AlloCiné : Avant Nevada, vous avez réalisé un court métrage sur le même sujet, Rabbit. Comment en êtes-vous arrivé au long métrage ?
Laure de Clermont-Tonnerre : J'ai lu par hasard, ici en France, un article sur la thérapie animale en prison. A Strasbourg, une thérapeute confie des petits animaux – lapins, souris, chinchilla, oiseaux –, à des prisonniers. Je trouvais cela très intriguant et drôle donc je voulais en savoir plus et je suis allée l'observer pendant une journée. J'ai été bouleversée par la manière dont ces hommes s'ouvraient, apaisés par leurs animaux, trouvaient un sens à leur routine en s'occupant d'un animal. C'est quelque chose qui les réconciliait avec eux-mêmes. J'aimais bien le contraste entre cette relation poétique, tendre et pure dans un endroit aussi agressif, violent et dur que la prison.
C'est cette expérience qui m'a inspiré Rabbit, que j'ai tourné dans la prison de Rikers Island à New York, avec une femme et un lapin. Je n'en avais pas fini avec ce sujet, il me passionnait, donc je continuais à chercher et j'ai trouvé cette prison dans le Nevada avec les chevaux sauvages et je me suis dit : « Ça, c'est le long métrage. » Je suis partie là-bas et j'ai fait des années de recherche pour approfondir le scénario, les personnages, nourrir d'authenticité cette histoire et m'imprégner du sujet, de la prison et de toutes les étapes de dressage.
C'est ambitieux, comme sujet, pour un premier long !
C'est vrai qu'il faut être un peu inconscient quand on s'attaque à un sujet comme ça. Je voyais quand même un peu le challenge, mais je n'avais pas idée de ce parcours de cinq ans qui allait suivre, de tous ces obstacles. Il ne faut pas y penser, il faut foncer et être un peu fou.
Comment fait-on pour faire produire un premier film sur un sujet difficile comme celui-ci ?
Ce qui m'a beaucoup aidée, c'est Sundance. Mon court métrage y avait été sélectionné en 2015 et la première version de Nevada avait été choisie pour participer aux laboratoires de l'Institut de Sundance [qui permet d'offrir à des jeunes cinéastes un environnement artistique à l'abri des studios] la même année, et ça m'a permis de trouver une famille créative et de rencontrer Robert Redford, une rencontre assez exceptionnelle qui a été déterminante pour le film. Il a très vite voulu accompagner le film, le parrainer, car le sujet était proche de ses convictions, de ses valeurs. Il connaissait bien les chevaux, il avait adopté des mustangs en prison et il se bat pour la préservation des chevaux sauvages, donc c'était important pour lui. Sundance, c'est une sorte de cocon qui vous protège des studios hollywoodiens, qui permet de rencontrer les bonnes personnes, d'éviter les pressions et de respecter sa voix de jeune réalisateur ou réalisatrice. Surtout, je voulais tourner dans le Nevada, c'était primordial pour moi de respecter l'endroit auquel je m'étais attaché pendant mes recherches.
Du point de vue du genre, c'est un film qui se situe à la frontière entre le western et le film de prison...
Cette prison était nichée dans une vallée désertique, rocailleuse, avec ces couleurs très western et une belle lumière rasante. Si cette prison avait été dans l'Arkansas, je perdais complètement mon western. Dès le début, c'était pensé comme un film de prison, mais le western, c'est un genre qui s'est vraiment superposé après, grâce au lieu. Ce n'était pas prémédité. Et ça m'a permis d'ailleurs d'utiliser les codes du western, l'alternance des plans larges, des plans serrés, les espaces clos, le contraste vertigineux entre l'intérieur et l'extérieur. Je me suis amusée avec le genre. En revanche, je n'ai pas voulu prendre le format du western, j'ai voulu un format 1:66, beaucoup plus claustrophobique, plus cubique, plus adapté pour l'enfermement.
Robert Redford a très vite voulu accompagner le film. (...) Il connaissait bien les chevaux, il avait adopté des mustangs en prison, donc c'était important pour lui.
Comment s'est le tournage en prison ? Avez-vous tourné avec de vrais prisonniers ?
La prison de mes recherches, c'est la prison du Nevada de Carson City. Elle a une prison jumelle, qui est abandonnée, mais qui bénéficie vraiment de la même nature autour. C'était parfait pour nous, c'était comme un mini-studio : on a pu reconstituer la ferme, y mettre des chevaux et tourner pendant vingt-trois jours – un planning assez serré. On a fait quelques prises de vue dans la vraie prison, mais c'est tout. Je ne pouvais pas du tout tourner avec des détenus, mais j'avais rencontré des détenus quand ils étaient encore incarcérés, grâce au programme des chevaux. J'avais pris leurs noms, je les avais suivis sur Facebook et quand ils sont sortis de prison, j'ai pu les contacter pour leur proposer d'être dans le film. Trois ont accepté. J'avais envie de ce mélange d'hommes entre cascadeurs, cow-boys, anciens détenus, acteurs professionnels… C'était un écosystème masculin très intéressant.
Comment s'est passée l'expérience entre Matthias et les chevaux ?
Matthias ne montait pas à cheval, il connaissait mal les chevaux, ce qui était bien car le personnage n'est pas censé connaître les chevaux, mais pour des raisons de sécurité, on avait plutôt intérêt à ce qu'il sache bien monter à cheval et lui voulait bien sûr apprendre, donc on a eu plusieurs semaines d'entraînement où il a pu monter son cheval, qui est la version du cheval entraînée, puisqu'il y a trois chevaux au total qui représentent Marquis. C'était un vrai challenge car même s'il est très sportif et très physique, monter à cheval c'est très inconfortable, on se découvre des muscles, ça peut être très douloureux.
Vous montez à cheval vous-même ?
Oui, bien sûr, je suis cavalière. Et avec ma productrice américaine, on a adopté le cheval du film. Elle voulait l'adopter et m'installais à ce moment-là à Los Angeles, donc on l'a fait ensemble.
Étant une femme, de quelle manière pensez-vous apporter un regard spécifique sur ce sujet ?
Je pense que cela me permet de porter un regard tendre et sans jugement. Non pas que les hommes ne soient pas tendres, mais en ayant passé autant de temps en prison, je me suis habituée à un univers très viril, très masculin, et j'ai senti, en y allant régulièrement, je récoltais des témoignages très touchants, avec des hommes qui dévoilaient leurs émotions et leur vulnérabilité, ce qui n'aurait peut-être pas été le cas si j'avais été un homme moi-même. L'échange était plus à nu et je crois que cette confiance était nouée parce que j'avais ce regard féminin. J'ai gardé cela en moi et pendant le tournage, même si je tenais à ce que dans l'équipe il y ait beaucoup de femmes, c'était assez masculin et j'ai gardé cette aisance. Avec Matthias, on a un rapport très familier, c'est comme un cousin, on a un rapport très simple. Et avec Bruce Dern, qui est quand même un acteur légendaire, c'était très facile aussi. Il est très touchant, il racontait beaucoup d'histoires et mettait une ambiance très joyeuse sur le plateau. En tout cas, contrairement à d'autres tournages – comme celui de la série The Act, par exemple – je n'ai jamais senti le patriarcat sur Nevada.
Avez-vous déjà un nouveau projet de film ?
Oui, je suis en développement de mon deuxième film, qui s'appelle Indépendance. Et j'ai adoré participer à The Act, donc ce serait un plaisir d'avoir d'autres expériences à la télévision.
La bande-annonce de Nevada :