AlloCiné : Comment est né le projet ?
Ladj Ly : Le point de départ des Misérables, c'est une bavure que j'ai filmée il y a 10 ans de ça à Montfermeil. Pendant plusieurs années, je faisais du copwatch [réseau d'associations militantes qui surveillent la police afin de faire connaître les dérapages et les violences policières grâce à des vidéos et des photographies, NDLR] où je filmais les flics durant leurs interventions jusqu'au jour où j'ai pris cette bavure, je l'ai postée sur internet et la presse s'en est emparée. Dix ans après, j'avais envie d'en faire une fiction. Donc j'ai commencé par un court-métrage, qui s'appelait aussi Les Misérables,et qui a très bien fonctionné. Il a été montré dans plus de 150 festivals où il a remporté plusieurs prix. On s'est dit que c'était l'occasion de le transformer en long-métrage.
C'est votre premier long-métrage mais vous avez déjà un long parcours dans la réalisation.
Ladj Ly : Je fais partie du collectif Kourtrajmé qui regroupe plusieurs artistes réalisateurs et qui a été fondé par Kim Chapiron, Romain Gavras et Toumani Sangaré. Depuis qu'on a 16 ans, on fait des clips, des courts-métrages, des documentaires, des films, ... Ensuite chacun a suivi sa propre voie et moi, même si j'ai commencé en tant qu'acteur, je me suis plutôt orienté vers la réalisation. Je viens du documentaire, avec notamment À voix haute que j'ai co-réalisé. Et je me suis dit que c'était le moment de me lancer dans la fiction.
Et pourquoi justement raconter cette histoire par le biais de la fiction, alors que vous l'avez déjà explorée dans des documentaires ?
Ladj Ly : J'ai fait beaucoup de documentaires, c'est ce qui m'intéressait le plus et c'est vrai que j'étais la personne qui était la plus engagée dans le collectif. Mais j'ai l'impression qu'avec cette forme, on reste assez limité. En plus, mes documentaires étaient censurés, aucune chaîne ne voulait les diffuser. Je me retrouvais à les balancer sur internet. Je me suis dit qu'avec la fiction, j'aurais peut-être plus de visibilité, que mes films auraient plus de chance d'être vus.
Vous êtes le co-scénariste du film, Giordano Gederlini. Comment avez-vous rencontré Ladj ?
Giordano Gederlini : C'était il y a un peu plus d'un an. Ladj cherchait un scénariste qui avait un peu plus l'habitude du long-métrage. Il a défini très tôt ses envies d'univers. Vous posiez la question de la fiction : elle permet de rassembler des histoires, au sens d'événements et de personnages, qu'on a peut-être rencontrés, croisés. Cela permet aussi de créer une distance avec l'histoire personnelle de Ladj. C'est ce qui est le plus intéressant : retrouver dans la fiction des choses qui lui sont intimes.
Vous vous intéressez à la banlieue dans vos films et vous lui permettez à son tour de faire du cinéma avec votre école gratuite à Clichy-sous-Bois et Montfermeil.
Ladj Ly : J'en ai marre qu'on raconte nos histoires à notre place. Ça commence vraiment à me gaver donc il y a un moment où il faut prendre une caméra, un stylo pour écrire nos histoires, se former. D'où l'idée de créer cette école de cinéma. Ça faisait sens qu'elle soit là, sur ce territoire. On part du principe qu'il faut prendre la parole mais pour ça, il faut apprendre à s'exprimer, à réaliser, à écrire des scénarios, à monter, ... On va prendre des jeunes, qu'ils soient issus des quartiers ou pas, et on va les former. On va leur donner des clés pour qu'ils s'expriment à leur tour.
Il y a La Haine et 25 ans plus tard, il y a Les Misérables.
Giordano Gederlini : Ce que dit Ladj est très important. Il s'agit de se réapproprier ce qui est sien. Se réapproprier les quartiers pour que ce ne soit pas toujours raconter par des gens qui ne connaissent pas si bien ce milieu. Et surtout par des médias. Car Ladj ne supportait de voir à la télévision des choses qu'il ne vivait pas. Cette envie de se lancer dans le documentaire était très militante. Et cette démarche est désormais inscrite dans le film et c'est pour ça qu'il y a cette puissance incroyable.
On a beaucoup comparé le film à La Haine. Qu'en pensez-vous ?
Ladj Ly : Ça ne me dérange pas du tout, au contraire. La Haine a beaucoup inspiré Kourtrajmé, ça reste une référence du film de banlieue. Il s'agit de l'un des rares films où l'on se reconnaît. La comparaison ne me pose aucun problème. Mais c'est un film qui est différent, c'est une autre histoire, une autre époque. Il y a La Haine et 25 ans plus tard, il y a Les Misérables.