Ce lundi 25 novembre, cela fait 60 ans que Gérard Philipe est mort. Aujourd'hui, on oublie parfois à quel point sa mort prématurée à 36 ans fit l'effet d'un coup de tonnerre. Décédé d'un fulgurant cancer du foie, le comédien français avait connu la célebrité après avoir tourné dans L'Idiot (1946) puis Le diable au corps (1947). Mais c'est au théâtre que Philipe créera un lien indélébile avec le public, qui le lui rendra bien.
Il débute au théâtre en 1942 en jouant dans Une grande fille toute simple et au cinéma dans Les Petites du quai aux fleurs de Marc Allégret (1944), pour lequel sa mère l'aide à passer l'audition. En 1951, Philipe rejoint le Théâtre National Populaire. A l'époque dirigé par Jean Vilar, le TNP propose des pièces exigeantes et des classiques à des tarifs accessibles aux plus petits budgets. Il y joue Le Cid de Corneille et Le Prince de Hombourg de Kleist. Quelques mois plus tard, il tourne son plus grand succès au cinéma : Fanfan la Tulipe de Christian-Jaque. Coproduit avec l'Italie, le film s'exporte à travers beaucoup de pays et le comédien acquiert une renommée mondiale.
La majeure partie de sa carrière, Philipe alterne le théâtre et le cinéma, distinguant les deux en ces termes : "le TNP c'est chez moi, c'est ma maison et c'est la maison du public (...) ; le cinéma a beaucoup de maisons dans tous les quartiers, dans toutes les villes et le cinéma ne s'abandonne pas". Si ses prestations théâtrales sont diversifiées, sur grand écran, il est majoritairement connu du public pour ses rôles de personnages romantiques dans des films d'époque.
En 1956, il revient à la comédie d'aventures ambitieuse pour le cinéma avec Les Aventures de Till l'Espiègle, qu'il coréalise avec Joris Ivens. Le film bénéficie d'un budget important et s'avère la première coproduction de la France avec la République Démocratique Allemande. Malgré ses 2,3 millions d'entrées en France, le film est un échec car il ne parvient pas à s'exporter avec la même force que Fanfan, du fait de tensions politiques à l'époque entre la France et l'U.R.S.S.
Outre son échec public, la critique fustige son jeu dans les scènes comiques de Till l'Espiègle. En conséquence, Philipe se tourne à nouveau vers des rôles dramatiques. Il prête ainsi ses traits au peintre Modigliani dans les dernières années de sa vie (Montparnasse 19), joue dans des adaptations de Zola (Pot-Bouille), de Laclos (Les Liaisons dangereuses 1960) et de Dostoievski (Le Joueur).
Mais l'acteur fait aussi parler de lui par son engagement politique. Il s'affiche comme un soutien du Parti communiste français, devient sans l'avoir désiré le visage du cinéma français à l'étranger et prend la tête du syndicat des "artistes-interprètes". Il ne fait par ailleurs pas secret d'avoir signé l'appel de Stockholm, pétition contre l'armement nucléaire. Celui que l'on classe encore dans les jeunes premiers a aussi des convictions, et il entend qu'on le sache.
Cependant, la plume des critiques qui formeront la Nouvelle vague n'est pas tendre avec Gérard Philipe. Truffaut le classe dans les acteurs français "trop dangereux, qui décident du scénario ou le rectifient s'il ne leur plaît pas. Ils n'hésitent pas à sacrifier l'intérêt du film à ce qu'ils appellent leur standing (...)". Ajoutant dans Les Cahiers du cinéma en 1956 : “Le pire travers de l’acteur moderne consiste à montrer qu’il possède l’intelligence du texte. Il faut avoir entendu Philipe réciter des poèmes pour imaginer le plaisir que l’on pourrait éprouver à étrangler un comédien". En d'autres termes, Truffaut juge l'interprétation des textes par Gérard Philipe artificielle et démodée.
Pourtant, si ses films ne sont pas tous dignes du regard, nous pouvons en conseiller 3 aux lecteurs curieux :
- Le Diable au corps, pour découvrir Philipe dans son premier rôle de héros romantique. Réalisé par Claude Autant-Lara, le film sonne comme antimilitariste et sera censuré à sa sortie. En effet, en 1947, alors que la Seconde guerre mondiale vient de se terminer, Le Diable au corps raconte l'amour entre une aide soignante dont le fiancé est parti faire la guerre et un lycéen trop jeune pour s'engager.
- Une si jolie petite plage voit un homme (Philipe) descendre d'un car et prendre une chambre dans une modeste pension aux occupants tous dans des situations compliquées. La pluie abondante et les personnages désenchantés ajoutent à l'atmosphère de ce film d'une noirceur absolue. L'acteur y est d'une sobriété exemplaire.
- Monsieur Ripois, drame réalisé par René Clément dans lequel Philipe incarne un Don Juan si menteur qu'il va mettre en péril sa propre vie pour ne pas avoir à révéler ses infidélités.
- Les Orgueilleux (bonus) : Gérard Philipe est éblouissant en médecin alcoolique débraillé aux prises avec une dangereuse épidémie tandis que Michèle Morgan, au sommet de sa beauté, lui donne la réplique dans cet exercice de style captivant.
Le dernier film de Gérard Philipe est La fièvre monte à El Pao de Luis Buñuel, l'histoire d'un gouverneur arrivant dans un pays d'Amérique latine qui institue une discipline de fer et ce faisant, favorise l'éclosion d'une rébellion qui va faire de nombreuses victimes. Souvent mésestimé car en partie critiqué par Buñuel lui-même, le film réalisera tout de même 1,59 millions d'entrées et vaut mieux que sa réputation. Mais Philipe est diagnostiqué d'un cancer du foie qui l'emportera quelques mois après le tournage, à 36 ans.
Cette mort prématurée de Gérard Philipe en a fait une des icônes du cinéma français. Certains lui prédisaient un avenir à la Marcello Mastroianni ou à la Laurence Olivier mais, son décès l'a figé dans une éternelle jeunesse qui en a fait le visage du cinéma d'après-guerre et du jeune premier des années 50. Et c'est déjà beaucoup.
Bande-annonce de "Fanfan la Tulipe", sorti en 1952 :