Ca me permettait de toucher à tout ! Et comme on ne sait jamais dans quel sens elle va aller, comme c'est une espèce de girouette, tout est possible et tout s'explique. J'avais pas besoin de comprendre pourquoi elle faisait certaines choses, tout me paraissait cohérent.
Qui est-elle ? Comment la décririez-vous ?
C'est une fille qui au début est dans une relation un peu toxique, avec quelqu'un qui la manipule, et elle va faire un virage à 180 degrés quand elle va rencontrer Cheyenne. Comme elle a un gros problème identitaire, c'est le genre de personne qui a tendance à vouloir prendre les traits de la personne avec qui elle est ou qu'elle admire sur le moment, comme un caméléon. Mais cette admiration est toujours temporaire, elle peut rapidement l'expédier pour une autre. Et dès qu'elle rencontre Cheyenne, il y a une vraie fusion parce qu'elle est tout ce que Lola n'est pas, et je pense que ça va la centrer. C'est drôle parce qu'on parlait de signes astrologiques sur nos personnages, et Veerle disait que Cheyenne était Taureau, qui est un signe de terre très "groundé", et moi je pensais que Lola était plutôt Cancer, un signe d'eau ou peut-être... Non peut-être pas Balance parce qu'elle est pas assez cérébrale, mais sans doute Cancer. Je suis allée voir aussi les profils des tueurs en série pour voir s'il y avait une tendance de signes du zodiaque qui se dégageaient, et le Cancer revenait très souvent. (rires)
Elle est presque borderline en fait.
Elle est carrément borderline ! C'est intéressant que vous en parliez parce qu'avant qu'on tourne le premier jour, je n'avais pas trouvé de diagnostic précis qui me permettait de comprendre le fait que Lola aille dans tous les sens, et ça m'énervait. J'ai alors commencé à regarder des vidéos sur la maladie mentale et sur certains troubles de la personnalité, et j'ai compris que Lola y correspondait. Je l'ai diagnostiquée la veille du premier jour de tournage. Il y a neuf traits principaux de cette pathologie : trouble identitaire, ne pas savoir qui elle est, changer de look constamment, peur abyssale de l'abandon, impulsivité qui peut mener à des comportements dangereux suivi d'une phase de regret... et elle y correspondait totalement. J'en ai discuté avec la scénariste ensuite, et sans s'en rendre compte, Virginie Brac a écrit un personnage qui était parfaitement borderline.
Avez-vous l'impression que les représentations des femmes dans les fictions évoluent enfin, notamment grâce aux séries ?
J'ose espérer qu'il y a une amorce de quelque chose, après moi ça faisait deux ans que je ne tournais pas, intentionnellement, parce que je n'aimais pas ce qu'on me proposait. Je préférais ne pas tourner plutôt que de jouer un énième rôle stéréotypé. j'ai d'autres choses à côté, et je me suis dit qu'au pire, je ferai mes propres films, j'écrirai mes propres personnages, et c'est ce que j'ai fait pendant deux ans. J'ai vécu de la vente de mes œuvres, j'ai fait un court-métrage et j'ai commencé à écrire mon premier long-métrage. Si on est est pas satisfaites de ce qu'on lit, il faut créer nos propres envies. Quand je suis tombée sur Cheyenne et Lola, au début je n'y croyais pas trop, et j'ai été totalement emballée à la lecture des deux premiers épisodes. Et le fait que ce soit écrit par une femme, ça se ressent vraiment à travers les personnages. Il y a quelque chose de plus incarné.
Votre travail d'artiste plasticienne vous permet-il de nourrir votre jeu d'une autre façon ?
Je pense que ça permet d'avoir une vie un peu plus équilibrée, plutôt que de ne faire que ce métier qui nous rend dépendant du désir des autres. Mes deux parents sont acteurs, ils ne font que ça, et je les ai vus en souffrir beaucoup quand le téléphone ne sonnait pas. Je me suis toujours dit que je ne voulais pas faire que ça. Le métier d'acteur est un peu arrivé par hasard, j'étais déjà artiste avant de devenir actrice, donc c'était juste cohérent que je continue à faire ce que fais.
Envisagez-vous de tourner prochainement aux Etats-Unis ou au Canada ?
J'ai fait quatre films américains, et le long-métrage que je suis en train d'écrire est une coproduction franco-québécoise. Je devrai normalement le tourner là-bas. Ca fait dix ans que j'habite en France mais toute ma famille est au Canada. Comme j'ai pas envie de choisir de métier, j'ai pas envie de choisir de pays non plus, je pense que je vais toujours vivre entre les deux ! C'est une force dans la mesure où ça me permet d'être plus "balancée" : quand je passe trop de temps à Paris, je trouve la ville très saturée et stressante, et au Canada j'ai une maison sur le bord de l'eau dans la forêt, c'est complètement à l'opposé. Mais je pense que si je ne vivais que dans l'un ou dans l'autre, je serai malheureuse. J'ai trouvé le juste milieu.
Quelles séries vous ont marqué récemment ?
J'ai vraiment kiffé Euphoria, j'ai trouvé ça vraiment super. The Handmaid's Tale en revanche je suis un peu déçue, mais j'ai l'impression que dès qu'on a commencé à dériver du roman après la première saison, ça s'étire un peu. Sinon, le réalisateur de Cheyenne et Lola (Eshref Reybrouck) nous a demandés de regarder Escape at Dannemora, la série de Ben Stiller avec Paul Dano et Benicio Del Toro. Patricia Arquette est extraordinaire dedans, elle m'a beaucoup aidée parce qu'elle a développé son personnage sans le juger. Parfois en tant qu'acteur on se dit "si on fait ça, peut-être que le public m'aimera pas", ou de vouloir créer des personnages à qui on ne peut rien reprocher. Et elle, elle est vraiment totalement investie, peu importe si son personnage est détestable ou non. Ca m'a vraiment servie pour le personnage de Lola, parce qu'elle est vraiment haïssable parfois. (rires) Elle est complètement cinglée, mais elle est géniale.