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    Lettre à Franco : comment Alejandro Amenábar parle des années noires de l'Espagne [Interview]
    Clément Cuyer
    Clément Cuyer
    -Journaliste
    Clément Cuyer apprécie tous les genres, du bon film d’horreur qui tâche à la comédie potache. Il est un "vieux de la vieille" d’AlloCiné, journaliste au sein de la Rédaction depuis maintenant plus de deux décennies passionnées. "Trop vieux pour ces conneries" ? Ô grand jamais !

    Avec le long métrage "Lettre à Franco", le réalisateur Alejandro Amenábar nous plonge au coeur des années noires de l'Espagne. Rencontre.

    Teresa Isabi

    Avec le long métrage Lettre à Franco, en salles aujourd'hui, le réalisateur Alejandro Amenábar nous plonge dans l'Espagne de 1936. Celui a qui l'on doit notamment Ouvre les yeuxLes Autres et Mar Adentro s'intéresse au parcours du célèbre écrivain Miguel de Unamuno, qui décide de soutenir publiquement la rébellion militaire avec la conviction qu'elle va rétablir l’ordre. Alors que les incarcérations d’opposants se multiplient, il se rend compte que l’ascension de Franco au pouvoir est devenue inéluctable. Rencontre.

    AlloCiné : Pourquoi avoir décidé de parler de cette période de l'Histoire espagnole par le prisme de l'écrivain Miguel de Unamuno ? Un personnage qui à la particularité de changer d'opinion au fur et à mesure de l'histoire...

    Alejandro Amenábar : C'est un film important pour moi. J'étais d'abord curieux de découvrir que Miguel de Unamuno avait pris la parole pendant une manifestation fasciste. Cela me paraissait très intéressant au niveau cinématographique. Ensuite, au fur et à mesure que je me suis rapproché de l'histoire, il m'a paru être un devoir de la raconter car il y avait vraiment des parallèles extrêmement intéressants entre ce qui s'était passé à cette époque et ce qui se passe aujourd'hui en Espagne. Concernant le changement d'opinion chez Miguel de Unamuno, il disait que ce n'était pas lui qui changeait, mais les autres. Ce qui ne changeait pas chez lui, c'était les principes, son pacifisme et son humanisme. C'est ça qui l'a amené à changer d'opinion, d'attitude, par rapport à la Seconde République et ensuite par rapport au fascisme.

    Comment s'est passé votre collaboration avec l'acteur Karra Elejalde, qui incarne Miguel de Unamuno à l'écran ? 

    Dans la vie, Karra Elejalde est quelqu'un qui, en terme de caractère, est complètement l'opposé de Miguel de Unamuno. C'est quelqu'un d'extraverti. C'était d'abord un défi pour moi au niveau du scénario : il fallait que j'arrive à travailler sur la question de l'intériorité, travailler sur la manière dont ça allait être montré. Et c'était aussi un défi pour Karra, qui devait arriver à modérer ses capacités expressives. Je pense que pour chaque acteur, il y a un mode de travail très différent. Pour Javier Bardem, que j'ai dirigé dans Mar adentro, c'était un travail de documentation et de recherche. Pour Karra, dans Lettre à Franco, c'était davantage quelque chose ayant à voir avec le caractère charnel plus extérieur du personnage, quelque chose qui est plus dans la superficialité.

    Teresa Isabi

    Avez-vous effectué des recherches particulières pour "Lettre à Franco" ?

    Pour moi, faire des films, c'est la meilleure manière de faire des recherches et de se documenter. Pour Lettre à Franco, nous avons eu des contacts avec la famille de Miguel de Unamuno, qui nous a beaucoup soutenus et nous a donné accès à beaucoup de choses. J'ai lu tout ce que je pouvais sur cette période, tous les écrits de Miguel. On avait également deux experts avec nous, un au niveau historique et un au niveau militaire. J'avais un peu l'impression que faire ce film était comme passer un examen en fin d'année scolaire.

    Dans "Lettre à Franco", il y a la confrontation de deux camps mais il y a toujours la place pour le dialogue. C'est un film qui n'est pas pessimiste, il y a toujours une lumière....

    Je suis plutôt quelqu'un d'optimiste et je cherche toujours, d'une certaine manière, la lumière, même dans des conditions extrêmement tragiques. Dans Lettre à Franco, il y a effectivement une confrontation de forces mais pour le personnage, il y a à la fois une catharsis et une rédemption. C'est quelqu'un qui, oui, défend la raison, mais qui, finalement, va faire ce qu'il a à faire.

    Si on parle d'optimisme et de pessimisme, je crois vraiment que l'Histoire, ce sont des cycles qui se répètent, pas seulement en Espagne mais aussi dans le monde entier. Je crois que ce film a aujourd'hui une lecture qui peut être tout à fait contemporaine et correspond à quelque chose qui se passe aujourd'hui dans le monde. Par contre, sur cet aspect-là, je dirais que je suis plutôt pessimiste, car ça fait déjà deux films ou je dis, d'une certaine manière, qu'on ne prend pas le bon chemin.

    "Lettre à Franco", film sur l'Histoire espagnole, peut avoir un écho pour chacun, même en dehors des frontières ibériques...

    Chaque fois que je fais un film, il a une vocation universelle, j'essaie de m'adresser au public le plus large. D'ailleurs, quand j'ai présenté Lettre à Franco au Festival de Toronto, je me suis adressé au public en leur disant que ce que je leur montrais n'était pas si lointain, qu'ils avaient un exemple de ça dans le pays d'à-côté. En même temps, c'est vrai que ce sont des choses, le retour des extrêmes, qu'on voit aussi en France et aussi récemment en Espagne avec ce parti d'extrême droite, Vox, qui vient de rentrer au Parlement. 

    Personnellement, je dirais que je suis sans doute de nature modérée. Ce qui me paraît inquiétant, ce sont des idéaux exprimés avec lesquels on arrive absolument pas à se rapprocher. Ce qui s'est passé en 1936 était d'une certaine manière la mise en pratique de deux idéaux qui venaient de Russie et des pays fascistes, et on connaît le résultat : une Guerre mondiale et avant ça, une répétition, qui a été une guerre civile.

    Teresa Isasi

    "Lettre à Franco" est un film 100% espagnol, un retour aux sources après des expériences internationales avec "Les Autres" et "Récession". En quoi est-ce différent ? 

    C'est la même chose mais avec un handicap majeur : ce n'est pas dans ta langue ! C'est du coup plus difficile de se faire comprendre. Mais les différences qu'on retrouve partout, ce sont ces manière différentes qu'ont les acteurs de travailler. Certains vont davantage intérioriser le personnage, le vivre de manière plus intense, alors que d'autres redeviennent eux-mêmes instantanément après qu'on ait dit "Coupez" ! Et puis il y aussi la différence entre faire tourner des stars et des acteurs un peu moins connus. Il faut être conscient qu'avec la star, derrière elle, il y a tout un tas de personnes qui gravitent. Il faut être prêt à ça.

    Que pensez-vous du phénomène des séries et des plateformes ?

    C'est très excitant que les séries et les plateformes aient, d'une certaine manière, revitalisé le secteur audiovisuel. En même temps, je suis extrêmement prudent par rapport à ça. J'ai très peur que cette prolifération de séries nous transforme en tant que spectateur, qu'on soit un peu comme un gosse devant des tonnes de tablettes de chocolat sur une étagère. J'ai peur que la qualité soit remplacée par la quantité. J'ai besoin qu'on me raconte des histoires et aussi besoin, moi, de raconter des histoires. Raconter des histoires, c'est presque une lithurgie, c'est vraiment une vocation, un besoin, et j'ai peur de cette prolifération, qu'à un moment donné, ça puisse un peu devenir une drogue, qu'on prenne des choses sans faire de différence...

    Quels sont vos projets ?

    Je travaille sur une mini-série de 6 épisodes de 50 minutes intitulée El Tesoro del Cisne Negro, l'adaptation d'une BD. Ce format, que j'ai demandé, est pour moi plus adapté à cette histoire. Un format avec lequel je vais être assez à l'aise, qui me permettra de mettre en scène l'intégralité du programme. J'ai par ailleurs un projet de long métrage en tête. Ce qui est assez ironique, c'est que je suis absolument convaincu que si je proposais pour cette histoire un format en mini-série, je trouverais immédiatement les financements ! Mais je veux absolument que ce soit un long métrage de deux heures.

    Propos recueillis à Paris le 20 janvier 2020.

    La bande-annonce de "Lettre à Franco" :

     

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