AlloCiné : Connaissiez-vous le roman dont Seules les bêtes est adapté ?
Denis Ménochet : J'avais entendu parler du roman et j'ai lu le scénario de Seules les bêtes adapté par Gilles Legrand et Dominik Moll que j'ai trouvé remarquable car dans le roman, tout est à la première personne, on prend le temps de s'installer dans l'histoire et j'ai trouvé l'adaptation très impressionnante. Ce thriller sur le désir et sur la solitude, qui se passait et à la fois à la montagne et en Afrique, c'était très excitant et je n'ai pas posé une seule fois le scénario avant d'avoir terminé.
Qu'est-ce qui selon vous caractérise le travail de Dominik Moll avec les acteurs ?
J'ai rencontré Dominik alors qu'il venait de finir d'écrire le scénario. Je l'ai adoré, donc j'étais vraiment avec lui et j'ai un peu l'impression de l'avoir toujours connu. C'est un peu comme un vieux cousin sympa, avec le sens de l'humour, fan de rugby. En plateau, c'est quelqu'un d'une grande générosité, d'un calme incroyable et qui, grâce à ce flegme et à ce sens de l'humour, laisse une liberté à tous, ce qui est vraiment agréable. Je retourne avec lui quand il veut !
Vous avez eu la chance, grâce au parcours de votre personnage, de tourner à la fois dans les Cévennes et à Abidjan. Racontez-nous cette expérience.
A la lecture, je ne réalisais pas trop. Et puis, petit à petit, on fait ses vaccins, on prend son visa, on arrive là-bas et on s'en prend plein la gueule (sic). On le dit souvent, mais la joie de vivre des Africains qui n'ont rien du tout, ça a été une leçon. Je n'ai pas compris qu'on ait colonisé ces gens, qu'on les ait réduit en esclavage. Je ne suis qu'un acteur, mais humainement, ça m'a vraiment bouleversé. Et les acteurs ivoiriens, qui sont amateurs, sont pour moi les meilleurs du film. Ils ont une poésie, une vérité…
Vous portiez déjà un regard critique sur Internet, sur ses dérives, la frontière parfois ténue entre réalité et fiction ?
Complètement. Je pense que ça ne brise pas la réalité, la réalité est là et elle nous regarde en rigolant. Pour avoir des gens dans ma vie qui sont plus jeunes, je les vois construire leurs Instagram et je vois la pression qu'ils se mettent pour une seule image. Dans la vie, on est plein de choses différentes et je ne veux pas être le mec qui n'aime pas le rock'n'roll, mais c'est important d'être dans la vraie vie. Internet, c'est un outil formidable, par exemple pour des choses comme #MeToo, et en même temps c'est un miroir aux alouettes.
Toutes ces scène où vous êtes devant l'ordinateur et où vous chattez devaient représenter une forme de défi pour l'acteur que vous êtes ?
Oui, c'est forcément une autre façon de jouer, même si bon, c'est quand même mon métier de m'adapter et d'imaginer la personne en face, même si ce n'est qu'une photo ! C'est vrai que ces scènes faisaient peur à tout le monde, au réalisateur, au producteur… Même les vaches, à côté, avaient peur ! (Rires) Dominik était nerveux à l'idée de tourner ces scènes, mais ça s'est très bien passé. Après, quand on cadre les gens en très gros plan, on obtient le millimètre près de l'émotion, c'est un truc de cinéma. Et avec le montage, ça marche. Finalement, on a tous chatté, ça fait partie de notre époque. Pendant qu'on tournait, plus il se marrait, plus j'en faisais des tonnes. On a testé des palettes assez larges, je voulais parler à l'ordinateur, comme si c'était quelqu'un. Vous savez, quand vous croisez quelqu'un qui vous plaît très furtivement, qui monte dans un taxi ou qui descend dans un métro, vous vous dites que cette personne, c'est la personne de votre vie. En réalité, ce ne sera que ce moment-là. Si vous allez au café ou au restaurant avec, vous serez déçu ; si vous faites des enfants avec, vous allez divorcer (rires), mais ce moment précis, qui est pur, de fantasme absolu et d'idéal d'amour, si on le transpose à quelqu'un de seul et isolé comme Michel, mon personnage, qui rencontre une jeune fille sur Internet, on comprend qu'il soit prêt à tout.
Du coup, vous pensez que la longévité de ce sentiment un peu magique que vous évoquiez n'est permise que par ce côté virtuel ?
Je pense que le virtuel s'y prête plus, car on n'est pas en direct avec les gens. Il y toujours un moment où le quotidien vous rattrape et casse la magie.
Propos recueillis à Paris le 22 novembre 2019.
Cadre : Agathe Delcourt.