Mon compte
    Mortel sur Netflix : "On n'a pas essayé de faire un Stranger Things à la française"
    Jérémie Dunand
    Jérémie Dunand
    -Chef de rubrique télé / Journaliste
    Passionné de séries en tous genres, mais aussi d'horreur et de teen movies, Jérémie Dunand a été biberonné aux séries ados et aux slashers des années 90, de Buffy à Scream, en passant par Dawson. Chef de rubrique télé, il écrit aujourd'hui principalement sur les séries et unitaires français.

    Lancée le 21 novembre, "Mortel", la première série ado française de Netflix, oscille entre récit fantastique initiatique et drame profond sur l'adolescence. Son créateur, Frédéric Garcia, nous a parlé de la genèse du projet et de ses influences.

    Lou Faulon/Netflix

    Mortel, disponible depuis le 21 novembre sur Netflix, c'est l'histoire de Sofiane (Carl Malapa), Victor (Nemo Schiffman), et Luisa (Manon Bresch), trois ados que tout oppose qui se retrouvent liés par une force surnaturelle incontrôlable et qui vont devoir s'unir pour retrouver Reda, le frère de Sofiane mystérieusement disparu. Visuellement léchée, portée par des comédiens talentueux, scénaristiquement assez dingue, et dotée d'une bande-son incroyable, cette première série ado française signée Netflix est une réussite dont nous avons pu discuter avec son créateur, Frédéric Garcia. Un jeune scénariste de trente ans, qui a fait ses armes sur Sam et Skam France, et qui est revenu pour nous sur la difficulté de proposer une telle série en France et sur ses influences, de Buffy à Chronicle, en passant par le cinéma d'Abdellatif Kechiche.

    AlloCiné : Comment est née l'idée de Mortel ?

    Frédéric Garcia (créateur de la série) : L'idée de Mortel remonte à très longtemps. J'ai commencé à l'écrire en sortant du lycée. Je suis jeune, j'ai 30 ans, mais ça date quand même un peu en fait (rires). Je ne savais pas exactement ce que je voulais en faire, je ne savais pas que je voulais être scénariste, mais j'ai commencé à coucher sur le papier l'histoire de trois ados qui étaient dans une ville qui ressemblait à la mienne, car je viens de banlieue et j'y étais encore il y a trois ans de ça. L'idée c'était de parler d'adolescence mais de salir les liens qu'il y avait entre ces adolescents. J'ai été nourri de fictions américaines, c'est ça qui m'a bercé, et je me demandais pourquoi on n'avait pas la même chose en France. Et déjà à l'époque je me disais "Comment on change ce truc-là pour que ça devienne français ?". Je pense qu'en France on a une espèce de dureté, de cynisme dans notre culture. L'idée c'était de faire une série fantastique dans laquelle les relations entre les personnages ne seraient pas traitées comme la solution à tous les problèmes mais pourraient être le problème. Je voulais mettre en scène des ados qui collaborent et qui ont des relations qui peuvent être des relations toxiques. Mais à l'intérieur de ces relations toxiques je voulais qu'ils trouvent quelque chose d'hyper sincère et d'hyper positif. Il y avait bien sûr une idée de représentation car je viens de banlieue et les seules séries françaises où il y avait des ados ça se passait à Paris dans des grands appartements. J'étais là "Mais qui vit comme ça en France ?". Personne. Je voulais qu'on voit des vrais gens. Un truc hyper réaliste qui soit en même temps hyper fantastique et qui n'y aille pas avec le dos de la cuillère dans le fantastique. C'était la volonté de base et c'est ça qui faisait peur aux gens.

    Mortel ça m'a ouvert des tonnes de portes avant que ça se fasse. Vu que j'avais le projet dans ma besace depuis 10 ans, dès que j'allais voir une boîte de production c'est ça que je présentais. Mais les gens me disaient "Ah c'est super mais tu veux faire quoi en vrai ?". Et du coup avant que Mandarin me dise "Go, on y va, et on va le faire avec Netflix", il y a 19 prods qui m'ont dit "non". Après ils m'ont donné du travail mais personne ne voulait produire Mortel. Je pense que pour les gens ce n'était pas un projet réaliste.

    Pensez-vous qu'il n'y a que sur Netflix que Mortel pouvait se faire ?

    Oui, bien entendu. Ce que je dis souvent c'est que les autres chaînes ont des contraintes de cibles pour leurs projets. Elles doivent toucher la cible la plus large et cette cible est plus âgée. Et Netflix est à la conquête des cibles que les autres négligent. Et notamment des adolescents. Et du coup pour eux c'était important que Mortel soit ancrée dans une culture adolescente. Même si dans les thématiques on ne m'a jamais dit "Mettez-les en couple eux pour que si ou ça". Le projet n'a jamais été dénaturé. Mes influences en tant d'auteur viennent plus du drame que du surnaturel. Elles viennent plus des conflits familiaux ou fraternels que du teen drama. Et c'est donc un projet hyper particulier pour moi. C'était mon rêve de gosse de le faire mais ma sensibilité ne va pas forcément là de base. C'est donc pour ça que c'est un peu différent de ce à quoi on pourrait s'attendre dans ce genre-là. Les situations dramatiques sont vraiment dramatiques. Et en sous-texte de la série il y a un propos sur le trauma et comment on le dépasse. Ce n'est pas juste un teen drama sur l'amitié. On parle des ados et de vrais problèmes d'abus sexuel, de manipulations, de harcèlement. Et au cœur de tout ça il y a cette thématique qui est "Comment l'autre peut être une agression pour toi et aussi ta solution et ton moyen de survie". C'est à la fois hyper positif et hyper négatif. Et j'espère vraiment que la série n'est pas manichéenne.

    Lou Faulon/Netflix

    C'est vrai que sur le papier on pouvait s'attendre à une série plus fantastique, très ancrée super-héros, alors que finalement la série est surtout très profonde. En fin de compte on a l'impression que le fantastique n'est qu'un élément qui permet de faire passer un message beaucoup plus profond...

    C'est la meilleure chose qu'on puisse me dire donc merci (rires). C'est vrai que le côté super-héros ce sont en fait les journalistes qui l'ont présenté comme ça. En voyant les premières images je pense qu'ils ne comprenaient pas vraiment ce que c'était et au lieu de se dire c'est Céline Sciamma ou Kechiche qui rencontrent Buffy contre les vampires, c'était plus simple de s'imaginer un truc de super-héros à la française. Mais en fait Mortel ce n'est pas du tout ça. L'idée c'était de faire un teen drama ultra réaliste et ultra fantastique, mais surtout ultra français. Et donc de créer quelque chose de nouveau. La vraie ambition vraiment, s'il y en a une, c'était de créer quelque chose qui soit français à destination du public français, pour qu'il se reconnaisse dedans. Et pour ça il fallait inventer de nouveaux codes. Mais on n'a pas essayé de faire un Stranger Things à la française, pas du tout. Et je pense que ça se voit quand on regarde la série.

    On sent tout de même des références assez fortes, notamment au début de la série. On pense à Misfits évidemment, à Chronicle aussi. C'était des références pour vous au moment de l'écriture ?

    Misfits pas du tout. Même si je vois pourquoi on peut les comparer. Chronicle, par contre, énormément. Mais plutôt au moment du tournage. Car, ce n'est pas pour faire genre, mais j'ai commencé à écrire Mortel avant Chronicle. Je crois que le film date de 2012 et j'ai commencé à écrire Mortel en 2009. Et du coup en voyant Chronicle je me suis surtout dit "Mon dieu, c'est ça, je veux ça". Plus qu'un modèle ça a été un vrai encouragement. Je me disais "C'est possible". Et puis c'est fait par un jeune réalisateur. Donc forcément ça donne des idées.

    Et Buffy donc, pour vous, c'était la référence ultime ? Pour ce que la série disait sur l'adolescence par le biais du fantastique ?

    Oui, Buffy c'était une référence très, très forte. Cette série m'a montré qu'il ne fallait pas avoir peur du fantastique. Il ne faut pas essayer de le cacher. Si de nos jours les gens continuent à étudier Buffy à l'université ce n'est pas parce que les vampires ont des maquillages dégueulasses. Les monstres sont dégueus, c'est moche, ok, mais le fond de l'histoire, le propos de la série il reste toujours aussi profond. Et c'était le but aussi avec Mortel, toutes proportions gardées. Est-ce qu'il est atteint, je ne sais pas, mais en tout cas je voulais proposer quelque chose de profond sur l'adolescence et ne pas me foutre de la gueule des gens narrativement et émotionnellement. Et ne pas faire n'importe quoi avec des situations hyper réelles. Parce que quand on veut représenter les gens, et surtout un public adolescent, il ne faut surtout pas se foutre de leur gueule. Car c'est un des publics qui le sent le plus vite.

    Lou Faulon/Netflix

    Depuis Les Grands, on a l'impression que la France arrive enfin à faire des séries ados réussies, ou en tout cas qu'elle n'a plus peur de s'essayer à ce genre. Pourquoi, d'après vous, a-t-on dû attendre si longtemps ?

    Je pense que l'adolescence ça a toujours fasciné tout le monde. On oublie parfois que dans Le Vie d'Adèle, l'héroïne est au lycée. Elle a l'âge des personnages de Mortel. C'est un sujet qui fascine tout le monde. Mais pour moi ce qui a changé c'est l'émergence d'autres diffuseurs. OCS, Netflix ce sont des gens qui peuvent se permettre d'aller vers des séries et des genres de niche. Mais Les Grands ça reste assez confidentiel. Malheureusement, car c'est une super série. Avec Mortel on a des ambitions un peu plus larges et on n'a pas le même budget et pas les mêmes contraintes. Netflix a une force de frappe bien plus grande. Et leur manière de faire est très intelligente, très pensée. Car en se lançant enfin dans ce genre ils gagnent un public. Et peut-être que plus tard, au lieu de ne regarder que des séries américaines, les jeunes s'ouvriront à autre chose. En tout cas je trouve que c'est important de montrer aux gens qu'on fait des choses pour eux.

    La musique a une place très importante dans la série. Comment ont été faits les choix des différents morceaux que l'on entend ? C'était pour rendre Mortel la plus culturellement pertinente possible ?

    Oui, et là pour le coup il y a une espèce de petit décalage car j'ai 30 ans et sur le tournage j'étais tout le temps avec les jeunes et je voyais bien qu'il y avait un décalage entre nous. Mais je me suis rendu compte que culturellement, dans la pop française, il y a des bases. Disiz la Peste c'est une base. "J'pète les plombs" tout le monde la connaît. Ménélik tout le monde connaît. Ça fait partie de la culture populaire. Je voulais que la série soit transgénérationnelle et ultra représentative d'une culture populaire à laquelle tout le monde peut se raccrocher. On a un peu montré la série avant sa sortie et à chaque fois qu'il y avait une chanson qui réunit à la fois les ados d'aujourd'hui et les darons, tout le monde se regardait et tout le monde était en feu. Donc ça c'était une vraie volonté. Et l'autre partie de ça c'était "Comment trouver le son de Mortel ?". Et là pour le coup ce sont des morceaux plus pointus que moi j'écoute car je suis un gros fana de musique. Je savais ce que le son de Mortel devait être et j'ai essayé de le déterminer le plus précisément possible. Ce sont des morceaux assez complexes. Il y a du Arka, du Tirzah, du Perfume Genius. Des trucs un peu pitchfork, un peu pointus. Et ça, pour moi, ça ouvrait le scope de la série, en complimentant les scènes. Je ne voulais pas que ce soit des morceaux connus car je ne voulais pas que ça nous fasse sortir de la scène et en même temps je voulais que lorsqu'on l'écoute on se dise "Mais putain" et qu'on sorte notre Shazam.

    C'est vrai qu'en regardant la série on est obligé de "shazamer" et on se dit qu'en fait vous avez créé la première série française "shazamable" à chaque épisode...

    Je dois vraiment remercier Netflix pour ça car à la base je leur avais dit "Je ne suis pas hyper chaud pour qu'il y ait des synchros sur les scènes" et ils m'ont dit "On pense que c'est une super idée et tu peux faire toi-même le choix des chansons qui vont fonctionner". Donc j'ai fait des demandes à Jeanne Trellu, la superviseuse musicale de la série, et j'étais persuadé que ça n'allait pas être possible car les droits musicaux ça coûte super cher. Et dans une scène dont on ne parlera pas, on entend "Never Let Me Go" de Florence and the Machine remixé par Clams Casino et c'est une version hyper rare qui n'est sortie que sur un vinyl. Et lorsque j'ai écrit cette scène il y a dix ans j'avais écrit "Ce sera cette chanson-là". Mais je pensais que ce serait impossible car Florence Welch donne très peu les droits de ses chansons. J'ai donc dû lui écrire une lettre, lui envoyer une photo du tournage. Et finalement c'est Jeanne Trellu qui a fait du forcing et on a eu la chanson.

    Il y a aussi l'exemple de "Samuraï" de Shurik'n. On a eu les droits de remix sur la chanson pour qu'à chaque fois qu'Obé apparaît à l'écran on ait une déformation du morceau qu’on a distordu au violon. C'est devenu la musique d'Obé et c'était un vrai truc pensé. Je voulais qu'il y ait un côté madeleine de Proust et un vrai côté découverte aussi en même temps. C'est une série de confrontation de toute façon. Entre l'hyper réalisme et l'hyper fantastique. Entre l'hyper populaire et l'hyper pointu. Il fallait que les sons soient ultra intégrés à la série. Tout le monde n'aime pas Kekra, clairement, mais quand tu vois un establishing shot de la cité avec Kekra en fond sonore alors que Sofiane marche avec ses TN requin, si tu viens de la campagne et que c'est un univers qui te fait peur, il faut que tu puisses quand même t'attacher au truc et comprendre que c'est quelque chose de culturellement viable et culturellement juste. Que ce n'est pas "putaclic" en mode "Regardez, il a des TN". Même si de prime abord on pourrait se dire ça. Mais j'espère qu'en entrant dans la série les gens verront qu'il y a un vrai propos. Je viens vraiment de la banlieue, je porte des TN depuis toujours. Ce n'est pas fake, on ne le fait pas parce que c'est fashion.

    Lou Faulon/Netflix

    Et au niveau des acteurs, est-ce que la recherche des comédiens parfaits a été longue et compliquée ?

    On n'avait personne en tête au début et ça a été un énorme challenge de trouver les acteurs car justement ce contraste entre quelque chose d'hyper réaliste et d'hyper fantastique impose qu'il est nécessaire de trouver des comédiens qui soient capables d'être à la fois film français et blockbuster américain. On se dit qu'en France on ne va pas trouver ça. Trouver un acteur qui puisse dire "N'utilise pas tes pouvoirs Sofiane, c'est toxique" sans que ce soit ridicule, c'est compliqué. Et donc quand on cherchait les acteurs le premier truc important pour moi c'était "Est-ce que je crois que ce mec a 16 ou 17 ans ?". Parce que dans les séries américaines les actrices qui jouent des ados qui connaissent leurs premiers émois amoureux ont en réalité 35 ans et c'est l'enfer. Les acteurs passent leur vie à la salle de sport. C'est hyper gênant. Nous on voulait quelque chose de super réaliste et il fallait que les acteurs puissent porter tout ça. Manon Bresch qui doit faire des rituels vaudou, avec les yeux révulsés. Les garçons qui ont des pouvoirs surnaturels. Obé qui est un dieu. T'es en mode "Comment lui il peut dire "Je suis un dieu, je suis coincé ici" et comment on peut y croire ?". On voulait y aller à fond dans le fantastique et il fallait donc que les acteurs soient crédibles dans ce registre et qu'en même temps ils puissent raconter une scène d'agression face caméra, avec tout ce que ça implique en matière d'émotions. C'était un challenge et, honnêtement, pour moi, la plus grande réussite de la série c'est son casting. On a fait des choix hyper forts en réalisation, en musique, en direction artistique, en montage, et même en matière d'histoire. Mais tout ça, sans de bons comédiens, ça ne sert pas à grand-chose. Ce sont à eux que les gens s'attachent. Et je pense vraiment qu'on a trouvé des perles rares.

    Quand on dit "acteurs" on pense évidemment en premier à Carl Malapa, Nemo Schiffman, Manon Bresch, et Corentin Fila, qui sont formidables. Mais il ne faut pas oublier Firmine Richard, qui est assez incroyable dans le rôle de la grand-mère de Luisa experte en vaudou...

    Mais oui, Firmine Richard c'est une icône ! Sur le plateau, dès qu'elle apparaissait, tout le monde disait "Queen Firmine est arrivée". C'est une icône et elle arrive à nous faire rire, à nous faire pleurer. Lui donner la possibilité de jouer quelque chose comme ça dans une série à destination des jeunes, c'était génial. C'était une grande fierté pour moi. Et le personnage d'Elizabeth est inspiré de la grand-mère de mon meilleur pote. On a reproduit l'appartement de la vraie Elizabeth au Havre. C'était un truc de ouf. Et de la voir incarnée par Firmine Richard, qui est quelqu'un qui fait partie de notre inconscient collectif et que je vois à l'écran depuis toujours, c'était dingue.

    Propos recueillis le 7 novembre 2019 à Paris.

    L'interview selfie des acteurs de Mortel :

     

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top