L'histoire : Pour son premier film, Vincent Delerm prolonge son travail ultrasensible sur l’intime, la mémoire et le rapport aux autres. Qu’est-ce qui nous construit ? Que ressentent les gens autour de nous ? Nos émotions et sensations n’appartiennent-elles qu’à nous ? Chaque personnage, célèbre ou anonyme, livre à Vincent Delerm quelque chose de lui, définissant sa sensibilité et sa manière de voir l’existence. Témoignages qui font sourire parfois, serrent le coeur souvent, conjuguent l’intime et l’universel. En filigrane, les propres émotions de l’auteur se dessinent le long d’un film musical, photographique, dont la narration est comme un fil invisible.
AlloCiné : Est-ce que ça vous surprend si l'on vous dit que ça ne nous surprend pas que vous fassiez un film !
Vincent Delerm, chanteur et réalisateur de Je ne sais pas si c'est tout le monde : Non ! C’est vrai que j’ai fait finalement assez tardivement un film. Mais dès les premiers concerts que je faisais, souvent les gens me disaient : « alors, pourquoi vous ne faites pas un film ? » Parce que, d’une part, il y avait des chansons qui parlaient de cinéma, et puis aussi, parce qu’assez vite, j’ai fait des spectacles qui étaient assez mis en scène, qui n’étaient pas construits comme des films, mais enfin j’utilisais la voix off, il y avait des choses un peu comme ça. Donc c’était un peu dans l’air. Peut être que c’est pour ça que ça ne me surprend pas !
Etiez-vous intimidé à l’idée de franchir ce pas ? Partant du principe, peut être, que vous aimez le regarder, mais pas forcément le faire…
Il y avait plusieurs choses, parce que c’est vrai que, d’une part, j’avais le sentiment que j’aimais bien mettre du cinéma dans mes chansons, dans mes spectacles, mais pour autant, ce n’est pas ça qui ferait de moi quelqu’un qui sait faire des films.
Quand j’étais étudiant, j’ai beaucoup travaillé sur Truffaut, je connaissais par cœur ses théories sur le cinéma, je me sentais très proche de lui sur la manière d’analyser les choses. Pourtant, je voyais bien que c’était autre chose et qu’il n’y avait pas de nécessité. En plus, ce sont des métiers qui sont des sortes de rêve à faire, soit d’être chanteur, soit de faire des films. Pour moi, on ne peut pas tout faire, surtout quand j’ai commencé.
J’ai eu la chance que mes premiers disques existent bien. Donc je me disais que je n’allais pas commencer à faire tout ce qu’on me propose, et tout ce qui paraît le mieux sur Terre, juste parce que j’ai eu la chance d’avoir un album qui a bien marché ! Donc dans un premier temps, je ne me suis pas vraiment posé cette question. Et puis, de toute façon, maintenant, je ne me dis pas : ça y est, je suis un réalisateur, et c’est mon destin de faire des grands films. C’est un projet qui est assez particulier. Evidemment qui se voit sur un écran, dans une salle de cinéma. Ce n’est pas une histoire bien écrite avec un scénario que j’ai défendu. Ce sont des rencontres que j’ai faites les unes après les autres et que j’ai mises ensemble, un peu comme on peut mettre ensemble justement des chansons dans un spectacle. Créer une sorte de mosaïque qui aboutit à un propos.
A une époque vous aviez tout de même envisagé de faire quelque chose plus proche d’une fiction avec un scénario… Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
En fait, c’est vrai qu’au début, j’ai voulu faire le bon élève, avoir mon petit script avec la page transparente en plastique, marqué « extérieur jour » et compagnie… Sur le fond des choses, je savais déjà que ce que je voulais mettre en scène, c’était des moments, des atmosphères qui vont durer trois ou quatre minutes, comme par hasard, car c’est le temps d’une chanson.
Mais il fallait relier ça par une narration, soit pour obtenir des subventions, soit pour se faire accepter par les gens qui décident ! Car dans la musique, finalement, il n’y a qu’une personne qui décide qu’elle vous fait faire un disque, une seule personne pour un spectacle… Si cette personne vous dit, je fais ton disque : c’est bon. On n'en parle plus jamais. Si la personne qui fait vos spectacles vous dit : "le 12 janvier, tu seras à Roubaix pour ta première"... Pareil, c’est acté. Le cinéma c’est plus compliqué. Ce sont beaucoup d’interlocuteurs. Donc il y avait ce truc de se dire : "voilà, si je veux faire ça, il faut peut être que je m’y prenne comme ça".
Je me suis vite rendu compte que de trouver une sorte de justification à ces choses séparées, en l’occurrence c’était l’histoire d’un garçon et d’une fille qui se rencontraient dans un musée, c’était un peu faux, parce que ce n’était pas ce dont j’avais envie vraiment. C’était une sorte de concession à un petit système. Je suis revenu en arrière. J’ai laissé le projet un temps, et j’y suis revenu d’une manière plus libre un peu plus tard.
Vous aviez également réalisé des clips par le passé. Est-ce que c’était très différent de passer de ce format court à un projet comme celui-là ?
En fait, sur la 2ème partie du film, qui ressemble davantage à ce que j’avais en tête au départ, c’était assez voisin de choses que j’avais pu faire avant. Même de projets photographiques, ou de certaines séquences qu’il y a pu y avoir dans des concerts, tout est devenu du coup comme si le sang réaffluait. Comme si c’était naturel. Donc finalement je n’ai pas trouvé ça si différent que ça.
Le film est émouvant car il donne à voir la dernière apparition de Jean rochefort. Est-ce lui qui vous a encouragé dans ce projet, tel une sorte de parrain ?
Oui. Jean, je crois qu’il disait ça à tous les gens qui ne faisaient pas de films ! Il faut que vous fassiez votre film. Dans mon cas, j’ai fait comme s’il ne l’avait dit qu’à moi. Mais c’est vrai qu’on a fait beaucoup de projets ensemble. Il est venu chanter dans des concerts. J’ai fait un projet pour enfant dont il était le narrateur. Il a joué dans un de mes clips en 2006. Pendant 10 ans, on était proche, et j’aimais bien passer du temps avec lui tout simplement. Et puis parler de certains films qu’il avait fait, qui étaient moins connus que d’autres, et du coup, il était content qu’on en parle.
Après, c’est particulier de parler de lui maintenant qu’il n’est plus là : évidemment, on peut faire tout dire aux gens qui ont disparu. Mais enfin, pour moi, ça comptait beaucoup effectivement quand j’ai commencé à faire ce film. Je lui ai dit : "ça y est, Jean, je fais enfin un film. Je sais que vous avez annoncé que vous arrêtiez de faire du cinéma, mais est-ce que vous voulez quand même faire une apparition ? Même juste passer dans le champ ?" Il m’a dit qu’il voudrait faire une dernière journée de tournage de sa vie. C’était précieux d’avoir ça évidemment. C’est quelque chose d’important pour moi.
Quand on a grandi avec le film Diabolo Menthe, il y a une présence dans votre film qui fait particulièrement plaisir, celle d'Eléonore Klarwein, héroïne du film de Daine Kurys. D'autant qu'elle s’est éloignée du monde du cinéma...
Oui, elle a fait quelques films après Diabolo Menthe. Elle était mannequin, et ensuite elle a dirigé une agence de mannequin. Elle s’est retranchée au fur et à mesure de la vie. Je la connaissais parce que j’avais parlé d’elle assez tôt dans des interviews, et elle était venue voir une fois un spectacle, mais je n’étais pas en contact avec elle. Une fois, j’ai participé à un festival de photos à Deauville, et je filmais aussi des choses, et ma caméra était sur pied, et dans mon dos, quelqu’un vient me taper sur l’épaule, et c’était Eléonore qui habitait à Deauville et qui était en train de promener son chien à un endroit complètement désert. Je lui ai demandé si elle ne voulait pas faire un passage au loin devant la caméra. Le film s’est construit régulièrement sur des hasards, des accidents… Ca fait un peu Lelouch de dire ça ! Mais enfin, ça compte beaucoup pour moi. J’aime bien cette idée là.
On sait que vous aimez Truffaut, que vous êtes cinéphile... Comment s'est-elle construite ? Avez-vous commencé à aller au cinéma très jeune ? Qu'aimez-vous au cinéma ?
C’est vrai que je me suis beaucoup construit avec une mythologie de… J’étais en province, de Paris, dans les années 70. J’aimais beaucoup ça, au-delà des réalisateurs et des acteurs, j’aimais beaucoup la musique de films. François de Roubaix… Toutes ces atmosphères là. C’est quelque chose qui continue de me faire beaucoup d’effet.
L’idée d’une caméra stylo, d’un cinéma vérité, de quelque chose de très proche de la vie, qui était celle de la Nouvelle vague. C’est une idée qui m’a toujours touché, le cinéma de Rohmer, que ça semble très vrai. Encore une fois, les relations entre les gens. On a l’impression, une fois que la caméra tourne que les gens parlent et ne se rendent même plus compte qu’ils sont filmés. Ca rejoint un peu ce qu’on disait sur l’intimité, le fait d’obtenir des choses très personnelles.
Après le cinéma de Bruno Podalydès, par exemple, est un cinéma que j’aime énormément. Après Guy, par exemple, d’Alex Lutz, c’est un film que j’ai trouvé incroyable. Je ne connaissais pas Alex Lutz tant que ça par ailleurs. C’est super aussi que de temps en temps, on fonctionne pas juste par ‘j’aime tout ce que fait ce réalisateur là, tout ce qu’il fait celui-là’. Les deux univers se sont imbriqués assez vite entre la chanson et le cinéma.
Un nouvel album et une tournée vont accompagner la sortie du film...
L’album n’est pas directement lié au film mais il y a quelques passerelles entre les deux. Je fonctionne un peu comme ça, que ce soit dans mes spectacles ou par rapport à mes albums : je ne fais pas un spectacle qui défend totalement le dernier album mais qui va essayer d’utiliser souvent des choses de la période. On n’échappe jamais trop à la période à laquelle on est. Dans le spectacle, il y a des choses en résonance avec le film. Dans le disque, il y a quand même 2-3 chansons où l’on sent que directement elles sont liées à des thématiques du film. Mais sinon c’est évidemment une chance pour moi de pouvoir de temps en temps faire des projets un peu ailleurs, différemment comme ce film, et de savoir quand même que ma base, ça reste de faire des chansons, des disques, des concerts, tout en essayant de me nourrir de ces autres expériences.
La bande-annonce de Je ne sais pas si c'est tout le monde :
Propos recueillis par Brigitte Baronnet au Festival du film francophone d'Angoulême / Cadre : Laetitia Ratane