Ce chef-d'oeuvre absolu dure 7 heures... et surpasse sa version hollywoodienne sortie 10 ans plus tôt !
Olivier Pallaruelo
Olivier Pallaruelo
-Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

Réalisé entre 1962 et 1967, film le plus cher jamais financé par l'Union soviétique, le "Guerre et paix" signé par Sergueï Bondartchouk est un monument du cinéma sans équivalent, écrasant la version hollywoodienne sortie dix ans plus tôt.

Sous la férule du studio Paramount et des fameux producteurs italiens Dino De Laurentiis et Carlo Ponti, Hollywood sort de ses écuries en 1956 une adaptation d'un monument de la littérature écrit par Léon Tolstoï : Guerre et paix. Un vieux projet d'ailleurs, caressé par les studios dès les années 40. Le budget alloué à l'entreprise fut à la hauteur de ses ambitions, avec une enveloppe comprise entre 6 et 7 millions de dollars; une fortune pour l'époque. Ajusté à l'inflation, cela équivaut aujourd'hui à une somme entre 70 et 82 millions de dollars.

Un film hollywoodien qui séduit même l'Union soviétique

Le studio n'hésita pas à capitaliser sur le gigantisme de l'entreprise d'ailleurs, quitte à gonfler les chiffres... Pour sa ressortie dans les salles américaines en 1963 par exemple, une plaquette promotionnelle évoquait la participation de 18.000 figurants pour les scènes de batailles napoléoniennes, et pas moins de 100.000 uniformes. En réalité, les chiffres tournent plutôt entre 5000 et 8000 soldats italiens engagés comme figurants pour ces séquences. C'est quand même déjà beaucoup.

Toujours est-il que, portée par une lumineuse Audrey Hepburn, qui est épaulée par Mel Ferrer et Henry Fonda, cette fresque épique de 3h28 fut citée trois fois à l'Oscar, et rapporta plus de 18 millions de dollars au box office international. Suprême consécration pour le studio : la première du film à New York fut au bénéfice de la Fondation Tolstoï, tandis que la fille du célèbre écrivain, la comtesse Alexandra Tolstoï, assista personnellement à la première du film à Los Angeles.

Les autorités soviétiques achetèrent même le film aux producteurs pour un peu plus de 100.000 $, pour le distribuer sur le territoire russe. Ce fut un énorme succès : sorti en URSS en août 1959, le film attira plus de 30 millions de spectateurs.

Paramount Pictures

"C'est une question d'honneur pour l'industrie cinématographique soviétique"

Alors qu'approchait en Russie le 150e anniversaire de la commémoration de la guerre patriotique, celle qui avait repoussé l'invasion de la Russie par Napoléon, mesurant aussi le grand succès de l'adaptation de Guerre et paix signée par King Vidor, la question d'une adaptation de l'oeuvre de Tolstoï devint un sujet d'orgueil national. "C'est une question d'honneur pour l'industrie cinématographique soviétique de produire un film qui surpassera le film américano-italien par sa valeur artistique et son authenticité" écrivirent des cinéastes russes, dans une lettre ouverte publiée dans la Presse soviétique.

Contacté au début de l'année 1961 pour mener le projet, Sergueï Bondartchouk aura carte blanche pour livrer une oeuvre monumentale, à la hauteur des enjeux et du prestige engagé par l'Union soviétique pour adapter ce fleuron de sa littérature nationale, sur fond de Guerre Froide et de rivalités entre les grandes puissances de l'après-guerre... Quarante musées nationaux seront chargés de fournir divers accessoires authentiques pour le tournage du film.

Mosfilm

Epaulé par trois généraux qui firent office de conseillers militaires, Sergueï Bondartchouk a bénéficié d'une ligne de crédits pharaonique. Les sources ne sont d'ailleurs pas concordantes à ce sujet. En 1979, le film était cité dans le Guinness Book comme le plus cher jamais réalisé, avec un budget estimé à 96 millions de dollars, ce qui correspondrait aujourd'hui à plus de 417 millions de dollars. D'autres sources évoquent un budget de 100 millions de dollars, soit 1,04 milliards de dollars aujourd'hui, ajustés à l'inflation.

13.500 soldats de l'Armée rouge furent mobilisés, 1500 chevaux, 23 tonnes de poudre explosive, 40.000 litre de kérosène et 10.000 grenades fumigène furent utilisés pour la seule bataille de Borodino, un des clous du film fleuve de Sergueï Bondartchouk. Sans compter les milliers de mètres cube de terre déplacés dans les gigantesques travaux de terrassement pour mieux respecter la topographie de la célèbre bataille. Une démesure absolue que l'on retrouvera d'ailleurs sur un autre grand film de la même période, Waterloo, qui ne trouvera hélas cette fois-ci pas son public.

Mosfilm

Tourné entre 1962 et 1967, cette version de Guerre et paix, divisée en quatre parties pour un spectacle total de 7h13, est sans équivalent, par l'ampleur de sa mise en scène, le faste de sa reconstitution et les moyens déployés. Elle écrase totalement son pendant hollywoodien. Entre autre (nombreuses) récompenses, ce chef-d'oeuvre remportera l'Oscar du Meilleur film étranger en 1969, une première pour un film soviétique, et fut même cité à l'Oscar des Meilleurs décors.

Le film est ressorti en 2023 dans une somptueuse copie restaurée. Après un très ancien coffret dvd (et vendu à prix d'or...), il est désormais disponible en Blu-ray. Il est également disponible gratuitement en visionnage sur le site web d'Arte.tv jusqu'au 1er juin 2025.

Si vous n'avez jamais vu cette merveille, vous savez ce qu'il vous reste à faire.

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