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    Trois jours et une vie : "Le secret est un sujet de cinéma magnifique"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Nicolas Boukhrief adapte Pierre Lemaitre, avec "Trois jours et une vie", thriller implacable sur le poids du secret, ancré dans les Ardennes belges, et porté entre autres par Sandrine Bonnaire, Pablo Pauly et Charles Berling. Rencontre.

    AlloCiné : L'un des aspects les plus étonnants de Trois jours et une vie est que l'on se surprend à vouloir protéger un coupable... On a peur pour lui, peur qu'il soit découvert !

    Nicolas Boukhrief, réalisateur : C’est une des choses qui m’a vraiment séduite quand j’ai lu le scénario. C’était l’idée de ce personnage de coupable, pour lequel on allait avoir de l’empathie. Et qu’on allait se retrouver dans cette étrange sensation en tant que spectateur qui est d’être partie prenante de quelqu’un qui a fait un mauvais choix.

    Comme c’est un enfant, ça nous ramène forcément à notre propre enfance. C’est un parti pris de narration qu’ont fait Pierre Lemaitre et Perrine Margaine, sa coscénariste. J’ai trouvé ce parti pris formidable car c’est assez rare. Ca pose presque un problème de morale, et le cinéma sert à ça, interroger la morale. Donc se retrouver en empathie avec cet enfant qui a pris une mauvaise route, et qui est donc coupable de quelque chose, tout en souhaitant qu’il ne se fasse pas attraper… Je trouvais ça très singulier.

    Le cinéma sert à interroger la morale

    Dans Psychose d’Alfred Hitchcock, il y a un moment incroyable, où –je vais spoiler, donc il vaut mieux éviter de lire si vous ne l’avez pas vu. Norman Bates, le psychopathe du film, a fait une victime, la met dans le coffre de sa voiture, et pousse sa voiture dans un marécage. A un moment donné, la voiture qui est en train de couler s’arrête, et ne coule pas. Il y a un petit moment de suspension, où nous spectateurs on se dit ‘mon dieu, mais cette voiture, il faut qu’elle coule, sinon il va se faire attraper’. Qui va se faire attraper ? Un serial killer ! Hitchcock avait réussi pendant ce petit moment à créer un suspense et une émotion proche du coupable. Tout Trois jours et une vie m’a paru être comme ça. C’est à dire que c’est vraiment l’histoire d’un coupable aimable, et ça j’ai trouvé ça délicieux à travailler. 

    Bestimage

    Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Pierre Lemaitre justement, le co-scénariste du film et prix Goncourt avec Au-revoir là haut, son précédent livre à avoir été adapté au cinéma ? 

    Pierre Lemaitre m’a contacté en me disant : 'j’aime beaucoup ce que vous faites, j’aimerais vous confier le scénario que j’ai fait de mon propre roman'. Ce qui m’a évidemment beaucoup touché vu le talent du bonhomme. J’ai lu ce scénario que j’ai trouvé incroyable. J’ai trouvé que c’était une histoire passionnante. Je n’avais pas lu le roman. J’ai lu le roman juste après.

    Je me suis dit que je ne pouvais pas refuser un scénario pareil. Si je refuse ce scénario, il faut que j’arrête de lire les scénarios qu’on me propose ! Parce que jusque là, j’avais toujours tout refusé. Mais là si je ne fais pas cette histoire, qu’est ce que je voudrais faire comme scénario ?! Ca voudrait dire que je suis condamné à écrire tous mes films ! Donc une fois que j’avais accepté ce scénario, on a fait plusieurs réunions avec Perrine Margaine et Pierre Lemaitre, où je leur disais : 'j’adore ce scénario mais il y a cette séquence... ce personnage...'. J’ai donné quelques desiderata que je pouvais avoir pour m’approprier complètement le matériau, et à chaque fois je suis tombé sur des interlocuteurs très ouverts, créatifs, donc là a commencé une phase d’écriture, où on a adapté le scénario. Mais les grandes lignes de force étaient déjà quasiment toutes là.

    Je ne pouvais pas refuser un scénario pareil !

    Et puis à partir de là, je me suis dit : 'bon maintenant, je fais quoi ?' Je prends le scénario et on part en préparation tournage ? Mais ce n’est pas une histoire que j’ai inventé moi, c’est Pierre Lemaitre. Pourquoi je ne continuerais pas à collaborer avec eux le plus longtemps possible ? Je ne risque rien à collaborer plus longtemps. Donc il y a eu deux étapes supplémentaires qui ont été passionnantes, à partir du moment où on a trouvé le village dans les Ardennes belges où j’ai décidé de tourner le film : le village était tellement beau et proche de l’histoire. Comment adapter le scénario au décor ? Parce qu’on écrit un scénario idéal, et quand on découvre le décor, tout n’est pas situé comme on l’avait imaginé. On est allé passer une semaine dans ce village pour adapter le scénario à ce village.

    Nicolas Schul © 2019 MAHI FILMS – GAUMONT - FRANCE 3 CINEMA - GANAPATI - LA COMPANY – UMEDIA - NEXUS FACTORY

    Par exemple, il y a un train qui passe au milieu de la ville, c’est une chose qui n’était pas dans le scénario, mais qui était dans ce village, donc dans quelle scène peut on faire ça ? Qu’est ce qu’on peut modifier ? Enfin est arrivée l’étape du casting, et là de la même façon, je me suis dit, ce n’est pas mon histoire, ce serait quand même dommage que j’impose à Pierre Lemaitre des visages à ces personnages qui ne conviennent pas. Donc je lui ai dit : 'pourquoi on ne travaillerait pas sur le casting ensemble ?' En général, c’est un travail qu’on fait avec la production. Et là je me suis dit : pourquoi on ne serait pas trois ? La production, les auteurs et moi-meme ? Et donc je disais à Pierre : 'pour tel personnage, je pense à tel acteur'. '- Ah non, je ne le vois pas du tout comme ça'. '- Moi je pensais à lui'. '- Ah non je ne le vois pas comme ça'... Et donc on a commencé à trouver les noms où l’on se retrouve.

    Beaucoup de noms se sont imposés tout de suite, comme celui de Sandrine Bonnaire

    C’était le début d’un casting encore plus proche du public puisque ce n’est uniquement le fantasme ou la volonté d’un seul metteur ou d’une production qui prend un acteur parce qu’il est « bankable ». Là c’était vraiment la création d’un monde entre celui de l’auteur et celui du metteur en scène. Beaucoup de noms se sont imposés tout de suite, comme Sandrine Bonnaire. Premier nom, premier choix. Pablo Pauly, c’était la même chose. Mais je tenais à lui soumettre les visages pour ne pas faire injure à son imaginaire. 

    Et puis un jour, il m’a dit qu’il aimerait bien passer dans le film. Je lui ai dit que j’avais pensé à lui pour jouer le rôle du prêtre qui est un tout petit rôle. Il me dit : J’avais pensé au passage du procureur. Il était ravi et il s’est rendu compte que c’était un vrai rôle, une vraie scène, un vrai texte. Il m’a dit : 'si ça ne va pas, tu changes, tu changes !' '- Non, non, tu t’es engagé, tu le fais !' '- On va faire des essais quand même ?' '- Non, non je ne fais jamais d’essais avec aucun comédien, donc je ne ferai pas d’essais avec toi non plus. Je suis sûr que tu peux très bien le faire'.

    Nicolas Schul / 2019 MAHI FILMS – GAUMONT - FRANCE 3 CINEMA - GANAPATI - LA COMPANY – UMEDIA - NEXUS FACTORY

    Pierre Lemaitre m’a avoué après la scène qu’il a excellemment bien tourné et qui a quand même scotché pas mal d’acteurs qui étaient présents sur place, qu’il n’avait pas dormi de la nuit ! Etre acteur l’avait terriblement angoissé. Il a pris ça très au sérieux comme tout ce qu’il fait dans la vie. Et puis après, très naturellement, comme je le fais avec tous les scénaristes avec qui je travaille, je leur ai montré le montage, et nous voilà maintenant pas loin de la sortie et toujours aussi proches dans cette adaptation.  

    Savez-vous si, pour cette histoire, Pierre Lemaitre s’est inspiré de faits réels ?

    Je pense que Pierre travaille complètement par intuition. La base de l’histoire, c’était de travailler sur l’idée d’un coupable qui n’est jugé par personne. Que fait un coupable s’il n’est jamais attrapé et qu’il n’est pas jugé ? Qu’est-ce qu’il se passe ? Comment vivre avec un secret ? Je crois que c’était ça la première question de Pierre Lemaitre, et c’est vrai que du coup, en tant que metteur en scène, c’est un cadeau, parce que le secret est un sujet de cinéma magnifique. Faire un film sur un secret, ça vous créé l’ambiance. Pour des acteurs, travailler un rôle sur la base du secret, c’est forcément hyper intéressant. Ca créé tout de suite un background formidable aux personnages. 

    Faire un film sur un secret, ça vous créé l’ambiance

    La question du poids du secret est forte car elle peut renvoyer à plein d’autres choses. Plus largement, cela pose la question : comment vit-on lorsqu’on a quelque chose à cacher ?

    Alors ça s’est étonnant parce que je me suis tellement focalisé sur la façon d’adapter cette histoire, la raconter la mieux possible, que je ne me suis posé aucune question sur la résonance thématique du film auprès du public. Et ce qu’il y a de très surprenant, c’est que par exemple hier un spectacteur est venu me voir, en me disant : 'ce film m’a bouvelversé, parce qu’il m’a ramené à mon secret à moi : j’ai mis 15 ans à avouer mon homosexualité à mes parents'. Ce qui n’a strictement rien à voir avec ce film ! Mais le fait de filmer un enfant porteur d’un secret, c’est une chose que je n’imaginais pas ramenée à leur propre existence de vivre avec un secret. Bravo Pierre Lemaitre ! 

    Nicolas Schul / 2019 MAHI FILMS – GAUMONT - FRANCE 3 CINEMA - GANAPATI - LA COMPANY – UMEDIA - NEXUS FACTORY

    Un mot au sujet de l’aimbiance du film. On peut y voir un côté Twin Peaks à la française, notamment avec cette forêt…

    Ce n’était pas du tout une référence, mais c’est marrant parce que quelques personnes m’ont cité Twin Peaks. Mais je n’y ai pas du tout pensé, d’abord parce que j’ai trop d’admiration pour Lynch pour m’inspirer de lui. Et Twin Peaks est pour moi un film totalement ésotérique. Or, là, nous sommes beaucoup plus dans une ambiance à la Simenon. Beaucoup plus dans une ambiance de ce cinéma français des années 40 – 50. Une vraie tradition du cinéma français, du type Le Corbeau de Cluzot, des films d’Henri Decoin, de Duvivier… Des films très ancrés dans la province. Avec une communauté de caractère très puissante, très fort. Et cette communauté est bouleversée, fracassée, remise en question par un drame.

    C’est une vraie tendance du cinéma français, qui était très puissante. Par exemple, le cinéma de Chabrol. Le film Garde à vue de Claude Miller, c’est la même chose. Je me suis dit : quelle chance à mon tour de pouvoir honorer ce genre. C’est un genre qui s’est un peu perdu. Je le dis souvent mais c’est très marrant, parce que l’excellent Parasite, beaucoup de gens disent : on dirait du Chabrol. C’est formidable qu’on pense à Chabrol, et il se revendique de Chabrol. Mais ce serait dommage qu’en France, on ne continue pas à cultiver ce pan entier du cinéma français. 

    La bande-annonce de Trois jours et une vie à l'affiche ce mercredi :

    Propos recueillis au Festival du film francophone d'Angoulême 2019 

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