AlloCiné : Je pense que pour ceux qui n’ont pas vu Dark Crystal au cinéma, il est difficile de comprendre pourquoi il a tant marqué les esprits.
Louis Leterrier : Les années 80 étaient une période vraiment intéressante. Chaque semaine il y avait un film extraordinaire qui sortait au cinéma. Il y avait un souffle de créativité et d’inventivité : Star Wars ou les Goonies bien entendu, mais au milieu de tout ça il y avait Dark Crystal. Un film qui ne ressemblait à rien. Un film sans acteur, un monde complètement créé à partir de marionnettes… J’avais 10 ans, cela a totalement changé ma vie et m’a donné envie de faire du cinéma. Dark Crystal, c’est sans frontières. Quand on a de l’imagination, on peut créer tout un univers. Et je me suis dit que je pouvais le faire moi aussi.
Jim Henson et Frank Oz ont mis 6 ans un faire un film d'1h30. Vous avez tourné 10 épisodes, tout seul, ce qui est assez rare aujourd’hui. Combien de temps y avez-vous consacré ?
Quatre ans en tout. Un an d’écriture et de conception. On avait fait un petit court-métrage pour tester de nouvelles techniques. Un an de préparation, un an de tournage et un an de post-production. Jim Henson et Frank Oz ont eu 5 ans de préparation mais c’était complètement différent parce qu’ils avaient à créer un univers, alors que dans notre cas, on partait de quelque chose déjà existant. Certaines technologies n’existaient pas à leur époque, comme l’animatronique ou le retour vidéo. Tout cela a été inventé pour Dark Crystal.
Vous dites vouloir nous faire "oublier qu'on regarde des poupées". Comment on y parvient ?
C’est l’impression originale que j’ai eue en fait. Quand je suis allé voir le film à 10 ans, je sentais le marionnettiste derrière mais les personnages étaient tellement forts qu’on l’oublie. Je me suis imposé deux objectifs. Faire un maximum de réel tout d’abord, donc sans trucage numérique et je pense qu’on a réussi car plus de 90% de tout ce que vous voyez a été fait en direct. Ensuite, raconter une histoire, créer des personnages, d'explorer des thèmes dans des genres complètement différents. On peut pleurer, on peut rire, on peut avoir peur. Ça peut être haletant et excitant quand on fait des scènes d’action. Mais je ne voulais pas truquer et jouer avec d’autres systèmes. Il fallait que les personnages vivent l'action et que la technique s’efface pour que le spectateur soit tenu en haleine.
Est ce qu'on travaille avec des marionnettistes comme on travaille avec des acteurs ? Et est-ce qu'on filme des marionnettes comme si c'étaient de vraies personnes ?
C’est une bonne question. Absolument. Je travaille pour ma part de la même manière. J’ai toujours travaillé avec des acteurs, qu’ils soient "normaux "ou "numériques" comme Hulk. Je commence par le personnage, par le rapport humain, avec les techniciens ou les acteurs. On essaie ensemble de créer des moments de vérité. Pour les marionnettes, ça passe aussi par des personnes. Ils doivent comprendre et traduire à travers les poupées ce que je demande. Et la manière de filmer est similaire. C’est juste que c’est la moitié d’un acteur, il ne manque que les pieds (rires). Je cadre en fonction de ça. Mais je ne filme jamais vraiment les pieds dans mes autres films. Donc ce n’était pas très gênant.
Une marionnette reste quand même assez statique. Dans le making-of on vous voit beaucoup courir. C’est pour donner du rythme à la caméra et donc à l’histoire ?
Jusqu’à présent les marionnettistes étaient statiques, oui. Mais quand je suis arrivé sur le projet, j’ai tout changé. Je leur ai dit qu’on allait faire des cascades, qu’on allait sauter hors des châteaux, qu’ils allaient nager etc. Ils m’ont dit que c’était impossible mais on a fait en sorte que ce le soit. En tant que cadreur, j’ai aidé en créant du mouvement afin de dynamiser l’action. J’augmentais la distance parcourue par un personnage par exemple. Ce sont des petites astuces comme ça que j’ai apprises en tournant des scènes d’action au cinéma.
Jim Henson voulait faire quelque chose de sombre pour les enfants. Est-ce que vous avez cherché à garder cette noirceur ? Vous diriez que votre série s'adresse aussi à eux ?
C’est une série familiale, agréable à voir en famille parce qu’il y en a pour tout le monde. Il y a des thèmes un peu plus adultes, voire politiques. Oui ça fait peur, même plus que le film original. Mais ce n’est pas du gore. On a peur pour les personnages, qui sont vraiment en danger.
En discutant du projet avec la productrice Lisa Henson, quelles sont les choses qu'elle voulait ou ne voulait absolument pas voir dans la série ?
Elle ne voulait pas qu’on voie des Gelflings mourir, je l’ai fait. Elle ne voulait pas qu’on montre des marionnettes en train de s’embrasser, je l’ai fait (rires). On a longtemps dit que certaines choses ne fonctionnaient pas mais c’étaient des idées préconçues. Évidemment, c’était toujours un peu bizarre de voir deux poupées qui s’embrassent, avec leurs bouches déformées. Mais nos marionnettes s’approchent de plus en plus des humains. Le danger est réel, il fallait absolument que je montre des morts à l’écran. Je ne suis pas allé à l’encontre de ce qu’elle voulait mais je souhaitais lui montrer que c’était possible. Elle m’a totalement fait confiance.
3 bonnes raisons de regarder la série ?
C’est une série haletante qu’on peut voir en famille. On n’a jamais vu quelque chose comme ça. Si vous aimez les films d’aventure, d’heroic fantasy et rentrer dans un monde que vous ne connaissez pas, alors c’est une série qui est pour vous. Pour finir, on y a mis tellement d’amour, de passion et d’efforts… c’est l’œuvre d’une vie. Et pas seulement pour moi. Regardez le casting extraordinaire qu’on a : les gens nous appelaient pour nous dire que ce film avait changé leur vie, que ce soit Mark Hamill ou Taron Egerton. Tous les gens impliqués dans cette série ont donné le meilleur d’eux-même. J’espère que ça plaira, surtout en France où on a une vision différente des marionnettes. J'ai d'ailleurs rendu hommage à la France en ajoutant un petit spectacle de Guignols dans la série.