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    ENQUÊTE - Cinéma en salles : 13 distributeurs parlent du Covid-19, de la réouverture, de l'avenir des salles...

    Stoppée soudainement le 15 mars dernier à cause de la pandémie de Covid-19, les Cinémas rouvrent leurs portes le 22 juin prochain. A cette occasion, AlloCiné a interrogé les distributeurs de films afin d'avoir leur ressenti sur la situation. Enquête.

    A l'arrêt depuis le 15 mars, l'Industrie du cinéma reprend peu à peu. Si l'annonce de la fermeture des cinémas est tombée comme un coup de massue, celle de la réouverture dès le 22 juin a semble-t-il surpris la plupart des professionnels qui tablaient sur une ouverture début juillet.

    L'industrie s'est rapidement mise en ordre de marche. La FNCF a précisé aux exploitants les mesures sanitaires à mettre en place afin de recevoir les spectateurs en toute sécurité tandis que les distributeurs ont revu leur line-up afin d'offrir aux exploitants une large gamme de films à proposer (plus de 45 films sont datés au lundi 22 juin) : outre les sorties de mars dont la carrière a été stoppée net, seront présentées des nouveautés, des ressorties de succès avérés et des reprises de classiques. Un large éventail qui permet aux exploitants d'assurer une programmation plus ou moins normale.

    AlloCiné a interrogé de nombreux professionnels de la distribution afin d'avoir leur ressenti sur cette période inédite et ses conséquences.

    Le questionnaire a été envoyé à 45 distributeurs, certains - dont les grosses majors Warner et Paramount - n'ont pas souhaité participer.

    AlloCiné : Comment avez-vous vécu cette période de confinement ? (cessation d'activité, accompagnement du Gouvernement, pertes liées à la fermeture des cinémas…)

    Universal (Xavier Albert) : Comme tout le monde, notre activité s’est arrêtée soudainement et brusquement le samedi 14 mars alors que nous avions plusieurs films à l’affiche dont Invisible Man en 3e semaine d’exploitation. Nous avons avant même le confinement décidé par le gouvernement passé l’ensemble de l’équipe en télétravail. L’avantage est que nous avions déjà mis en place un accord d’entreprise au sein d’UPI France sur ce sujet depuis Octobre 2018 donc cela s’est fait relativement facilement.

    Nous avons par contre fait le choix de ne mettre aucun salarié en chômage partiel et le travail n’a pas manqué car au final, c’était sans doute la première fois depuis très longtemps que nous avions du temps pour à la fois régler les affaires courantes, enfin mettre en ordre de nombreux dossiers, améliorer les process et bien sûr réfléchir à l’avenir avec un line up très fourni en 2021. En ce qui concerne notre année 2020, elle sera bien évidemment très difficile puisque nous perdrons au minimum plus de 50% de notre box-office prévu, soit une dizaine de millions d’entrées entre les films décalés et ceux dont l’exploitation en salles ne se fera pas.

    Memento Films (Alexandre Mallet-Guy) : Ce fut un véritable coup de massue pour nous. Nous venions de sortir La Bonne épouse dans 650 salles le mercredi 11 mars. Nous avons enregistré 90 000 entrées le premier jour, ce qui était remarquable et nous laissait présager de notre plus gros succès commercial depuis la création de Memento Films Distribution. Et puis, les entrées ont commencé à baisser à mesure que la crainte du virus augmentait. Le film demeurait en tête du box-office, mais il était clair que le marché était frappé de plein fouet par les évènements que nous connaissons. Le samedi 14 mars au soir, les salles ont été obligées de fermer leurs portes. Tout s’est arrêté subitement. Ce fut d’autant plus violent que La Bonne épouse avait réussi à mobiliser 170 000 spectateurs en seulement quatre jours d’exploitation, preuve de l’engouement du public pour le film. Nous avons aussi fermé les portes de la société. Mes collaborateurs et moi-même avons maintenu le lien tout le temps du confinement. Nous avons travaillé, au fil des évènements et des informations qui nous remontaient, à la ressortie de La Bonne épouse. L’objectif était d’être prêt quand les salles rouvriraient.

    Memento Films Distribution

    Les Alchimistes : On s’est évidemment sentis totalement dépossédés de nos activités régulières, dans un contexte assez inquiétant tant les inconnus étaient (et restent) nombreux. La durée indéfinie de cette arrêt forcé nous questionnait sans cesse sur la bonne conduite à avoir quant à notre line up fortement impacté (3 films au total concernés sur la période de fermeture des salles), mais aussi par rapport aux acquisitions qui traditionnellement sont au centre de notre stratégie de développement à cette période de l’année…

    À cela s’ajoute l’avortement des communications joyeuses prévues autour de la fusion de nos sociétés (Ligne 7 et Docks 66) pour devenir Les Alchimistes !

    Nous sommes très inquiets du désengagement de l’Etat et du CNC sur un soutien spécifique au secteur. Nous avons profité des mesures de chômage partiel et d’aides exceptionnelles aux entreprises (1 500€ pour Docks66), mais cela est très loin de couvrir les pertes que nous avons subies (séances et festivals annulés, sorties décalées, etc.). Surtout, tout le travail amorcé sur nos sorties qui n’ont pas pu avoir lieu est à recommencer, c’est donc une double peine qui ne semble pas prise en considération.

    StudioCanal (Thierry Lacaze) : Les équipes de StudioCanal ont été mises au chômage partiel, et nous avons travaillé tous les après-midi afin de tenir le lien avec les équipes de films pour les films décalés, de continuer à travailler sur les stratégies de sorties des films de la rentrée, mais aussi partager les préoccupations des exploitants et de l’ensemble des partenaires de nos films.

    "Le manque à gagner du côté du CNC est évalué à plus de 100 M d’euros"

    Pyramide Films (Eric Lagesse) : Ce confinement n’a été le choix de personne. Il nous a été imposé, sans doute à juste titre et tout le monde a été logé à la même enseigne. On ne peut que louer la mise en place du chômage partiel qui a constitué un filet de sécurité important pour nos entreprises prises à la gorge et qui ne pouvaient plus du tout remplir leur mission puisque les salles de cinéma étaient fermées. Les pertes ont concerné quelques-uns de nos films comme Kongo sorti le 11 mars, Les Parfums prévu le 25 mars, sur lequel certaines dépenses ne seront pas compensées ou Nuestras Madres, prévu pour le 8 avril que nous nous sommes finalement résolus, bien à contrecœur, à sortir en VOD directement. Sinon, nous devons plutôt parler de manque à gagner, puisque nous avons du déprogrammer tous nos films prévus entre fin mars et début août pour finalement reprogrammer Les Parfums le 1er juillet, pariant avec un « optimisme inquiet » sur une réouverture des salles. La vraie perte se situera en 2021 pour toutes les entreprises du secteur si le gouvernement n’aide pas le CNC de façon conséquente. En effet, le manque à gagner immense, c’est du côté du CNC qu’il faut le considérer. Il est évalué à plus de 100 M d’euros et si le CNC n’arrive pas à négocier auprès de l’Etat une rallonge budgétaire indispensable pour 2021, il pèsera très lourd sur l’économie du cinéma et sur nos trésoreries.

    Destiny Films (Hervé Millet) : La 1ère chose a été l’arrêt, au bout de 4 jours avec la fermeture des cinémas, de l’exploitation du documentaire de Juan Solanas Femmes d'Argentine (Que Sea Ley). C’est un coup dur car nous avions beaucoup travaillé sur cette sortie et nous pensions, à juste titre, que le film avait un bon potentiel. Nous n’allons pas le ‘ressortir’ le 22 Juin mais nous allons proposer aux cinémas de mettre en place une soirée-débat unique le lundi 28 Septembre 2020 pour la Journée mondiale du droit à l'avortement. La 2ème, c’est cette attente interminable de la date de réouverture des cinémas… La perte est obligatoirement très importante puisque notre CA est basé essentiellement sur l’exploitation cinéma. Cela nous a amené à prendre des décisions sur les autres films qui devaient sortir en 2020 : reporter à 2021 et non repousser à cette année, deux films que nous devions sortir en avril et en mai ! Enfin, l’accompagnement du Gouvernement par l’intermédiaire du PGE est très loin de ce qui a été annoncé ("nous ne laisserons aucune entreprise sur le bord de la route") ! Aujourd’hui, notre banque nous accorde un prêt à hauteur de 30% de ce que nous avions demandé ! On attend, de pied ferme, une aide concrète (pas 1 500 € !) de l’Etat et/ou du CNC pour les distributeurs !

    The Jokers (Kern Joly) : Mal, évidemment. Nous avons été très impacté par l'arrêt d'exploitation de Vivarium après 4 jours d'exploitation et un excellent démarrage. Nos investissements sur cette sortie étaient importants et le manque à gagner l'est tout autant.

    Nous avons d'abord abordé le début du confinement en cherchant à refaire nos calendriers de sortie dans tous les sens, en travaillant sur plusieurs scénarios de reprise, mais nous avons vite préferé rester dans une position d'attente plutôt que de devoir revoir nos plans tous les 4 matins au gré des annonces. Cette période nous a permis de prendre du recul et de s'avancer autant que possible sur nos futures sorties, tout en maintenant le lien avec les exploitants, à qui nous avons promis de sortir Nous les Chiens (notre premier film d'animation) dès la réouverture des salles. Engagement que nous tenons malgré un contexte plus qu'incertain.

    The Jokers Films

    Les Acacias (Jean-Fabrice Janaudy) : Les Acacias a complètement arrêté son activité à partir de la fermeture administrative des salles de cinéma. J’ai, en tant que gérant, assuré durant cette période la continuité administrative (salaires, règlement de fournisseurs…) et suivi de près les démarches à suivre pour bénéficier des aides de l’Etat auxquelles nous avions droit. A l’exception de l’aide au programme du CNC, dont la somme est allouée aux investissements à venir, nous n’avons bénéficié d’aucune recette. Nous avons donc demandé des reports de charges et de loyers - que nous devrons payer à un moment ou à un autre - et profité des dispositifs d’arrêt maladie puis de chômage partiel pour les deux cadres-parents. 

    Cinéma Public Films (Valentin Rebondy) : Cette période a été l’occasion de mettre durement à l’épreuve la qualité des relations avec nos clients et fournisseurs, tous concernés par la crise sanitaire à des niveaux différents. Nous avons eu le plaisir de vérifier la solidité de nos partenariats. Le soutien bancaire et les mesures gouvernementales ont également permis de soutenir l’activité. La perte de chiffre d’affaire liée à la fermeture des cinémas est amortie par le PGE. Le soutien du CNC permet également de soulager la trésorerie avec des procédures accélérées.

    Art House : Après les urgences d’interruption des campagnes et sorties en cours, nous sommes nous-mêmes passés en arrêt d’activité, attendant fébriles des bonnes nouvelles de réouverture. 

    Condor Films (Alexis Mas) : La fermeture des cinémas le 15 mars nous a frappés avec un effet de calendrier très défavorable : nous devions sortir L’Ombre de Staline de Agnieszka Holland quatre jours plus tard, le 18 mars. Le film était programmé sur 230 copies, et l’intégralité des frais d’éditions étaient déjà engagés. Nous avons vécu ce moment surréaliste d’un mercredi de sortie sans sortie, avec pourtant de nombreuses ouvertures de presse consacrées au film, l’accueil critique étant très positif. L’impact Covid s’est prolongé au-delà de cette sortie, puisque nous avions un programme de printemps particulièrement dense avec A Cœur Battant de Keren Ben Rafael initialement prévu le 15 avril, puis Light of My Life le 6 mai. La perte de CA a été très importante vs l'attendu. Nous avons sollicité le report des charges, la mise en place du chômage partiel, et les prêts garantis par l'Etat auprès de nos banques. Cela étant, ces dispositifs ont été très longs à se mettre en place, et nous n'avons eu des réponses (et pas encore d'argent) que début juin. Nous avons réussi à tenir grâce à notre autre activité, centrée sur la vidéo et la VOD, et également par les aides usuelles du CNC mais dont le paiement a été accéléré sur la période Covid.

    Eurozoom (Amel Lacombe) : Le dispositif de chômage technique a été salvateur. Sans cela, après 3 mois sans recettes ou presque, je ne sais pas si l’équipe serait toujours là… Nous avons bien sûr mis en place tous les dispositifs généraux proposés par le gouvernement (report de charges, PGE...). Mais cela ne suffit pas face à la perte de 3 mois de chiffre d’affaires. Hélas, pour des sociétés comme la nôtre qui distribuent quasi exclusivement des films étrangers non agréés, il n’y a eu aucun accompagnement de la filière face à cette crise. Nos recettes ont chuté de plus de 90%, nous avons perdu tous les frais déjà avancés pour nos sorties du 18 mars et du 1er avril, et hormis nos ventes tv habituelles via OCS et Canal+, nous n’avons pas été admis dans le club très fermé des acquisitions France TV. En outre, nos ventes vidéo ont été elles aussi au point mort du fait de la fermeture des magasins et de l’impossibilité de commander en ligne. Et la VOD est loin d’avoir compensé cette Bérézina.

    Alba Films (Nicolas Rihet) : Nous avons dû décaler plusieurs sorties et attendre la date de reprise de nos activités. L’accompagnement du gouvernement est nécessaire et le soutien au secteur doit être renforcé, pour le moment les dispositifs sont insuffisants. Comme tout le monde, nous attendons le 22 juin avec impatience et optimisme !

    Quel est votre positionnement par rapport à la VOD et la SVOD ? Pensez-vous y avoir davantage recours à l'avenir ? Et sur quels types de films pourrait porter cette stratégie de sortie ?

    Universal : Les règles sont définies par le groupe depuis les US et notre head office à Londres. La salle reste la règle sur les films distribués par le studio et la fenêtre cinéma absolument primordiale pour créer de la valeur. Notre rôle est avant tout de discuter du potentiel des films et de la meilleure stratégie de sortie sur notre territoire. De plus, notre cadre réglementaire local et notre fameuse chronologie des médias simplifient quelque peu la discussion car en réalité, les marges de manœuvre sont très étroites en France en termes de distribution/diffusion de films.

    Memento Films : Nous avons fait le choix assumé de ne pas sortir La Bonne épouse en VOD. Il ne s’agit pas d’être contre la VOD ou la SVOD, ni même de les opposer à la salle. Pour nous, c’est simplement une évidence de soutenir les exploitants qui sont les premiers relais des films auprès du public. Le cinéma est né avec la salle, ils sont indissociables l’un de l’autre. L’irruption du coronavirus a modifié temporairement le rapport à la salle, certains distributeurs ont préféré (pour des raisons qui leur sont propres) jouer la carte de la VOD, mais la fin de la pandémie marque aussi la fin de l’exception. Nous croyons au retour du public dans les salles, à la puissance de l’expérience collective, des émotions partagées avec l’autre, mais pour cela il faut des films qui puissent fédérer les spectateurs, et c’est pour ça que nous ressortons La Bonne épouse au cinéma dès le lundi 22 juin.

    Les Alchimistes : Nous avons été heureux de pouvoir proposer des séances événementielles sur la plateforme proposée par La 25e Heure, super initiative qui a permis aux salles et aux distributeurs de rester en contact avec les publics dans cette période inédite. Malheureusement, cela s’est finalement vite avéré plutôt décevant en terme de résultats (même si certaines séances événementielles ont eu un beau succès). Surtout, cela a montré à quel point la salle était irremplaçable, et nous avons hâte d’y retourner !

    Notre positionnement sur nos films restera donc le même sur la VOD/SVOD : c’est un complément de la sortie salle… qui arrive dans un second temps, dont la chronologie pourrait tout à fait être revue !

    Notons que, pendant la période de crise, nos sorties DVD et VOD ont fortement été impactées : process de fabrication, arrêt des ventes institutionnelles, fermeture des lieux de vente grand public, etc. Notre catalogue VOD a néanmoins connu un certain rebond bienvenu pendant la crise, mais très loin de pouvoir compenser les pertes subies par les autres fenêtres d’exploitation.

    StudioCanal : Nous avons sorti nos films en anticipé sur la VOD avec des résultats plus ou moins probants. Il s’agissait d’une mesure exceptionnelle qui n’a pas vocation à perdurer. StudioCanal est un éditeur de films qui respecte la chronologie des médias.

    Pyramide Films : Sortir Nuestras Madres en VOD n’a pas été une stratégie de sortie. C’était tenter de faire vivre un film qui devait vivre dans les salles à partir du 8 avril et qui ne pouvait plus attendre. Nous n’avons pas l’intention d’y avoir régulièrement recours. Concernant la SVOD, vendre un film tous droits aux plateformes est d’une grande complexité quand plusieurs acteurs sont en jeu, on a pu le constater avec Pinocchio notamment. Mais Le Pacte n’aurait sans doute pas choisi cette option en période normale.

    Destiny Films

    Destiny Films : Je comprends totalement le positionnement de certains distributeurs qui ont préféré avancer la sortie VOD grâce à la dérogation exceptionnelle du CNC. Nous n’avons pas voulu aller sur ce terrain car nos films vivent avant tout au cinéma et ont du mal à trouver leur place sur les plateformes VOD / SVOD. Nous allons avoir recours à la VOD pour le film anglais The Last Tree (sélectionné à Sundance et à Dinard) dont nous annulons la sortie cinéma, prévue en septembre (ce sera une première pour nous). Sur le principe, nous n’allons pas changer notre "méthode" de travail, à savoir privilégier la sortie cinéma. Suivant la reprise, le calendrier bousculé, le retour de l’épidémie… nous serons peut-être obligés de revoir notre positionnement par rapport à la VOD et la SVOD.

    The Jokers : Pas d'avantage, mais pas moins non plus. La VOD à l'acte est un marché un peu à la ramasse, et il n'a d'ailleurs pas du tout permis de compenser les pertes de Vivarium. Quant à la SVOD, on aurait beau avoir pour idée de sortir un film sur une plateforme, elles ont l’air d’avoir oublié l’existence des petits indépendants comme nous pour se contenter de travailler directement avec ce que nous avons coutume d’appeler des "agrégateurs". On pourrait aussi appeler ça des supermarchés du film quand nous sommes plutôt l’échoppe de quartier. On ne peut bâtir une stratégie solide sur un film que lorsque les 2 parties communiquent entre elles.

    Les Acacias : Les Acacias est très attaché à la salle de cinéma. Notre travail de distribution est essentiellement consacré au patrimoine. Et sur ces films nous disposons rarement, pour ne pas dire jamais, des droits VOD ou SVOD. Pour ce qui est des nouveaux films, nos choix se portent vers des cinéastes dont l’écriture ou le style, visuellement marqués, doivent être découverts en priorité sur un grand écran. Rentrer dans l’intimité des personnages de Hong Sangsoo ou accompagner les témoignages des survivants des camps de travail forcé tels que recueillis par Wang Bing dans les 8h27 des Âmes mortes, cela ne peut se faire pleinement sur un petit écran. Pour l’instant, nous n’envisageons aucune sortie direct en VOD ou SVOD et laissons, le cas échéant, les éditeurs à qui nous cédons nos droits vidéo, le soin de gérer, après la sortie salles, cette typologie d’exploitation.

    Cinéma Public Films : Notre positionnement n’a pas évolué. L’offre de films en VOD-SVOD sur les plateformes dédiées reste une proposition intéressante dans le prolongement de l’exploitation en salles de cinéma. Elle peut s’y substituer pour les œuvres qui ne sauraient pas trouver un chemin vers la salle, mais notre stratégie par rapport à cette forme d’exploitation n’a pas changé malgré la situation.

    Art House : Notre line up n’est pas particulièrement propice à ce mode d’exploitation, bien que ce marché se développe il reste encore pour nous une seconde source d’exploitation à travailler dans la continuité de l’exploitation salles.

    Condor Films : Nous connaissons très bien les sujets VOD et SVOD, puisqu'avant même d'être distributeur salle, nous avons un historique d'éditeur vidéo. En parallèle de nos 8 films par an en salle, nous éditons en digital une vingtaine de sorties, qui, outre nos films issus de la salle, intègrent aussi beaucoup de sorties directes en vidéo sur ces mediums. La réalité, c'est que ces deux mediums, salle vs VOD, ne valorisent  pas les même types de films. Nos films d'auteur, même en cas de succès en salle, marchent peu en VOD. A l'inverse, nos direct to video sur des genres tels que la SF, la fantasy, la romance, font de gros scores en VOD, malgré l'absence de sortie salle. On est sur des publics et des usages qui sont disjoints. Notre profil très hybride en termes de line up et de répartition des médiums est dans cette période est un vrai atout.

    "La chronologie des médias est justement là pour préserver les différentes fenêtres d’exploitation."

    Eurozoom : Il faut arrêter de penser que la SVOD (Netflix, Amazon...) va sauver les indépendants ! Soyons clair, les films indépendants ne les intéressent pas vraiment. Ce qui les intéresse, ce sont les catalogues prestigieux – MK2 par ex, ou le catalogue Ghibli – ou les coups médiatiques sur des auteurs hyper attendus comme avec Pinocchio de Matteo Garrone. Bien sûr, il y a quelques exceptions (comme Your Name, acheté par Netflix), mais ce n’est pas la règle, loin de là. Donc Covid ou pas, rien n’a changé pour les indépendants : qu’on veuille faire de la VOD/SVOD une nouvelle stratégie ou pas, encore faut-il que l’on trouve du répondant du côté des plateformes. Je continue de penser que malgré l’air du temps, la salle est encore le plus bel écrin pour les films indépendants. Celui où le travail de presse, de promo et d’éditorialisation du distributeur permet à l’œuvre et à son auteur de s’affirmer, de se singulariser, et de trouver un public, pas toujours gigantesque certes, mais un public fidèle. Sinon le film n’est qu’une goutte d’eau dans le robinet SVOD. La chronologie des médias, qu’il est de bon ton d’affubler des pires travers, est justement là pour préserver les différentes fenêtres d’exploitation. Dans ce cadre, les recettes VOD puis SVOD viennent s’ajouter à celles de la salle et non se substituer à elle.

    Alba Films : Nous avons fait le choix de privilégier la sortie en salle et de ne pas sortir en VOD malgré les difficultés liées à la période. Nous souhaitons participer à l’effort nécessaire à la relance de l’activité et avons daté quatre films pour les trois prochains mois dont le premier dès le 22 juin.

    Certains films, censés sortir en avril / mai ont été décalés d'un an. Pourquoi cette stratégie ? Juste une période de sortie prédéfinie ou par peur que le public ne revienne pas en salles de suite ?

    Universal : La principale raison du décalage est effectivement la mesure de la gravité de la crise sanitaire et l’anticipation qu’il faudra un certain temps pour revenir à la normale. Après, d’autres paramètres entrent en compte comme évidemment la saisonnalité et des périodes de l’année plus propices à la sortie de blockbusters aux objectifs très ambitieux. Enfin, certains talents sont attachés à des dates précises par habitude ou superstition.

    Les Alchimistes : Pour notre part, nous avons reporté de 6 mois en moyenne nos sorties prévues. Parce qu’il est très délicat pour des sociétés indépendantes comme la nôtre de pouvoir trouver de la place dans un flux de films qui ne fera que s’accentuer. Nous avons également souhaité faire attention à ne pas participer à un "embouteillage" de sorties cet été, et avons donc espacé nos propositions, quite à revoir à la baisse les acquisitions pour notre line up 2020/2021.

    StudioCanal : Aucune position dogmatique, un film a une cible et s’inscrit dans un marché : certains pouvaient faire face à une reprise en septembre, d’autres non. Le public sera présent, c’est à nous éditeurs de lui proposer les titres les plus appropriés.

    Cinéma en salles : quels films voir le 22 juin et pendant l'été ?

    Pyramide Films : Il me semble que vous vous référez essentiellement à des films de majors américaines ou à quelques gros films français. Il faudrait leur demander directement mais en effet, je dirais que ces films ont besoin de très gros succès publics et cette reprogrammation "large" va dans ce sens. Personnellement, je pense que le public reviendra plus vite qu’on ne le pense en espérant que l’épidémie, elle, ne revienne pas…

    Destiny Films : C’est notre cas avec deux films qui devaient sortir en 2020 : Empathie en avril et Frères d'arme en mai. Nous ne repousserons pas leur sortie à cette année, nous préférons les reporter à 2021.

    La raison est assez simple : la perte de CA du 15 mars au 22 juin ! C’est donc plus une raison économique qu’une peur d’un calendrier surchargé ou d’un non-retour des spectateurs dans les salles.

    Même chose pour le choix d’annuler la sortie cinéma du film The Last Tree… C’est un film que nous aimons beaucoup mais une sortie cinéma est trop chère et nous devons réduire au maximum nos dépenses si nous voulons survivre à cette crise sans précédent.

    The Jokers : Ce n'est pas à moi de répondre, puisque ce n'est pas du tout la stratégie que nous avons choisi de suivre chez The Jokers. Nous les chiens devait sortir en avril, et nous ne l'avons pas décalé d'un an. Nous le sortons dès la réouverture. Si on reporte tous nos films de plusieurs mois, que va-t-il rester à voir au cinéma ?  Bien sûr, nous n'avons pas la même problématique que les studios qui doivent orchestrer des sorties mondiales.

    Les Acacias : Difficile de répondre à la place des distributeurs qui ont opté pour ces choix, sans doute à juste titre. De notre côté, nous n’avions aucune obligation liée à un festival reporté ou à la nécessité de nous aligner sur une date de sortie internationale. Du coup, nous avons redaté en été les films dont les sorties ont été annulées par le confinement (Hotel by the river de Hong Sangsoo décalé au 29 juillet, Mississippi Burning d’Alan Parker au 15 juillet, Les Adolescentes et Guendalina de Alberto Lattuada en août et Sexe fou de Dino Risi début septembre).

    "La motivation d’un tel choix se trouve dans la volonté d’offrir au film les meilleures conditions d’accès possibles aux salles"

    Cinéma Public Films : Notre sortie du programme Le Prince Serpent prévue fin mars a été décalée au début d’année 2021, elle glissera peut-être jusqu’au printemps prochain, soit un an après la date initiale de sortie. La motivation d’un tel choix se trouve dans la volonté d’offrir au film les meilleures conditions d’accès possibles aux salles. Ce n’est pas la crainte d’une fréquentation fragile, ou de la surcharge de l’offre de films à la réouverture, qui nous ont poussé à faire ce choix. L’offre de films était très importante avant la fermeture et elle le sera toujours après. A nos yeux, le film étant fragile, c’est plus une opportunité de reprendre le travail en profondeur, préciser nos actions et nos relais pour accompagner la sortie et les projections en salles. Réussir la médiation avec le public autour des thèmes du film demande un effort important et il convient de prendre le temps nécessaire pour y parvenir. Cela n’aurait donc eu aucun sens de précipiter la sortie dès la réouverture ou même pendant l’été.

    Condor Films : Les sorties qui ont choisi des décalages très radicaux sont généralement entre les mains de gros studios américains, qui ont des logiques de sortie mondiales. Ils ont donc besoin d'être sûrs que l'ensemble des gros territoires sont sortis du Covid. Cela dit, l'incertitude de fréquentation lors de la réouverture est un vrai sujet pour tout le monde.

    Eurozoom : Ce n'est pas notre cas. Nous pensons qu’il est important de sortir des films très vite cet été, par solidarité avec les salles mais aussi par nécessité économique.

    Allez-vous mettre des initiatives en place pour aider les exploitants qui diffusent vos films étant donné qu'il y aura moins de fauteuils et moins de séances ?

    Universal : Nous serons bien évidemment à l’écoute de nos partenaires exploitants pour les accompagner le plus sereinement possible lors de la réouverture des salles. Preuve en est, nous prenons le risque de sortir plusieurs titres cet été, dont certains paraissent fragiles, pour leur apporter du contenu inédit susceptible d’attirer notamment les assidus. Nous serons très souples sur nos conditions commerciales et de placement en termes de séances concernant ces films. Néanmoins il ne faut pas oublier que notre secteur, celui de la distribution-édition est également extrêmement fragilisé par l’arrêt des cinémas pendant 100 jours. Il est donc important qu’il y ait une vraie solidarité collective au sein de la filière.

    Universal Pictures

    Memento Films : Nous allons surtout permettre à chaque exploitant qui le souhaite de programmer La Bonne épouse dès la réouverture de sa salle. Cette ressortie est accompagnée d’une nouvelle campagne de promotion, d’une nouvelle affiche, et d’une forte présence médiatique. Toute l’équipe du film, Martin Provost son réalisateur, Juliette BinocheYolande Moreau et Noémie Lvovsky ses comédiennes, s’est mobilisée pour accompagner et soutenir le retour de La Bonne épouse au cinéma.

    Les Alchimistes : Nous serons impactés de la même façon que les salles par ces restrictions sanitaires. C’est au gouvernement de prendre des mesures de compensation, impératives pour permettre aux indépendants de passer les mois qui arrivent dans une sérénité toute relative.

    StudioCanal : Il s’agit d’un problème pour l’exploitant plus que pour nous. Celui-ci doit s’organiser pour que les mesures sanitaires soient respectées et que le public ne sente pas de danger en venant en salle, notre travail est de proposer le contenu le plus attractif possible. C’est pourquoi nous allons proposer au cœur de l’été une version restaurée de La Haine de Mathieu Kassovitz pour célébrer les 25 ans de la sortie du film.

    Pyramide Films : Ce n’est pas à moi, distributeur, de mettre en place des initiatives pour les exploitants. Je fais mon travail de distribution (presse, marketing, affichages, partenariats) pour motiver le public à aller voir mes films en salles. La FNCF de son côté met en place un grand plan de relance sur le mode "retournons au cinéma". Cette coordination devrait nous permettre de nous y retrouver. Sur un film comme Les Parfums, nous auront clairement, le 1er juillet, une combinaison de salles très supérieure à celle que nous aurions eu le 25 mars. En effet, l’offre est moindre à cette date de lente reprise, donc plus d’écrans disponibles et de salles demandeuses mais il était aussi indispensable pour nous de doubler d’une certaine façon notre présence dans des salles dont les capacités sont réduites grosso modo de moitié.

    Destiny Films : Nos films sont souvent exploités lors de projections uniques avec des soirées-débats. De plus, nous ne sommes pas dans la position d’imposer aux exploitants qui programment nos films, de nombreuses projections. Je dirais que cela ne nous concerne pas trop… même si avec la sortie, le 5 août, du film Le Défi du Champion, les choses sont différentes car c’est un film de fiction (un feel good movie italien) et c’est pour nous, la plus grosse sortie que nous souhaitons faire. Malgré cela, nous respecterons les règles (moins de fauteuils et moins de séances) et nous ferons au mieux pour que le film trouve sa place. Pour l’instant, il y a assez peu de sorties sur cette date du 5 août, ce qui devrait permettre d’avoir un nombre de projections acceptables, en espérant que d’ici là, la règle du fauteuil sur deux aura disparu !

    "Les distributeurs doivent aider les exploitants et les exploitants doivent aider les distributeurs."

    The Jokers : Les distributeurs doivent aider les exploitants et les exploitants doivent aider les distributeurs. De notre côté, c'est en tout cas comme cela que l'on envisage les choses. Nous sommes en lien étroit avec les services communication des exploitants pour communiquer de manière maline (ce à quoi on a toujours été habitués en tant que distributeur indépendant qui doit composer avec des moyens limités). Nous produisons des contenus aux couleurs de Nous les chiens qui abordent la réouverture de manière originale et que les exploitants peuvent reprendre clé en main en apposant leur logo sur nos créations. D'ailleurs, CGR a l'amabilité d'accueillir notre mascotte Marcel (le chien de notre directrice générale) dans ses salles le jour de la réouverture (ci-dessous, une photo de lui en train de répondre aux questions de la presse).

    On espère que de leur coté les exploitants pourront diffuser les bande-annonces des distributeurs qui ont pris le risque de positionner leur film dès la réouverture.

    The Jokers

    Les Acacias : Ayant la double casquette de distributeur et exploitant, je me permettrai d’inverser votre proposition. L’enjeu, c’est que les exploitants se donnent les moyens d’assurer, autant que faire se peut, le même nombre de séances que d’habitude. Et, pour les films porteurs, le nombre de fauteuils étant moindre, la question est d’assurer une plus grande longévité de l’exploitation. Afin de soutenir l’effort des distributeurs qui vont investir, voire pour certains ré-investir de l’argent dans les campagnes promotionnelles. N’oublions jamais que dans la filière, celui qui prend le plus de risques et qui est le maillon faible, c’est le distributeur ! Nous en avons eu la preuve avec l’arrêt net des campagnes coûteuses de La Bonne épouse, L'Ombre de Staline ou encore de Pinocchio, le distributeur ayant dû, pour assurer sa pérennité financière, se tourner vers Amazon.

    Cinéma Public Films : La seule initiative qui soit valable à nos yeux consiste à poursuivre la relation habituelle que nous entretenons avec les cinémas. La crise sanitaire semble devoir justifier la mise en place de mesures qui devraient être appliquées en temps normal : la salle de cinéma programme ses séances librement, aux jours et horaires de son choix et sans MG. Il nous semble difficile de faire plus.

    Art House : Notre initiative est malgré ces contraintes de leur proposer nos films en cette période et ainsi leur permettre d’avoir une programmation variée.

    Condor Films : Notre initiative principale a été de prendre le risque - énorme - de positionner L'Ombre de Staline, vraie nouveauté à potentiel, dès le 22 juin, à la réouverture des cinémas. C'est un vrai acte envers les salles, qui ont besoin d'une offre fraîche pour réattirer les spectateurs. En échange, nous cherchons à sécuriser un plus grand nombre d'écrans et une garantie de durée d'exposition.

    Alba Films : Une grande campagne de communication initiée par la FNCF va être lancée et largement diffusée. Notre rôle est avant tout de proposer des films inédits dans cette période de redémarrage.

    À quel point l'annulation de Cannes a-t-elle bouleversé vos plans ? Pensez-vous que le label Cannes peut booster les entrées ? Les achats de films se faisaient souvent lors du marché du film, comment allez-vous faire cette année pour votre line-up à venir ?

    Universal : En ce qui nous concerne aucun impact car nous n’avions pas de films prévus cette année dans aucune des sélections. Difficile de répondre précisément à cette question mais ce qui est sûr, c’est qu’un excellent accueil du film et une belle exposition à Cannes peuvent considérablement augmenter le nombre d’entrées, du simple au double, voire au triple !

    En ce qui concerne les acquisitions, l’impact sera très limité car il y a fort heureusement d’autres alternatives pour avoir accès à des projets.

    Memento Films : L’annulation du Festival a été une mauvaise nouvelle pour tous les professionnels du cinéma sans pour autant être une vraie surprise. Plus le virus se propageait, moins il était probable que le festival puisse se dérouler sous sa forme habituelle, mais celui-ci a su s’adapter aux événements pour mieux rebondir. Le label Cannes 2020 va ainsi permettre d’accompagner et soutenir les films jusqu’à leur sortie dans les salles. Thierry Frémaux a témoigné d’une incroyable pugnacité au cours des dernières semaines. Lui et son comité ont réussi à élaborer malgré de nombreux obstacles une sélection prometteuse qui reflète toute la diversité du cinéma. Nous avons la chance qu’Un triomphe d’Emmanuel Courcol, avec Kad Merad, figure dans cette sélection. C’est une comédie sociale extrêmement réussie, qui oscille habilement entre rires et larmes. Sa sortie est prévue le 28 octobre, et nous souhaitons évidemment profiter pleinement de l’aura cannoise que lui confère le label. C’est une manière de dire au public que ce n’est pas juste un film parmi tant d’autres, mais une œuvre dont les qualités ont d’ores et déjà été reconnues et validées par le plus grand festival de cinéma au monde. Nous allons aussi suivre de près le Marché virtuel du film de Cannes qui se tiendra à la fin de ce mois. Nous avons déjà commencé à recevoir des films et des scénarios, et comme à chaque marché nous serons attentifs aux possibles découvertes et éventuelles acquisitions. Le festival n’a pas eu lieu physiquement, mais il va bel et bien exister dans l’inconscient collectif.

    StudioCanal

    Les Alchimistes : Bonne question ! On a peu d’infos sur ce qu’impliquera en terme de promotion et de soutien le label Cannes 2020. Un simple logo ne suffira pas à booster les entrées, il faut un accompagnement du festival sur la durée pour ces films sélectionnés.

    Nous sommes en pleine phase d’acquisitions, le calendrier de Cannes est donc respecté, même si tout semble avoir moins d’impact…

    StudioCanal : Tout ce qui permet de parler de cinéma est une bonne nouvelle. StudioCanal soutient amplement la décision du Festival d’avoir maintenu le lien entre la profession, les médias et le public. Nous sommes ravis que L’Origine du monde de Laurent Lafitte ait obtenu ce label. Le film sortira le 4 novembre. StudioCanal participera au marché virtuel en juin pour vendre à l’international ces projets, nous produisons nos films internationaux grâce à une structure dédiée et ne faisons pas d’acquisitions internationales locales.

    "C’est un plus et une reconnaissance qui met du baume au cœur après toutes ces désillusions"

    Pyramide Films : L’annulation du festival de Cannes a été une catastrophe pour nous distributeurs et vendeurs de films. Cannes est le plus grand festival du monde et il réunit tous les professionnels du cinéma, français ou étrangers : les acheteurs, les exploitants, les journalistes... C’est la grand-messe où chaque distributeur lance ses films sélectionnés sur le marché et récolte les fruits pour parfois une année entière. Cannes nous permet très en amont de voir comment nos films sont reçus par la presse, par les exploitants et nous commençons déjà à travailler nos sorties à Cannes. Pour un vendeur international, c’est évident que le manque à gagner est aussi énorme.

    Comment vendre nos films à des distributeurs étrangers s’ils ne sont pas exposés ? Un Cannes virtual market a été mis en place certes mais il ne remplacera pas le buzz des exploitants, les critiques de la presse, les affluences des acheteurs aux projections, motivés par ce qu’ils ont entendu ou lu dans la journée. Nombre de petits films d’auteur ont connu des carrières époustouflantes grâce au festival de Cannes. Alors certes le label Cannes 2020 va nous aider à monter un peu nos films en épingle, de les sortir du lot. C’est un plus et une reconnaissance qui met du baume au cœur après toutes ces désillusions mais il serait un peu utopique de penser qu’il pourra booster les entrées. Il ouvrira des portes, certes… concernant les achats de films, nous n’en manquons pas comme beaucoup de distributeurs : nous avons perdu 3, 4 voire 5 mois de programmation et nous avons donc beaucoup de films à sortir. On ne peut pas dire que nous ne sommes pas à la recherche de films pour 2021. Nous avions de notre côté 12 films prêts pour Cannes 2020, 4 ont été labellisés (Passion simple de Danielle Arbid, Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait de Emmanuel MouretAmmonite de Francis LeeA good man de Marie-Castille Mention-Schaar) et la plupart des autres films seront gardés au chaud pour Cannes 2021. L’année 2021 est déjà bien chargée. 

    Pyramide Films

    Destiny Films : Etant une petite société de distribution, il est assez rare que nous achetions un film à Cannes (à part l’an dernier avec Femmes d'Argentine (Que Sea Ley) qui a été présenté en Séance spéciale). Donc, on ne peut pas dire que l’annulation du Festival change beaucoup de choses pour nous. De plus, le Marché du film n’est pas annulé et a lieu en ligne…

    En ce qui concerne les films labellisés Cannes 2020, c’est une très bonne initiative ! On en peut que féliciter Thierry Frémaux et Pierre Lescure bien sûr, pour avoir autant bataillé en faveur du cinéma. Ils l’ont démontré et répété, Cannes est le commencement pour beaucoup de films. Cette carrière qui débute au mois de mai permet à la plupart des films présentés (y compris pour les sélections parallèles) de connaître une carrière internationale. C’est un vrai accompagnement qui permet aux films d’exister et aux spectateurs de s’intéresser à ces films cannois. Combien d’entrées pour Parasite ou pour Les Misérables s’ils n’étaient pas passés par Cannes ? La position deThierry Frémaux est très importante et sa sélection (sans Jury et sans Palmarès) est vraiment très importante.

    The Jokers : C'est tout à l'honneur de Cannes d'avoir maintenu une sélection et de continuer à jouer son rôle. Évidemment, rien ne remplacera la visibilité extraordinaire que peut offrir un vrai Festival de Cannes mais le label a tout de même son importance. Personne ne peut dire si cela aura un impact sur les entrées, mais derrière les films il y a des équipes qui sont aux anges. Imaginez la joie des frères Boukherma de voir Teddy dans la sélection officielle... et celle de Just Phillipot, dont La Nuée (sélectionné par La Semaine de la critique) est le premier long-métrage, de faire partie de la sélection de la Semaine de la critique... Nous croyons beaucoup en ces 2 films. 

    Quant à notre line up, bien sûr il y a toujours des découvertes à faire à Cannes, mais il est déjà acté jusqu'à fin 2021, et il est constitué à la fois de films internationaux ambitieux et de nos premières productions françaises, qui sont centrées sur une jeune génération de cinéastes qui considèrent qu'il existe une troisième voie entre comédies françaises trop interchangeables et films pseudo-sociétaux. Teddy et La Nuée sont pour nous de formidables représentants de cette troisième voie, et c'est peut-être aussi ce que le Festival cannois a vu en eux. On s’en reparlera vite.

    Les Acacias : Nous avons décidé depuis plusieurs mois de nous recentrer sur le répertoire. L’annulation du Festival de Cannes n’a aucun impact sur notre line up à venir. En revanche, nous sommes tristes que n’ait pu avoir lieu cette grande Fête du cinéma où nous avons, chaque année, le plaisir de découvrir certains des plus beaux films de l’année. Mais le Festival Lumière aura bien lieu et nous pourrons, je l’espère, outre de belles projections, étoffer notre line up à venir durant le Marché du Film Classique.

    Cinéma Public Films : En aucune manière l’annulation du Festival de Cannes n’a eu d’effet sur nos plans. La labélisation d’un film par la Sélection à Cannes a toujours un effet notable sur la visibilité du film dans les médias et pour la programmation en salles. L’effet sur les entrées est nettement moins évident. Nous n’achetons aucun film au Marché du Film de Cannes, cela n’aura donc aucun effet sur les projets en cours et sur les années futures.

    Art House : Le parcours imaginé pour certains films en lice pour la Sélection se retrouve nécessairement à repenser dans son intégralité son parcours de visibilité internationale. Pour ce qui est du marché, la tenue de la version online devrait préserver une partie des usages, bien que nous n’ayons plus aucune capacité d’appréhension fiable du marché.

    "Le label cannois 2020, c'est un peu comme le bac 2020. On ne sait pas la valeur qu'il a."

    Condor Films : Nous étions peu dépendants de Cannes cette année. Cela dit, c'est un moment tellement structurant pour toute l'industrie que l'annulation reste un choc. 

    Le label cannois 2020, c'est un peu comme le bac 2020. On ne sait pas la valeur qu'il a... Néanmoins je pense qu'il s'agit d'un bonus pour les distributeurs très coutumiers de Cannes, et qui n'arrivent pas à travailler sans cet appui.

    Les achats de films peuvent se faire de gré à gré, et puis le Marché du Film, lui, a bien lieu (en édition virtuelle). Donc je ne pense pas que l'approvisionnement soit un réel problème, d'autant que les besoins des distributeurs en termes de films se révèlent un peu moindre, sous l'effet du nombre de films non sortis qu'il va falloir mettre sur le marché avant de songer aux nouvelles acquisitions...

    Eurozoom : Vous l’avez sans doute remarqué : chaque année, un petit club de 4 à 5 distributeurs se partage 80, voire 90% du line up cannois… C’est donc eux que l’annulation du festival a sans doute dû bouleverser. Pour les autres, le festival est certes un moment phare de l’année, mais son annulation n’a pas été un bouleversement. Plutôt une économie, les cafés à 10 euros, c’est pas vraiment le moment. C’est surtout les salles art et essai que ça gêne, car nombreuses sont celles qui calquent leur programmation sur les sélections cannoises… Avec le label Cannes 2020, tout est rentré dans l’ordre… Bien sûr, nous sommes très contents quand nous avons un voire deux films en sélection et le festival comme le marché sont deux évènements très important pour tous. Mais des tas de films vivent sans Cannes tous les ans, et certains plutôt bien… On retrouvera la Croisette avec d’autant plus de plaisir en 2021 !

    Abla Films: Nous n’avions pas de film à Cannes cette année donc pas d’impact. Le Marché se déroule toute l’année et une version digitale est organisée pour compenser l’annulation de mai donc il n’y a pas de difficulté sur ce sujet.

    Qu'avez-vous envie de dire aux spectateurs pour les inciter à retrouver le chemin des salles ? Notamment aux seniors et aux parents qui sont peut-être les plus fragiles.

    Universal : Nous sommes convaincus que le cinéma vous a manqué et le grand écran provoque des émotions comme nulle part ailleurs. Les salles prendront des mesures sanitaires très strictes pour assurer votre sécurité alors ne boudez pas votre plaisir, retournez-y avec hâte !

    Memento Films : La salle offre une expérience à nulle autre pareille. Les exploitants ont tout mis en œuvre pour assurer les meilleures conditions d’accueil. Tout a été pensé pour la sécurité des spectateurs, il n’y a donc aucune raison de bouder son plaisir et de ne pas retourner au cinéma. Je pense qu’après ces 3 mois de crise sanitaire, les spectateurs auront envie, en tout cas dans un premier temps, de films légers, de comédies comme La Bonne épouse. Ils seront contents de pouvoir enfin à nouveau rire avec du public dans une salle de cinéma plutôt que seul chez soi devant sa télévision.

    Les Alchimistes : Vibrer, aimer, rire, pleurer au cinéma n’a rien d’égal ! Les salles prendront toutes les mesures de précaution nécessaires, y retourner dès l’ouverture, c’est permettre au cinéma indépendant de résister et de continuer à vivre.

    StudioCanal : Nous voulons surtout dire que voir une film en salle apporte une expérience unique, qui n’a rien à voir avec la vision d’un film à la télévision ou sur une tablette. Que chacun a la liberté d’aller voir ce qui lui plaît, sans avoir à subir les diktats d’une programmation, qu’un éditeur et bien souvent la salle, fait des choix editoriaux, et que l’exclusivité d’un film dont on parle médiatiquement, c’est en salle qu’on peut la vivre. Et que si certains pirates pensent que le voir chez soi revient au même, non seulement ils pillent les auteurs et toute l’industrie de leurs droits, mais ils passent à côté d’une expérience de partage d’émotion bien plus forte qu’une excitation solitaire chez soi.

    Réouverture des cinémas : dans quelles conditions voir les films? Quelles seront les mesures sanitaires mises en place ?

    Pyramide Films : Que la vie doit reprendre son cours et il me semble que ce public dit "à risque" en a conscience et a manifesté haut et fort son désir de déconfinement et d’un retour à la vie normale. Que les chiffres dramatiques qui nous ont poursuivi ces derniers mois sont en baisse drastique. Que le cinéma est un divertissement qui nous sort de notre écran de télévision, qui nous sort de nos appartements et que les mesures sanitaires prises très au sérieux par tous les exploitants ne rendent pas cette activité plus risquée que 2h de TGV ou 30 min de courses au supermarché. Le cinéma fait partie du lien social. Il n’y a rien de plus fort que de partager avec d’autres des émotions sur grand écran plutôt que de les vivre seuls devant sa télévision.

    Bestimage

    Destiny Films : Il n’y a aucune raison pour que les spectateurs ne retournent pas dans les salles. Avec toutes les mesures sanitaires, aller au cinéma ne sera pas plus dangereux que d’aller faire ses courses, prendre les transports en commun, aller travailler, voyager en TGV (où la mesure du fauteuil sur deux a été annulée)… Je crois très sincèrement que tout le monde a bien assimilé toutes les règles sanitaires à respecter. Le cinéma, qui reste le loisir préféré des français, devrait être une sortie qui reviendra très rapidement dans les habitudes du public. De plus, entre l’offre des films à l’affiche (entre ressorties et nouveautés), la communication prévue (campagne TV sur les plus grosses chaînes), la Fête du Cinéma, les offres tarifaires (CGR, par exemple)… tout est fait pour que cet été 2020 voit le retour des spectateurs dans les salles obscures.

    The Jokers : Cela me paraîtrait déplacé de vouloir à tout prix convaincre les gens de dépasser leur éventuelle appréhension. Tout cela est très personnel et les réticences sont tout à fait compréhensibles. On veut pas être le gros lourd qui insiste en soirée alors qu'on lui a clairement dit non. Tout ce qu'on peut faire de notre côté, c'est d'abord de relayer de manière pas trop plombante les mesures sanitaires qui seront mises en place par les salles de cinéma. Ensuite, c'est comme d'habitude d'essayer de convaincre les gens que nous avons un très bon film à leur proposer, et d'apporter un peu de légèreté dans notre manière de communiquer pour contrebalancer cette période morose, ce qu'on a appris à faire au fil des années via nos réseaux sociaux. 

    Les Acacias : Que les salles travaillent depuis des semaines d’arrache-pied - à travers la Fédération Nationale des Cinémas Français dont l’action durant toute cette période a été exemplaire - pour assurer la sécurité et la sérénité des spectateurs. Qu’ils retrouveront, dès la première image, ce plaisir immense que de découvrir un film en salle, que d’être enveloppé ou pris par des images et du son, que de partager des émotions avec des anonymes (même s’ils sont à un siège d’écart !). L’enthousiasme que montreront les exploitants sera primordial pour les en convaincre !

    Cinéma Public Films (Valentin Rebondy) : Je pense que les spectateurs auxquels nos films s’adressent sont des gens responsables et conscients des efforts qui pourraient être réalisés par leur cinéma de proximité afin que les projections aient lieu sans risques. La salle de cinéma était déjà garante des conditions d’accueil, quand celles-ci sont très largement déterminantes pour le public dans ses habitudes de fréquentation. Il ne fait donc aucun doute que le public saura apprécier les mesures mises en place à la réouverture. Notre rôle consiste à proposer des films enthousiasmants pour les salles et leur public ; c’est la meilleure façon pour un distributeur de participer à la relance économique du secteur.

    Art House : Ce travail est à faire par les salles, pour rassurer leur spectateurs, le nôtre est de leur donner envie de voir nos films plutôt que d’autres ou que d’autres programmes proposés par d’autres médias.

    Condor Films : Il faut que chacun garde un sentiment de sécurité, et c'est une notion très personnelle qu'il faut respecter. En revanche, j'en appelle à une forme de cohérence. Les personnes qui aujourd'hui acceptent de prendre les transports, je ne vois pas ce qu'elles craignent en allant au cinéma.

    Eurozoom : Il est tout à fait normal que les seniors et parents hésitent à revenir en salles. Je pense qu’il faut respecter leurs craintes et ne pas chercher à les convaincre de revenir plus tôt. Il faut donc s’adapter à la cible qui déclare avoir envie de reprendre le chemin de la salles très vite : les jeunes et jeunes adultes. C’est pourquoi nous avons adapté notre line up pour sortir cet été des films pour cette cible, notamment Ip Man 4 : Le dernier combat.

    Alba Films : Nous avons envie de dire aux spectateurs que les salles ont fait un travail formidable pour rendre la réouverture possible avec des conditions sanitaires et une organisation adaptées et que tous les voyants sont au vert pour qu’ils puissent profiter d’une expérience cinématographique en toute sécurité.

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