S'emparer d'un classique pour mieux le réinventer. C'est la mission que se donne Sophie Deraspe avec Antigone, son cinquième long métrage, au cinéma dès ce 2 septembre 2020. De la célèbre tragédie grecque de Sophocle, la réalisatrice québécoise conserve les noms des personnages, la structure de l'œuvre originale et bien sûr, son thème principal : la résistance. Celle d'une jeune femme, d'origine kabyle, qui vit à Montréal avec sa famille. Lorsqu'un de ses frères tombe sous les balles d'un policier et que l'autre finit en prison, elle entreprend une lutte contre les autorités judiciaires et policières de son pays.
L'histoire, replacée à notre époque, avec une réalité sociale déconcertante, est l'occasion pour la cinéaste de proposer un film d'une grande puissance. Une réussite qui lui a permis d'être sélectionnée pour représenter le Canada aux Oscars en 2019.
Une œuvre ancrée dans le réel
Depuis ses études, Sophie Deraspe trouve en Antigone une véritable source d'inspiration : "J'admire la force de ce personnage féminin qui se tient debout contre une face de l'autorité qu'elle juge injuste." Les injustices, la réalisatrice y est très sensible, même si elle admet ne pas faire partie des "victimes du système". "Je reste une femme donc, forcément, je garde une posture de vulnérabilité dans certains cas, mais le courage de cette héroïne m'a galvanisé, insiste-t-elle. C'est une tragédie, certes, mais elle me donne un élan de vie, de possible, ne serait-ce que de voir une intégrité pareille chez une jeune femme."
L'idée du film lui est apparue alors qu'elle visionnait des vidéos sur l'affaire Fredy Villanueva. En 2008, ce Montréalais de 18 ans, venu du Honduras dix ans plus tôt, est tué à la suite d'une intervention policière. Face à cet acte, de nombreux manifestants se sont emparés des rues pour crier leur indignation. Une histoire similaire à celle d'Adama Traoré, en France."Tout est venu comme une inspiration soudaine et claire, après il a fallu mettre de la chair là-dessus, précise la réalisatrice. La structure était déjà trouvée, mais il fallait se distancier avec le récit original et trouver comment il pouvait prendre sens avec ce que nous raconte la société québécoise d'aujourd'hui."
Naissance d'un grand talent
À l'écran, les chœurs grecs deviennent le bruit de la cité, l'oracle apparaît sous la forme d'une psychiatre et l'autorité du roi est divisée entre trois parties : la police, la justice et la figure du père. Au milieu de tous ces éléments, Nahéma Ricci, qui interprète son premier rôle au cinéma, redessine une Antigone plus vaillante que jamais.La comédienne, âgée de vingt-trois ans, a été sélectionnée parmi plus de 850 candidatures. "Quand je l'ai vue, j'ai su qu'elle avait la capacité de jouer un personnage mythique, souligne Sophie Deraspe. Il y a une profondeur rare qui transparaît dans son regard et sa personnalité."
Antigone est une nouvelle étape dans la mise en lumière du cinéma québécois, qui continue de s'imposer culturellement dans l'Hexagone. La réalisatrice explique que le succès de Xavier Dolan y est pour beaucoup. "Il a amené quelque chose de complètement décomplexé par rapport à notre culture. Je l'en remercie d'avoir ouvert ce terrain dans lequel l'accent québécois n'est plus une barrière, mais un plaisir dans la manière d'approcher cette langue."
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le mercredi 22 juillet 2020.
Découvrez la bande-annonce du film... :
... et sa bande originale :