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    We are Soldiers : "Ces gens ont vu les horreurs de la guerre et sont passés très près de la mort, trop près"
    Octavie Delaunay
    Octavie Delaunay
    -Chargée de la BDD
    A la recherche permanente de souvenirs irrattrapables, son intérêt pour l’histoire et le cinéma l’a conduit à faire des études poussées dans ces deux domaines et à travailler dans le secteur culturel. Elle est journaliste / rédactrice affiliée à la base de données d’AlloCiné depuis 2018.

    A l'occasion de la sortie en salles du documentaire We are Soldiers, la réalisatrice de cette galerie de portraits d'anciens combattants ukrainiens a répondu à nos questions.

    Aujourd'hui sort en salles, le documentaire intimiste We are Soldiers. La réalisatrice Svitlana Smirnova et son chef opérateur français ont enregistré la parole et les cicatrices de vétérans de la Guerre du Donbass. Ce conflit oppose une partie des ukrainiens pro-Europe à d'autres compatriotes pro-Russie soutenus par l'armée de Vladimir Poutine. La particularité des protagonistes : ils sont tous les trois des engagés volontaires. AlloCiné est allé à la rencontre d'une metteuse en scène qui nous rappelle que le cessez-le-feu n'a toujours pas eu lieu.

    AlloCiné : Svitlana, pouvez-vous nous retracer votre parcours ?

    Svitlana Smirnova : Je suis née au Kazakhstan mais j’ai grandi à Soumy, une petite ville à l’est de l’Ukraine, assez proche de la frontière russe. Je suis partie faire des études de théâtre a Kiev. J’ai suivi plusieurs formations en Ukraine et en Russie puis je suis devenue comédienne de théâtre et de cinéma. En parallèle, j’ai travaillé à la télévision où je conseillais les présentateurs.

    AC : Qu'est-ce qui vous a poussé à prendre la caméra pour évoquer la Guerre du Donbass, la toile de fond de We are Soldiers ?

    En 2014, quand la Russie a envahi l’Ukraine, le pays n’était pas prêt. Suite au mémorandum de Budapest de 1994, nous pensions être à l’abri de toutes guerres dans le futur. Par conséquent, il y avait un grand nombre de soldats inexpérimentés ou de volontaires, et beaucoup ont été tués ou mutilés. Les hôpitaux ont été submergés, les médecins et les infirmières étaient débordés. Comme j’ai aussi une formation de kiné, j’ai pensé que je pouvais apporter mon aide en faisant des massages pour soulager certains blessés. A leur contact, j'ai découvert de nombreuses histoires passionnantes, et j’ai pensé qu’il était nécessaire que plus de gens les entendent.

    We Are Soldiers
    We Are Soldiers
    Sortie : 7 octobre 2020 | 1h 01min
    De Svitlana Smirnova
    Presse
    3,2
    Spectateurs
    3,8
    Voir sur Universciné

    AC : Comment avez-vous choisi vos protagonistes (Anatolii, Oleksii, Dmytro) ? Pourquoi cette importance donnée au fait qu'ils soient tous les trois des engagés volontaires ? Le titre du film utilise d'ailleurs le présent de l'indicatif alors qu'ils ne sont plus aptes à combattre…

    J'avais à coeur de montrer trois hommes qui s’étaient portés volontaires car la part de civils qui sont allés combattre est très importante. L’Ukraine ne s’attendait pas à une attaque de la Russie et l’armée ukrainienne n’était pas assez nombreuse. Anatolii, Oleksii et Dmytro représentent trois générations différentes car les volontaires ont tous les âges et viennent de tous milieux. J'ai voulu montrer des gens qui n'avaient pas l'intention de partir faire la guerre un jour mais qui ont senti qu’ils ne pouvaient pas faire autrement que de défendre leur pays. Des hommes qui n'ont jamais tenu une arme auparavant ! Cette histoire pourrait avoir lieu n’importe où et n’importe quand. C’est pour cela que j’ai choisi ce titre car nous pourrions tous être Anatolii, Oleksii ou Dmytro. Malheureusement, cette guerre est loin d'être terminée.

    AC : Comment s'est déroulé le tournage ? Comment Anatolii, Oleksii et Dmytro se sont-ils laissés filmer ? Je pense notamment à leurs blessures de guerre qui les handicapent à présent. Dmytro est très pudique par rapport au nouvel " aspect " de son corps ?

    Ce qui m’a surtout aidé pour le tournage, c’est que j’étais kiné volontaire dans cet hôpital. Tout le monde me connaissait, y compris Anatolii, Oleksii et Dmytro. Ils me faisaient confiance. Le fait que mon directeur de la photographie, Matthieu-David Cournot, ne parle pas l’ukrainien s'est finalement révélé être un avantage, les personnages se confiaient à moi plus facilement. De plus, Matthieu-David a beaucoup utilisé la longue focale pour être assez loin et donc le moins intrusif possible. Nous n'étions que deux, on nous remarquait à peine. C’est vrai que le corps de Dmytro a beaucoup changé, c’était un garcon tres sportif et très musclé. Ils étaient tous les trois très pudiques mais ils m’ont fait confiance. Ils ont compris qu’il n’y avait aucun voyeurisme dans ma démarche, ni aucune envie de faire du sensationnalisme.

    ESC EDITIONS

    AC : La grande majorité des scènes du documentaire se situent à l’hôpital militaire de Kiev. Vous filmez des tranches de vie dans un contexte de convalescence. Le bâtiment devient un second foyer pour les blessés de guerre. C’était votre volonté dès le départ d’être au plus près de leur quotidien, de célébrer les petits riens de la vie comme Anatolii qui déguste un esquimau par exemple ?

    Vu de loin, la vie dans un hôpital peut paraître banale et monotone mais dès lors que vous y regardez de plus près, vous vous rendez compte qu’il n’en est rien. C’est effectivement un second foyer où l’on réapprend à vivre. Je voulais montrer des choses qui peuvent sembler anodines et montrer que pour ces convalescents, elles étaient loin de l'être. Ces gens, à la base comme vous et moi, ont vu les horreurs de la guerre et sont passés très près de la mort, trop près. Dès lors, ils apprécient différemment le chant des oiseaux ou le simple fait de manger une glace. L’importance et le caractère unique de chaque moment de la vie se font particulièrement sentir.

    AC : On s'attache aux trois hommes. Après avoir vu le film, on a forcément envie de savoir comment ils se portent aujourd'hui ?

    Je suis restée en contact avec eux bien évidemment. J'aurais tellement aimé qu’ils soient présents pour l’avant-première mais malheureusement avec la pandémie de Covid-19, c’est impossible. Anatolii se déplace grâce à ses prothèses. Il est hyper actif. Il travaille pour un syndicat de copropriété et comme inspecteur des travaux dans le bâtiment. Il est aussi dans une association d’anciens combattants handicapés. Oleksii, même si sa jambe le fait encore souffrir par moment, a repris son métier de menuisier. J’ai d’ailleurs été une de ses premières clientes. Il travaille aussi beaucoup pour l’armée. Dmytro va très bien. Après sa rééducation, il s’est remis au sport. Il est récemment entré à l'université pour faire des études d'économie. Il préfère toujours ne pas porter de short afin que les gens ne voient pas ses nombreuses cicatrices.

    Propos recueillis le 18 septembre à Paris.

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