Depuis le 21 février, Al Pacino et Logan Lerman chassent des anciens nazis au coeur du New York de 1977, dans les dix épisodes de la saison 1 d'Hunters. Une série compliquée à financer, sur laquelle reviennent ses créateurs David Weil et Nikki Toscano, avec leur actrice Jerrika Hinton.
AlloCiné : "Hunters" est une série qui a dû être très difficile à pitcher, n'est-ce pas ?
David Weil : C'était très étrange. J'avais écrit un scénario, une bible de quatre-vingts pages sur les personnages et Jordan Peele s'était déjà engagé en tant que producteur, mais la majorité des investisseurs ont eu peur d'une série aussi audacieuse, qui ne détourne pas les yeux de certaines choses. Cette crainte se ressentait surtout chez les investisseurs plus classiques, puis nous l'avons fait lire à Amazon, qui l'a acheté immédiatement. Notre interlocuteur était excité par la série. Il avait compris notre vision et nous poussait à aller plus loin pour pleinement embrasser ce monstre plein de nuances qu'est Hunters.
Qu'est-ce qui effrayait les investisseurs à ce point ?
David Weil : Je pense que l'idée de voir un groupe de personnes diverses se soulever pour aller tuer des nazis et ainsi reprendre le pouvoir, cela fait peur à des gens, car nous ne sommes pas dans un statu quo. De notre point de vue, cela paraît organique, naturel et nécessaire. Mais il y a cette peur chez les investisseurs qui m'a quelque peu choqué.
Nikki Toscano : Ce qui m'a, personnellement, attirée sur ce projet, c'est que j'étais terrifée par son ambition. Je trouvais que c'était une histoire très très importante à raconter, et la juxtaposition du New York des années 70 et de l'Holocauste, avec un peu de légéreté et d'humour, était l'un de nos gros défis. Mais cela valait le coup d'y faire face.
La révolution peut être une idée effrayante (Jerrika Hinton)
Pourquoi estimez-vous que cette série soit nécessaire aujourd'hui ?
David Weil : Elle l'est aux États-Unis, où beaucoup de groupes sont marginalisés et privés d'un accès au pouvoir auquel la majorité des Blancs a droit.
Jerrika Hinton : La révolution peut être une idée très effrayante.
Quelle a été l'implication de Jordan Peele, lui qui aime aussi parler de notre société à travers le prisme du genre ?
Nikki Toscano : Il est arrivé très tôt sur le projet, alors que David avait écrit un traitement pour ce qui s'appelait alors The Hunt. Il s'est donc engagé, et le fait qu'il soit lui-même un pionnier dans son domaine nous a servi de base et d'inspiration, pour David autant que pour moi. Et cela a aussi convaincu Amazon de se lancer dans le projet. Si Jordan n'avait pas fait Get Out, il n'aurait pas pu servir de véhicule pour des séries aussi audacieuses.
Pourquoi avez-vous choisi que la série se déroule en 1977 ? Pour faire un parallèle entre les parcours de Luke Skywalker et le personnage de Jonah, qui est aussi un Élu alors que vous citez ouvertement "Star Wars" dans le pilote ?
David Weil : (rires) C'est vrai qu'il y a une tonne de similitudes. Je suis un énorme fan de Star Wars et j'ai choisi 1977 au lieu de 2020, car beaucoup de criminels et de responsables nazis étaient dans le coin et pas trop âgés pour que les héros puissent encore se battre avec et chercher à se venger. Et j'ai le sentiment que nous vivons encore de la même façon qu'en 1977, avec des groupes de laissés pour compte, la peur du chaos, la terreur et qu'une menace pèse sur la société. C'est aussi une manière, allégorique, de parler d'aujourd'hui.
Pensez-vous que l'allégorie soit une manière plus puissante de parler de nous qu'une histoire se déroulant de nos jours ?
Jerrika Hinton : Même si la série comporte pas mal d'éléments réalistes, je pense qu'elle ne résonnerait pas autant si l'intrigue se passait en 2020. De façon amusante, le prisme de la nostalgie distord les choses et les rend plus proches de nous qu'on ne le pensait.
Comment s'est déroulé le processus d'écriture ?
David Weil : C'était incroyablement cathartique. J'ai écrit le scénario il y a cinq ans, inspiré par les histoires que ma grand-mère me racontait enfant, elle qui avait vécu la Seconde Guerre Mondiale en Europe. Ce sont des choses qui m'ont inspiré pour cette série et dans ma vie, et l'écriture a été chargée d'émotion. Je n'ai pas connu mon grand-père, qui est aussi un survivant de l'Holocauste, donc écrire le personnage de Meyer Offerman [joué par Al Pacino, ndlr] était comme le rencontrer pour la première fois, ce qui était très beau et puissant.
De la même manière, la scène autour de la soupe au poulet dans le pilote vient du fait que ma grand-mère en moi en buvions souvent lorsque nous discutions. Ça me donnait un sentiment de sécurité, d'être à la maison. Mais j'ai également ressenti une grande responsabilité vis-à-vis d'elle et de ma façon de représenter l'Holocauste, les victimes comme les survivants. Ma grand-mère n'est plus parmi nous, mais j'espère que la série l'aurait rendue fière, car j'ai toujours voulu qu'il en soit ainsi, tout autant que partager ses histoires. Je pense qu'elle sentirait qu'elle a été écoutée, mais aussi qu'elle dirait : "Tu as eu Al Pacino ?" (rires)
Le prisme de la nostalgie distord les choses et les rend plus proches de nous qu'on ne le pensait (Jerrika Hinton)
À quel point le personnage de Jonah est-il proche de vous ?
Jerrika Hinton : Combien de personnes as-tu tuées ? (rires)
David Weil : Tu le sais mais ne peux rien dire. Le personnage est plus beau que moi, mais il y a un peu de moi. Un peu de catharsis. Lorsque l'on est un jeune garçon juif et que l'on grandit à New York, à Long Island, il y a ce sentiment, cette volonté d'être puissant. Vous ne voyez que trop rarement un Juif jouer les super-héros, avec de la force. C'est plutôt Woody Allen, quelqu'un d'intellectuel comme lui. Avoir la possibilité de réclamer sa place et demander justice pour vos ancêtres est définitivement un souhait que j'avais, et c'est notamment ce qui a rendu Hunters vivant.
Vous a-t-il été difficile de trouver un équilibre entre les tons ? Entre le côté "tueurs de nazis" et le respect dont vous vouliez faire preuve envers les victimes de l'Holocauste ?
David Weil : C'était un énorme défi. Nous avons tous beaucoup travaillé, surtout sur les flashbacks grâce auxquels nous voulions rendre l'ensemble plus sérieux mais avec respect. Et nous assurer que la violence des séquences dans le passé ne soit pas gratuite : elle est très crue et difficile à regarder, et cela nous a aussi aidés à comprendre les motivations de nos chasseurs. Mais il était également important, dans notre présent, en 1977, d'avoir cette violence très pulp, que l'on croirait sortie d'un comic book ou d'un roman graphique, histoire d'appuyer le contraste.
Les comic books vous ont-ils inspiré ?
David Weil : Oui ! Mais aussi le manque de super-héros juifs. Des films comme La Liste de Schindler ou Inglourious Basterds sont menés par des personnages qui ne sont pas juifs, donc il nous paraissait important que le héros, Jonah, le soit. Pour qu'il puisse réclamer le pouvoir de ceux qui, lorsque l'on représente l'Holocauste, sont souvent montrés sans défense, persécutés. Il était également important que les flashbacks montrent l'héroïsme. Et pour ce qui est des références de comic books, je vais bien évidemment citer Spider-Man, les X-Men.
Et qu'en est-il de Quentin Tarantino ?
Jerrika Hinton : C'est drôle car je n'ai jamais pensé à Inglourious Basterds lorsque nous faisions la série.
David Weil : Et je ne rejette pas les similitudes, surtout que c'est un super film. Mais ce sont plus des oeuvres des années 70 qui m'ont influencé, et notamment Marathon Man, Ces garçons qui venaient du Brésil ou encore Les Guerriers de la nuit.
Jerrika Hinton : Les gens se focalisent avant tout sur le fantasme de vengeance, mais j'aime répéter que David a écrit sur le pragmatisme de la vengeance. Il est facile d'imaginer ce que l'on ferait pour récupérer un pouvoir et si l'on devait partir en guerre, mais sans prendre en compte la réalité et la façon dont elle nous affecte. Hunters le fait, et ça rend la série bien plus intéressante.
"Ces garçons qui venaient du Brésil", l'une des sources d'inspiration de "Hunters" :
La série a un look visuel très cinématographique. Comment avez-vous décidé de son identité ?
Nikki Toscano : Nous avons eu beaucoup de conversations avec Alfonso Gomez-Rejon [réalisateur du pilote, ndlr], qui a grandement été responsable du look de la série et de la façon dont les choses ont été tournées, dans la scène d'ouverture notamment. Nous aussi travaillé avec Frederick Elmes, le chef opérateur du pilote, ainsi que le chef décorateur de la saison, Curt Beech, pour établir une palette de couleurs. La principale des choses que nous avons retirées du pilote, c'est qu'Alfonso a pris beaucoup d'initiatives sur le premier épisode, et nous avons cherché à rester dans la continuité avec les réalisateurs suivants.
Quelles discussions espérez-vous voir naître grâce à "Hunters" ?
David Weil : C'est en partie pour cela que j'ai eu envie d'écrire Hunters, surtout face à l'épidémie actuelle d'antisémitisme et de négation de l'Holocauste, dont on en vient à questionner l'existence. Des "historiens" et des "intellectuels" opposent des arguments fallacieux pour tenter de dérober la vérité, pour différentes raisons. Et je trouve cela terrifiant, donc il est nécessaire d'apprendre aux jeunes générations ce qu'a été l'Holocauste, et je pense qu'Hunters est une bonne façon de le faire car ça n'est pas un drame historique strict. Il est possible d'enseigner tout cela sans le faire de façon didactique, en réussissant à trouver une forme qui leur parle. Récemment, il y avait une attaque antisémite par jour à New York, donc c'est une réalité et la série parle d'une bande de marginaux qui ont le sentiment que d'autres personnes cherchent à les exterminer et nier leur droit d'exister.
Propos recueillis par Maximilien Pierretteà Londres le 5 février 2020
"Hunters" est visible sur Amazon Prime Video depuis le 21 février :