AlloCiné : Pourquoi vous intéressez-vous aux avocats ? Quelle est la genèse de A coeur d'avocats ?
Mika Gianotti : Après une vingtaine d’années passée à filmer des magistrats dans leur recherche d’impartialité, j’ai vu de nombreux pénalistes pendant leurs plaidoiries dans les audiences, sérieux, concentrés, impénétrables. La curiosité m’est venue récemment d’aller “voir sous la robe noire” de quoi ils étaient faits... et là ! Surprise, énorme surprise, de découvrir des professionnels si différents des magistrats. Pendant un long repérage, j’ai découvert des profils “doubles”, à la fois profonds, convaincus de leurs devoirs de Défense d’autres hommes, et en même temps exubérants et totalement dépourvus de tabous !
On devine que vous avez tourné des dizaines d'heures de rushes. De quel matériau disposiez-vous lorsque vous avez entamé le montage ?
Je n’ai pas pu tourner tant d’heures de rushs, car dans cette dernière années de vie du Tribunal de Grande Instance, il était devenu TRES difficile d’obtenir des autorisation de tourner, dans l’actualité sécuritaire, le TGI de Paris étant le seul en France à juger la suspicion de terrorisme. Et puis l’emploi du temps de ces jeunes défenseurs, les audiences criminelles, aux assises durent des jours ou des semaines, les changements de leurs programmes en dernières minutes, garde à vue etc. Les audiences criminelles en Correctionnelle se multiplient. J’ai eu beaucoup de mal à réaliser ce film.
Les avocats sont-ils de bons acteurs ?
Je dirais non, contrairement aux apparences, ils sont tellement imprégnés de leur “mission de défense”, de l’accompagnement de leurs “ défendus”. Je n’aime pas dire clients, car j’ai choisi de me concentrer sur les “commis d’office”, ceux qui sont candidats, et sont appelés par l’Ordre des avocats à défendre des mis en examens en comparution immédiate, avec à peine le temps de feuilleter leurs dossiers. Et pourtant je voulais qu’ils me parle de leur coeur, de leurs sentiments, et donc je les ai guidés en amont sur ce que j’attendais d’eux. Une confiance s’est installée, mais certains m’ont quand même refusé des demandes.
A travers ce film, avez-vous cherché à réhabiliter une profession décriée ?
Non, je n’ai pas pensé à ce type d’intention. Je voulais montrer la complexité de leur profil, imprégné ET extravagant. Car cela on ne peut pas le découvrir autrement qu’en creusant dans leur pensée comme je l’ai fait. Je ne parle pas de la ”profession d’avocats”, les avocats d’affaire par exemple ne retiennent pas mon attention. Je parle de la profession de défenseurs. Eux-mêmes, ils le disent dans le film, se concentrent sur la défense des accusés, elle est d’après moi aussi beaucoup plus difficile que la défense des victimes, qui est facile à comprendre, malheureusement. Mais le “devoir de défense” qui couronne le ”deuxième plus vieux métier du monde”, est sans doute une des plus vielle tradition française, très particulière.
Vous vous intéressez aux avocats pénalistes. Qu'est-ce qui vous attire dans cette catégorie ?
C’est l’HUMAIN, de toute évidence. La plupart de mes protagonistes ont été Secrétaires de la Conférence, une formation interne au Barreau de Paris, quasi unique au monde. De ce fait, ils sont tout de suite appelés dans les affaires les plus lourdes du pénal, là où l’humain est le plus imprévisible et va le plus loin, y compris dans le Mal, inhérent à l’Homme. Rendant la défense du passage à l’acte incompréhensible pour beaucoup de citoyens.
Vous réservez une place particulière à Maître Henri Leclerc. Que représente-t-il pour vous ?
Il a été Secrétaire de la Conférence il y a plus de 50 ans, chargé des relations avec les magistrats. Il est l’ascendant de Merabi Murgulia, jeune protagoniste, qui lui voue une véritable dévotion, pour la grandeur de sa capacité à penser et à défendre. Moi aussi. Son livre La Parole et l’action est un manifeste de l’intelligence envers ce devoir de défense.
Vous montrez le métier d'avocat comme une machine à intégrer. Il se dégage de ce corps une profonde fraternité qui dépasse les religions et les origines.
Oui, à tout ce que vous dites dans cette phrase. Je suis certaine que c’est le défenseur qui fait avancer la loi vers plus d’équité. Qui “oblige” les juges à respecter au mieux la loi. A lutter contre l’injustice, partout menaçante. “Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là”, cette phrase de Victor Hugo peut être considérée comme leur credo.
La bande-annonce de A coeur d'avocats :