Attention, les paragraphes qui suivent contiennent des spoilers sur le film Midsommar actuellement à l'affiche. Si vous ne voulez rien savoir, ne lisez pas ce qui suit !
Qu'il fascine ou divise, une chose est sûre : le nouveau film du cinéaste Ari Aster semble ne laisser aucun de ses spectateurs indifférents. A l'issue du film, une petite phrase anodine a pu vous rester en tête : celle prononcée par Pelle (Vilhelm Blomgren), l'étudiant suédois qui a invité ses amis au sein de la communauté des Hårga, lorsqu'il tente d'apaiser Dani (Florence Pugh), ébranlée par le suicide d'un couple âgé à laquelle elle vient d'assister. Une scène doublement traumatique pour elle, puisqu'elle vient réveiller en écho la douleur de la perte brutale de ses parents et de sa soeur quelques mois plus tôt. Pelle, bien plus attentionné avec elle que ne l'est son petit ami Christian (Jack Reynor), tente de la réconforter et fait preuve d'empathie en lui révélant que ses propres parents sont morts dans un incendie : "je suis techniquement devenu orphelin." Mais, déclare-t-il, cette communauté est par la suite devenue sa famille et lui a permi d'outrepasser ce drame. Devant une Dani rongée par l'idée que Christian, sa seule attache restante après la mort de sa famille, l'abandonne à son tour, Pelle souligne l'importance de l'appartenance à un groupe et le fait de se sentir épaulé(e). Malgré la succession d'événements troublants qui s'ensuivent, Dani s'intègre ainsi de mieux en mieux aux Hårga, et atteint un point culminant lorsqu'elle remporte l'épreuve de la danse et est élue Reine de Mai, créant un lien avec les autres femmes du groupe qui pleurent à l'unisson avec elle lorsqu'elle surprend Christian en plein coït de fertilité avec l'une des membres, conclusion ultime de sa négligence envers elle.
Coïncidence ou tradition morbide ?
Mais revenons aux propos de Pelle. Selon lui, ses parents seraient morts dans un incendie alors qu'il était enfant et, devenu orphelin, aurait été élevé collectivement par les Hårga - de la même façon que le nourrisson que Dani entend pleurer chaque nuit dans le dortoir est nourri et bercé par plusieurs femmes du groupe, sans avoir de mère clairement identifiée. Justement, le rituel final du Midsommar implique le sacrifice de neuf individus par le feu, qu'ils aient été ramenés de l'extérieur à l'instar de Christian et sa bande, ou choisis au hasard parmi les membres de la communauté, à moins que certains ne se portent eux-mêmes volontaires. Dès lors, on peut s'interroger sur le véritable sort des parents de Pelle : l'incendie qu'il mentionne est-il vraiment un accident, ou bien renverrait-il au même type de sacrifice du temple dans lequel Christian et deux membres des Hårga finissent brûlés vifs, aux côtés des corps des six personnes qui ont péri lors des festivités ? Ses parents sont-ils morts en se portant volontaires, ou bien étaient-ils également des visiteurs extérieurs attirés dans la communauté pour servir d'offrande sacrificielle lors d'un précédent Midsommar ? Cela expliquerait pourquoi Pelle a intégré cette pratique comme une simple tradition à laquelle les siens doivent aussi se soumettre, et la raison pour laquelle il prête autant attention à Dani...
Un besoin d'appartenance
L'endoctrinement et le repli sur leurs traditions, qui justifient la déshumanisation des Hårga, n'est pas dépeinte de façon menaçante mais faussement idyllique, au point que l'héroïne, seule et désespérée, finisse par s'y sentir parmi les siens malgré les atrocités commises. Un processus d'endoctrinement pratiqué par les sectes, dont le schéma consiste à approcher les personnes les plus fragiles et isolées psychologiquement, et donc plus facilement influençables, pour les faire rejoindre leurs rangs. Pelle comme Dani, livrés à eux-mêmes après la perte brutale de leur famille, ont ainsi pu être recueillis dans un même moment de désespoir. Devenu adulte au sein du groupe, Pelle reproduit volontairement ce processus en sacrifiant ses camarades et en intronisant Dani, qu'il a très tôt cernée comme une bonne candidate potentielle à laquelle il s'identifie, et pour laquelle il fait preuve d'une affection redoublée (en lui offrant son portrait en cadeau le jour de son anniversaire et en l'embrassant à l'issue de son couronnement.)
Cependant, il est expliqué à Dani et aux autres visiteurs que le rite en question a seulement lieu une fois tous les 90 ans, ce qui rendrait la théorie sur la mort des parents de Pelle impossible. Mais d'une part, on remarque que les photos des précédentes reines de Mai accrochées sur un pan des murs du dortoir des villageois sont nombreuses et paraissent bien récentes pour certaines, tandis que les célébrations cycliques du Midsommar semblent se dérouler tous les ans; d'autre part, les cycles de vie des Hårga décrits par Pelle, au nombre de quatre, s'achèvent avec celui dit du "mentor", allant de 53 à 72 ans. Une fois atteint l'âge de 72 ans, les membres de la communauté doivent accepter leur finitude en se soumettant volontairement à un rite de suicide, celui auquel assistent impuissants Dani, Christian et ses amis. Or si ce rituel n'a lieu que tous les 90 ans au sein de la communauté, cela signifie que bon nombre de ses membres âgés auraient le temps d'y mourir de façon naturelle bien avant... Le chiffre 9 revêt une importance essentielle parmi la symbolique employée par les Hårga : neuf personnes sont ainsi sacrifiées lors du rituel du temple, incluant les deux personnes âgées. Mais ce nombre d'années pourrait-il avoir été volontairement exagéré aux yeux des invités pour endormir leur confiance, en minimisant l'importance du nombre de morts qu'il entraîne ? En effet, la plupart des villageois semblent très coutumiers du rituel, y compris les enfants, et Siv, l'une des femmes du village âgée d'une cinquantaine d'années, tente de rassurer Dani en lui expliquant que cette tradition ancestrale est un honneur pour les Hårga, et qu'elle-même sera ravie de s'y soumettre lorsqu'elle aura atteint la fin de son cycle de vie... Bien avant les prochaines 90 années donc.
Quoi qu'il en soit, le film laisse de nombreuses portes ouvertes aux interprétations, et explore une multitude de symboles issus du folklore scandinave à cet effet. Au bout du compte, cette communauté soudée vivant en osmose avec les siens, son environnement et la notion même de mort, n'est-elle pas plus saine que la vie menée par ceux qui viennent l'observer avec condescendance et fétichisent leurs traditions au nom de la recherche ? Ainsi nous questionne le film à travers le regard de Dani, incapable de refuser cet élan d'amour et de soutien dans un moment aussi douloureux de son existence, qui coïncide avec celui de son émancipation (familiale et amoureuse). Toute la mécanique du film d'Ari Aster repose sur le basculement psychologique progressif de l'héroïne, qui finit par renoncer au bon sens et à la raison pour trouver le sentiment d'appartenance qui lui manquait. Une issue bien plus terrifiante que n'importe quel film d'horreur à jumpscares, et qui n'est pas sans rappeler la funeste scène finale d'Hérédité, le premier long-métrage du réalisateur.
spoiler: Brisé dans tous les sens du terme, le jeune Peter y finissait possédé par un démon, et se voyait intrônisé comme le nouveau Roi d'un culte de sorcellerie malveillant...