BONG JOON-HO, PREMIER DE CORÉE
Ça aurait pu être Park Chan-wook en 2004. Mais Quentin Tarantino avait dû céder face à son jury et ne décerner à Old Boy "que" le Grand Prix. Quinze ans plus tard, la Corée du Sud décroche, enfin, sa première Palme d'Or, au nez et à la barbe du réalisateur de Pulp Fiction, reparti bredouille : Parasite a en effet remporté le trophée suprême de cette 72ème édition du Festival de Cannes, qui lui a été remis par Catherine Deneuve et le président Alejandro Gonzalez Inarritu. Et c'est une belle revanche pour son réalisateur Bong Joon-ho, dont la première participation à la Compétition, en 2017, avait surtout été marquée par la polémique entourant la présence de Netflix et l'absence de sortie dans les salles françaises d'Okja, dont la plateforme était productrice et diffuseuse.
Avec son septième long métrage, le cinéaste marque l'Histoire, de son pays et du Festival, et bon nombre sont ceux qui ont poussé un "ouf" de soulagement en entendant Alejandro Gonzalez Inarritu prononcer son nom. Et notamment du côté de la presse qui en avait fait son chouchou (avec notamment Douleur et Gloire de Pedro Almodovar), qui ne tarissait pas d'éloges sur cette "satire politique sociale imparable" (Première), imprévisible, jouissive et dont "la fin d'une noirceur absolue n'a pas fini de nous hanter" (Paris Match). Et sa proximité thématique avec le japonais Une affaire de famille, vainqueur l'an dernier, que soulignait The Hollywood Reporter, n'a finalement pas joué en sa défaveur, et il triomphe au sein d'une sélection dont beaucoup ont salué la qualité globale, ce qui rend sa Palme d'autant plus belle.
Autre bonne nouvelle : il ne vous faudra pas patienter très longtemps avant de découvrir cette Palme d'Or 2019. Alors que les lauréats sortent la plupart du temps au deuxième semestre (entre fin août et décembre), Parasite sera dans les salles hexagonales le 5 juin... et visible dès ce mardi 28 mai, avec une série d'avants-premières qui tombent décidément bien.
DEUX FRANÇAIS SUR QUATRE
Ils étaient quatre sur la ligne de départ, mais seuls deux candidats français se sont placés au palmarès : présenté en début de Compétition, dont il a été l'un des chocs, Les Misérables s'est adjugé le Prix du Jury, ex-aequo avec le brésilien Bacurau de Kleber Mendonça Filho & Juliano Dornelles, autre film politique projeté pendant les premiers jours. Trophée qui a d'ailleurs été remis par le très engagé Michael Moore. Comparé à La Haine de Mathieu Kassovitz, lui aussi récompensé sur la Croisette (Prix de la Mise en Scène en 1995), l'opus de Ladj Ly n'a pas encore de date de sortie, mais nul doute que ce trophée, conjugué à l'exposition qui lui a été offerte dans le sud de la France, devraient accélérer les choses. Et le cinéaste a profité de sa présence sur scène pour saluer "tous les misérables de France", aussi bien du côté des policiers que du peuple, en référence aux événements qui secouent la France depuis plusieurs mois maintenant.
Autre lauréat tricolore : Céline Sciamma, Prix du Meilleur Scénario pour Portrait de la Jeune Fille en Feu... que bon nombre de personnes attendaient ailleurs. Pour un double Prix d'Interprétation, remis à Adèle Haenel et Noémie Merlant. Un Grand Prix, voire une Palme, la première remise à une femme depuis Jane Campion en 1993. Car c'était, avec Douleur et Gloire et Parasite, l'un des films ayant le plus fait chavirer la Croisette, beaucoup louant sa mise en scène et ses actrices. Mais c'est "seulement" pour son écriture que la réalisatrice a été sacrée, symbole d'une étrange cérémonie de clôture.
DÉJOUER LES PRONOSTICS
Ont-ils voulu surprendre ? Aller à l'encontre des pronostics ? À l'image des discours dont n'est ressorti aucune mention de l'attentat survenu à Lyon ce vendredi 24 mai, donnant un peu plus l'impression d'un festival coupé du reste du monde, le jury d'Alejandro Gonzalez Inarritu a d'abord semblé aux antipodes des goûts du public et de la presse : un Prix du Scénario pour un film de mise en scène (Portrait de la Jeune Fille en Feu) ; le Prix de la Mise en Scène aux frères Dardenne, qui complètent leur collection de trophées cannois (et reviennent au palmarès après en avoir été absent avec Deux jours, une nuit et La Fille inconnue), alors que celle du Jeune Ahmed brille par sa sobriété ; un Prix du Jury partagé par deux films politiques (Les Misérables et Bacurau) assez forts pour chacun le mériter seul ; et un Prix d'Interprétation Féminine décerné à la comédienne de l'un des films ayant le plus divisé de la quinzaine (Little Joe).
Le tout pendant qu'Elia Suleiman reçevait une mention spéciale inattendue pour It Must Be Heaven, et que Ken Loach, Terrence Malick et Quentin Tarantino repartaient les mains dans les poches avec les pourtant très appréciés Sorry We Missed You, Une vie cachée et Once Upon a Time... In Hollywood, qui s'est néanmoins consolé avec la Palm Dog. En déjouant ainsi les pronostics, le jury a rappelé que ses goûts et ceux des autres festivaliers, presse comme spectateurs, ne se rejoignent pas toujours au palmarès. Encore plus pendant une année comme celle-ci, où le haut niveau de la Compétition ne pouvait que mener vers des choix radicaux, le président ayant rappelé "la difficulté de donner si peu de récompenses à des gens qui méritent tellement". Avec, quand même, deux beaux symboles à la clé.
BELLES HISTOIRES CANNOISES
Peu de temps après le sacre de La Distance entre le ciel et nous, premier court métrage grec à remporter la Palme dans sa catégorie, ou la Caméra d'Or remise à Nuestras Madres (déjà lauréat du Prix SACD à la Semaine de la Critique), film sur le génocide guatémaltèque, Antonio Banderas est monté sur scène pour recevoir l'un des rares trophées majeurs de sa carrière : le Prix d'Interprétation Masculine pour Douleur et Gloire de Pedro Almodovar. Qui n'aura donc pas la Palme cette année, malgré un très bel opus qui est aussi son plus personnel, dans la mesure où il se livre à l'exercice de l'autofiction et avoue des choses qu'il n'a jamais dites (à sa mère, un ancien amant, des acteurs) à travers un alter ego cinéaste au cheveux gris et en brosse.
Même si l'on peut regretter que Douleur et Gloire n'ait pas été plus haut dans le palmarès, c'est aussi Pedro Almodovar qui est récompensé via ce prix remis à Antonio Banderas, treize ans après celui de Penélope Cruz, son autre muse, pour Volver. Comme il l'a rappelé pendant son discours, c'est bien son metteur en scène qu'incarne celui qui tournait pour la huitième fois sous sa direction dans le film sorti le 17 mai, ce qui rend l'image presqu'aussi belle qu'une Palme.
Autre symbole marquant : Mati Diop. Première femme noire à présenter un film en Compétition, la cinéaste nous avait offert un beau moment d'émotion avec Atlantique, tant pendant la montée des marches qu'à la fin de la projection, lorsque les applaudissements ont fait couler les larmes l'une de ses actrices. Et la belle histoire s'est poursuivie pendant la cérémonie de clôture, où son premier long métrage a remporté le Grand Prix. Là encore, à la surprise quasi-générale de ceux qui l'imaginaient plutôt lauréate d'un Prix du Jury ou de la Mise en Scène en la voyant sur le tapis rouge ce samedi 25 mai. Mais il était dit que le parcours cannois de la réalisatrice serait beau jusqu'au bout.
Complément du court documentaire Atlantiques, qu'elle avait réalisé en 2009, Atlantique va donc bénéficier du coup de projecteur offert par le Grand Prix, traditionnellement remis au film de la Compétition ayant manifesté le plus d'originalité ou d'esprit de recherche. Malgré ses défauts de rythme, l'opus de Mati Diop s'inscrit totalement dans cette idée, assaisonnant la dure réalité du quotidien des habitants de Dakar avec des éléments de fantastique, et en adoptant le point de vue d'une femme dont l'amant a pris la mer pour rallier l'Europe, au péril de sa vie.
Attendu le 2 octobre dans nos salles, Atlantique se place autant dans la lignée des Misérables (autre marqueur de l'évolution de la société métissée) qu'il fait écho à Bacurau et surtout la Palme 2019, Parasite, dans sa façon de mêler le genre à l'observation sociale. Des opus qui illustrent bien la façon dont la politique s'est invitée dans le palmarès de cette 72ème édition, un peu surprenant (et parfois décevant) au regard des forces en présence, mais qui n'a pas manqué de marquer l'Histoire à plus d'une reprise.
FESTIVAL DE CANNES 2019 : LE PALMARÈS COMPLET
Palme d'Or : Parasite de Bong Joon-Ho
Grand Prix : Atlantique de Mati Diop
Prix de la mise en scène : Jean-Pierre & Luc Dardenne pour Le Jeune Ahmed
Prix d'interprétation féminine : Emily Beecham pour Little Joe
Prix d'interprétation masculine : Antonio Banderas pour Douleur et Gloire
Prix du Scénario : Céline Sciamma pour Portrait de la jeune fille en feu
Prix du Jury ex-aequo : Les Misérables de Ladj Ly & Bacurau de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles
Mention spéciale : It Must Be Heaven d'Elia Suleiman
Caméra d'Or : Nuestras Madres de Cesar Diaz
Palme d'Or du court métrage : La Distance entre le ciel et nous de Vasilis Kekatos
Mention Spéciale - Court Métrage : Monstre Dieu d'Agustina San Martin
Palme d'Or d'honneur : Alain Delon
- Prix Un Certain Regard : La Vie invisible d'Euridice Gusmao de Karim Aïnouz
- Un Certain Regard - Prix du Jury : Viendra le feu de Oliver Laxe
- Un Certain Regard - Prix d’interprétation : Chiara Mastroianni pour Chambre 212
- Un Certain Regard - Prix de la mise en scène : Kantemir Balagov pour Une grande fille
- Un Certain Regard - Prix spécial du jury : Liberté de Albert Serra
- Un Certain Regard - Coup de coeur du Jury : La Femme de mon frère de Monia Chokri & The Climb de Michael Angelo Covino (ex aequo)
- Un Certain Regard - Mention spéciale du Jury : Jeanne de Bruno Dumont
- Semaine de la Critique - Grand Prix : J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin
- Semaine de la Critique - Prix SACD : Nuestras Madres de César Díaz
- Semaine de la Critique - Prix du court métrage : Sans mauvaise intention de Andrias Høgenni
- Semaine de la Critique - Prix découverte du court métrage : She runs de Qiu Yang
- Semaine de la Critique - Prix de la Fondation Gan à la Diffusion : Vivarium de Lorcan Finnegan
- Semaine de la Critique - Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation : A White, White Day de Hlynur Pálmason
- Quinzaine des Réalisateurs - Prix SACD : Une fille facile de Rebecca Zlotowski
- Quinzaine des Réalisateurs - Label Europa Cinema : Alice et le Maire de Nicolas Pariser
- Quinzaine des Réalisateurs - - Prix Illy du court métrage : Stay Awake, Be ready de Pham Thien An
- Oeil d'Or du Meileur documentaire : For Sama de Waad al-Kateab et Edward Watts & La Cordillera de los sueños de Patricio Guzman (ex aequo)
- Prix des cinémas Art et Essai : Parasite de Bong Joon Ho
- Prix des cinémas Art et Essai - Mention : Les Misérables de Ladj Ly
- Cannes Soundtrack 2019 : Alberto Iglesias pour Douleur et Gloire
- Prix CST de l'Artiste Technicien : Flora Volpelière et Julien Poupard pour Les Misérables
- Prix Oecuménique : Une vie cachée de Terrence Malick
- Prix François Chalais : Une vie cachée de Terrence Malick
- Prix Fipresci - Compétition : It Must Be Heaven de Elia Suleiman
- Prix Fipresci - Un Certain Regard : Une grande fille de Kantemir Balagov
- Prix de la Citoyenneté : Les Misérables de Ladj Ly
- Prix du Cinéma Positif : Les Misérables de Ladj Ly
- Prix de la Meilleure création sonore : Viendra le feu de Oliver Laxe
- Queer Palm : Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma
- Palm Dog : Mandy, le chien de Once Upon A Time... In Hollywood
Notre podcast débrief du palmarès de Cannes 2019