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    Tex Avery, génie absolu de l'animation, toujours sans héritier 40 ans après son décès
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Disparu en 1980 à l'âge de 72 ans, ce génie de l'animation et du cinéma tout court, créateur de quelques uns des plus fameux personnages de Cartoons, n'en finit pas de nourrir l'imaginaire de cinéastes, dessinateurs ou publicitaires. Hommage.

    MGM

    Entre les années 1930 et le milieu des années 1950, un génie nommé Tex Avery révolutionne le dessin animé. Riche de 135 films, son oeuvre d'une incroyable folie créatrice -surtout la période MGM- reste une référence absolue en matière d'animation et d'humour visuel. Qu'on en juge. Un loup en smoking et érotomane aux yeux exorbités devant une délicieuse pin-up; un volcanique "petit" chaperon rouge ; Droopy, le génial anti-héros canin neurasthénique qui respire la joie de vivre, un écureuil fou, Bugs Bunny, Daffy Duck…Dans l’univers de Tex Avery, tout devient possible, même l’impossible. Comme il le disait d'ailleurs lui-même : "le public trouve ça drôle parce qu’impossible". Tex Avery, c’est l’anti Disney, une imagination totalement débridée au service du gag et d'un sens inouï du rythme.

    Disparu en 1980 à l'âge de 72 ans, il y a tout juste 40 ans, ce génie de l'animation, et du cinéma tout court, n'en finit pas de nourrir l'imaginaire de cinéastes, artistes, dessinateurs ou publicitaires. Politiquement incorrect, le maître reste sans égal et sans réel héritier.

    A l'ombre de figures légendaires du Far West

    Frederick Bean Avery, dit Fred ou surtout Tex -en hommage au Texas-, voit le jour le 26 février 1908 à Taylor. Il est le descendant de deux fameuses figures de l'histoire des Etats-Unis. D'abord l'explorateur et pionnier de la colonisation de l'Amérique du Nord Daniel Boone, un Davy Crockett avant l'heure. Et, dit-on, du "juge" Roy Bean, légende du folklore du Far West, qui s'appelait lui-même "la Loi à l'Ouest du Pecos".

    Dès son jeune âge, Tex Avery développe un goût prononcé pour le dessin. Après une formation aux métiers de dessinateur et animateur au Art Institute of Chicago, il tente sans succès de vendre ses planches de dessins. Il part alors en Californie pour entamer une carrière dans l'animation. A cette époque, toutes les Majors n'ont pas encore leur propre Département animation. Souvent, elles se contentent de distribuer les Cartoons, alors créés par des indépendants.

    Il travaille d’abord pour les Studios Fox, puis pour Charles Mintz à la Columbia et dans les studios de Walter Lantz chez Universal. Là, il est affecté sur la série des Oswald le lapin chanceux de 1931 à 1935 – il aurait même réalisé deux épisodes. C’est à cette époque qu’il perd l’usage de l’œil gauche, éborgné par une agrafe à la suite d’un chahut de bureau. Dès le début, Avery se fait remarquer. Travailleur acharné, blagueur féroce, il a un exceptionnel sens de l'humour. Chaque animateur contribue à la création des gags dans les Cartoons; mais Tex était dit-on le plus drôle.

    Daffy Duck, Bugs Bunny…Le temps de la Warner Bros.

    En 1935, Avery intègre le département animation de Warner Bros., dirigé par Leon Schlesinger, et convainc ce dernier de le laisser diriger sa propre équipe d’animateurs. Il supervise ainsi entre autres Robert Clampett et Chuck Jones, au sein d’un bungalow infesté de termites rapidement rebaptisé Termite Terrace. "On a tout de suite compris qu'il était différent" dira des années plus tard le grand Chuck Jones à son égard; "on ne l’analysait pas comme ça à 20 ans, sinon j’aurai tout de suite compris que c’était un génie. Et ce génie n’a jamais failli dans aucun de ses films !"

    L’équipe travaille dans un premier temps sur les cartoons Looney Tunes en noir et blanc, puis sur les Merrie Melodies en couleurs. Avec ses collaborateurs, Avery le perfectionniste va inventer un style d’animation qui contraste vivement avec les cartoons de Disney, et créer une série de personnages stars du genre, comme Daffy Duck, doublé par Mel Blanc, ou bien entendu Bugs Bunny, co-élaboré avec Ben "Bugs" HardawayCal Dalton et Chuck Jones. Avery réalisera lui-même réalisera quatre Cartoons mettant en scène le personnage.

    La MGM, antre de la folie créatrice de Tex Avery

    En 1941, à la suite d’un désaccord avec le boss du studio Leon Schlesinger, Avery quitte la Warner et part un temps œuvrer à la Paramount, travaillant sur Speaking of Animals, un concept auparavant retoqué par Schlesinger qui consiste à utiliser des prises de vues réelles d’animaux et à animer leurs lèvres. Il rejoint ensuite la MGM pour travailler sous la supervision de Fred Quimby, et atteint ce qu’on considère généralement comme son apogée, avec plus de marge de manœuvre et de moyens qu’auparavant.

    Son premier cartoon pour la major, The Blitz Wolf, détourne le conte des Trois Petits Cochons en parodiant Adolf Hitler, représenté en loup, et se voit nommé à l’Oscar du meilleur court métrage animé en 1942. Projeté en avant-programme dans les salles de cinéma, c'est un triomphe absolu : les spectateurs se déchaînent, hilares, applaudissent. Le succès est tel que les projectionnistes sont obligés de repasser une seconde et même une 3e fois le Cartoon.

    Ci-dessous, des extraits de Blitz Wolf :

    Tex Avery invente en 1943 son plus célèbre personnage pour la MGM, Droopy, dans Dumb Hounded, avant de poursuivre ses détournements de conte en transformant le petit chaperon rouge en chanteuse de cabaret outrageusement sexy (et le loup en érotomane incorrigible avec Red Hot Riding Hood.

    Ci-dessous, un extrait de Dumb Hounded et ses mécanismes humouristiques :

    "Une de ses principales qualités, c’est qu’il ne se bridait pas. Il ne s’imposait aucune limite" disait Michael Lah, animateur ayant travaillé aux côtés de Tex Avery; "cela donnait des dessins et des scènes d’une folie que personne ne s’était permise auparavant. Si c’était drôle pour lui, c’était bon. L’exagération et la répétition des prises, c’est ça qui le distingue".

    Ci-dessous, un extrait du démentiel Les Deux Chaperons rouges, réalisé en 1949, et classé 23e sur 50 parmi les plus grands Cartoons de tous les temps. Ici, Wolvie le classieux emmène son cousin Redneck au cabaret... Et tombe raide dingue de la Pin-Up. Certains gags, brillants, sont à pleurer de rire.

    Maître de l’excès, de la dérision, de la frénésie, de la transgression formelle et narrative, c'est à Tex Avery qu’on doit les premiers gags où il fait littéralement exploser les cadres de son outil de travail : un personnage emporté par son élan sort du film, le cartoon passe du technicolor au noir et blanc sans crier gare, apparition d'un faux cheveux sur une pellicule avant que le personnage du cartoon ne s’en rende compte et l’enlève derechef, joue sur la lecture sur plusieurs plans en faisant apparaître ses personnages sur une scène de théâtre ou un écran de cinéma, pendant que les spectateurs interrompent la séance le temps de s’asseoir…etc.

    Ci-dessous, une compilation de gags de ses Cartoons entre 1942 et 1955 :

    Ci-dessous, Le maestro magique, ou l'obsession du cheveu dans le cadre :

    il donne également vie à Screwy Squirrell, un écureuil fou et sadique, ou au duo d’ours George et Junior, inspiré du tandem de Des souris et des hommes, de John Steinbeck, et explore le monde du futur avec des dessins animés comme La maison du futur ou The Car of Tomorrow. Il s’impose plus largement comme l’anti-Disney, désaxé et nettement moins "familial". Politiquement incorrect, il fera aussi les frais de la censure, notamment en 1968 avec les Cartoons Uncle's Tom Cabana et Half-Pint Pygmy, qui met en scène le duo d'ours George et Junior, pour cause de représentation raciste de la communauté afro-américaine. A notre d'ailleurs que ces deux Cartoons furent également censurés dans le coffret DVD sorti en 2003 chez Warner en France, seul pays au monde à ce moment là à regrouper la quasi intégralité des oeuvres d'Avery. Petite note supplémentaire à l'attention des puristes et collectionneurs : seules les éditions en laserdiscs comportent l'intégral des Tex Avery, y compris les cartoons censurés...

    Des hommages, oui. Mais des héritiers ?

    En dépit de la reconnaissance de ses pairs, et avant d’être véritablement redécouvert (alors que sa carrière dans l’animation était derrière lui), Tex Avery resta longtemps un personnage mystérieux pour le grand public, au point que son existence fut parfois mise en doute (on pensait à un prête-nom, et concevait plutôt les cartoons comme des œuvres collectives... ce qu'elles étaient aussi). Au pays de l'Oncle Sam, il est nettement moins que connu que son "rival" de toujours, Walt Disney, qui a scellé son emprise sur le monde de l'animation.

    En France, c'est à l'historien du cinéma Patrick Brion, responsable de la programmation du cinéma de minuit sur France 3, que l'on doit la vulgarisation de l'oeuvre du génial Tex Avery. En 1983, il est l'auteur d'un ouvrage consacré au maestro, qui reste à ce jour une référence absolue pour les cinéphiles. Pour lui, Avery est l'équivalent d'un Howard Hawks, d'un John Ford : un des grands cinéastes de l'âge d'or d'Hollywood. "Je pense qu'aujourd'hui Tex Avery est plus sulfureux que jamais !" disait Patrick Brion en 2008, interviewé par Le Figaro; "il gêne les Américains puritains qui ont perdu leur sens de l'humour depuis la guerre en Irak". "Avery est l'un des derniers vrais surréalistes" expliquait Michel Gondry dans le même article; "il fait circuler une folie totalement surprenante. Je pense qu'il nous a appris l'invention perpétuelle. C'était un créateur épris de liberté. Dans ses dessins animés, le rire est libérateur et toujours franchement rebelle".

    Que ce soit dans les dessins animés (South Park, les Simpson..), la BD (chez Gotlib notamment), ou au cinéma, on trouve l'héritage de Tex Avery un peu partout. Au cinéma justement, le réalisateur Chuck Russell rendait un hommage savoureux dans The Mask, avec la séquence où Jim Carrey se transforme en Wolfie dans la scène du Night Club Coco Bongo.

    Avec Qui veut la peau de Roger Rabbit ?Robert Zemeckis rendait lui aussi hommage au maestro, déjà dans l'avalanche de gags du Cartoon avec Baby Herman en ouverture du film, Somethin' Cookin', mais aussi tout au long de l'oeuvre. A découvrir ci-dessous.

    Avec son avalanche de gags et son rythme effréné, Kuzco, l'empereur mégalo, production Disney, lui rendait non sans ironie un bel hommage. Mais on restait malgré tout dans le politiquement correct, Trademark Disney oblige. Et du côté de Shrek ? Gentiment irrévérencieux, l'ogre pétomane reste, au-delà des qualités intrinsèques du / des film(s), totalement inoffensif.

    Sérieusement, à quand remonte votre dernière rencontre avec un loup érotomane dans un film d'animation ? Une authentique Pin-up, version dévoyée du Petit chaperon rouge ? Un chien tel que Spike, le molosse fétiche d'Avery, qui est le pendant animé de Dr Jekyll et Mr Hyde ? Un bébé flinguant littéralement son voisin dans les gradins d'un stade, parce qu'il louche sur sa sucette ? Bref, une galerie de personnages et un bestiaire démentiels qui auraient sans doute fait le bonheur du psychanalyste Freud ou, mieux encore, celui de Bruno Bettelheim, auteur du fameux ouvrage sur la psychanalyse des contes de fées, publié en 1976. 40 ans après son décès, la folie et le génie créatif de Tex Avery manquent décidément bien cruellement au monde de l'animation. So long l'artiste...

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