Il existe des séries dont les qualités ne sautent pas immédiatement aux yeux mais infusent tout au long de sa découverte. Quand elle commence, Major Crimes n’est pas une débutante mais la suite de The Closer. Sept saisons d’introduction, c’est confortable. Pourtant, les premiers épisodes souffrent de l’effet « perte du personnage principal » et pose l’éternelle question : une série peut-elle survivre sans son héros ?
Peut-être que certains fans de The Closer ont déserté devant Major Crimes. Sans la fantasque Brenda Leigh Johnson (Kyra Sedgwick), le ton a forcément un peu changé. Malgré (ou grâce) à la disparition de sa figure principale, la série a gagné en équilibre. La détective Sharon Raydor (vue dans les deux dernières saisons de The Closer) est un personnage plus posé, plus effacé également mais à l’intelligence et aux intuitions tout aussi affûtées. Ainsi, c’est tous les autres personnages qui prennent du galon et Major Crimes, de devenir une vraie série chorale.
Qu’est ce qui distingue Major Crimes de l’offre générale ?
Rares sont les propositions policières à offrir une vision aussi authentique du fonctionnement judiciaire américain. C’est à dire que les règles sont là pour être respectées, au risque sinon, de voir l’affaire s’effondrer au tribunal. Cela donne un côté un peu austère et guère sexy mais s’y révèle l’aspect besogneux du travail d’enquêteur et celui retors d’une justice qui nécessite parfois de laisser sa morale au vestiaire pour qu’elle soit rendue. On aperçoit les rouages complexes du système américain, tout en questionnant la société à travers des affaires qui placent des enjeux politiques, sociaux ou éthiques.
Major Crimes va à rebours de nombreuses séries policières, héritières malgré elles de l’hégémonie des Experts sur la production internationale. Comprendre que les test ADN, c’est comme les antibiotiques, ce n’est pas automatique : ils coûtent chers (The Closer comme elle, ont rappelé combien les budgets alloués à la police étaient de plus en plus minces) et les résultats mettent beaucoup de temps à parvenir. Les tests en six minutes chrono, cela n’existe pas ! Major Crimes revient aux techniques plus traditionnelles : l’autopsie, les examens balistiques et les interrogatoires. Très souvent dans les enquêtes, le maillon faible, c’est encore l’être humain. Oui, il peut mentir mais il reste perfectible. Cela montre non seulement l’application des auteurs à se montrer fidèles à la réalité (sans pour autant en être prisonnier) mais rappelle qu’être enquêteur est un métier parfois ingrat, voire un sacerdoce. Finalement, avec cette lecture peu glamour, ce ton austère et scolaire et sa vision de la société américaine, Major Crimes se mesure aisément à Sur Écoute, la série de David Simon, dont la réputation la place souvent en tête des plus grandes « séries de tous les temps ».
Une série profondément humaine
Si Major Crimes n’est pas le plus chaleureux des programmes, la série n’évacue pas pour autant l’humain de l’équation. Au contraire, elle se montre délicate, attentionnée, piquante ou plus simplement drôle. Elle finit par tisser des liens puissants entre les personnages et les spectateurs, jusqu’à créer une sorte de famille professionnelle. Le spin-off de The Closer brille souvent par son intelligence mais c’est bien sur l’empathie qu’elle mise quand il s’agit d’entraîner son public à revenir semaine après semaine. C’est une vraie série à l’ancienne : elle se regarde (et s’apprécie) selon un rythme hebdomadaire ; elle se construit sur la longueur et établit une relation durable avec son public.
L’intégration d’un fil rouge (peut-être l’unique point qui rattache la série aux formula shows contemporains) ne joue pas la carte du mystère à résoudre (façon Red John dans The Mentalist) mais sert à illustrer la lente reconstruction d’un adolescent : témoins de l’affaire Philip Stroh (le « grand méchant » de The Closer), abandonné par sa mère, devant se prostituer pour survivre, ce banni de la société va petit à petit remonter la pente. Le voir grandir au milieu de la brigade des crimes prioritaires , éclore au contact de Sharon Raydor, s’affirmer professionnellement et sentimentalement, est probablement l’une des plus belles récompenses pour les spectateurs assidus. Son portrait est magnifique, son évolution tout aussi belle parce qu’elle a bénéficié de place et de temps, des facteurs de plus en plus rares aujourd’hui, où les séries se consomment vites et les saisons durent peu.
Major Crimes est peut-être une oeuvre anachronique. Elle est née à une époque où la production n’était pas aussi importante, où Netflix n’était pas encore une habitude de consommation. Et elle s’est éteinte (après 7 saisons) au moment où le paysage sériel est saturé. Sa seule faute peut-être est de ne pas avoir fait assez de bruit pendant qu’elle était diffusée.
La suite de la saison 5 (épisode 7) est diffusée sur France 2 à partir du lundi 1er juillet.