Le 21 février 2019 sur TF1, le feuilleton quotidien Demain nous appartient révèle qu’un de ses personnages est transgenre. Morgane, l’infirmière du lycée Paul Valéry incarnée par Marie Catrix, a annoncé sa transidentité.
Ce n’est pas une première à la télévision française, ni sur TF1. La saga estival 3 Femmes… un soir d’été en 2005 sur France 2 propose un personnage transgenre. En 2017, TF1 diffusait les deux premiers épisodes de Louis(e) avec Claire Nebout dans le rôle d’une femme transgenre qui retrouve ses enfants. La première saison sera finalement annulée en raison de scénarios non concluants alors que les audiences s’étaient montrées très correctes. Le 9 mars 2018 sur France 3, Plus Belle La Vie entame un arc narratif autour d’Antoine, un adolescent né dans un corps féminin. Sa transition l’amènera à rencontrer, Dimitri, responsable d’une association locale, joué par l’acteur transgenre, Jonas Ben Ahmed.
Demain Nous Appartient et Morgane
Le feuilleton quotidien de TF1 aborde donc un sujet délicat avec le personnage de Morgane. La chaîne a dû faire face à quelques reproches concernant le choix d’une actrice cisgenre et se devait de se montrer à la hauteur avec le traitement narratif et thématique. Il règne peut-être une volonté un peu scolaire d’élargir le spectre le plus largement possible en concentrant de nombreuses problématiques sur un seul personnage. Mais de l’ensemble se dégagent des intentions justes, qui n’hésitent pas à se montrer particulièrement violente (notamment dans sa relation avec son fils qui n’accepte pas la transition et aura ces terribles mots : « tu as tué mon père ») mais sait aussi ménager des élans positifs (sa relation avec Sandrine), jusque dans son rapport plus globale avec la société (le regard des gens, les élèves du lycée qui acceptent l’information contre des parents d’élèves et un recteur qui réclament sa démission).
Aucun arc narratif n’est encore bouclé au moment d’écrire ses lignes, preuve d’une volonté de traiter sur la longueur un sujet aussi complexe. Néanmoins, en se montrant aussi exhaustif, on peut se demander si la série aurait pu garder certaines des intrigues pour plus tard et surtout, d’autres personnages. Il ne faudrait pas que Morgane serve de caution morale et court-circuite malgré elle (le personnage demeure intéressant) des possibilités futures.
On ne s’attendait peut-être pas à voir le feuilleton éviter autant de clichés avec Morgane. Son écriture qui automatise par moment les effets du soaps n’évite pas toujours caricatures ou sorties de route. Avec ce premier personnage transgenre, on pénètre aussi bien la sphère intime que sociétale, la cellule familiale comme le milieu professionnel avec le respect et la distance qu’un tel sujet réclame (sans nier sa nature de feuilleton quotidien, évidemment).
Je me dis que j’ai ouvert une porte… en 2018. Et ça, honnêtement, ça me choque un peu parce que dans d’autres pays, elle a été ouverte bien avant (Jonas Ben Ahmed)
Les soaps, meilleurs véhicules pour refléter la société ?
Pour que les mentalités évoluent, il est parfois plus efficace de le faire dans des endroits familiers que par des grands discours. Quoi de plus appropriés que ces rendez-vous réguliers que sont les soaps quotidiens, capables de toucher une large population ?
En 1998 l’éternelle Coronation Street (diffusée depuis 1960 en Angleterre avec plus 9700 épisodes au compteur) intègre une femme transgenre. Jouée par Julie Hesmondhalgh, Hayley Anne Cropper apparaît sur les écrans pendant 16 ans ! Depuis 2015, le soap Amour, Gloire et Beauté fait de même avec le personnage de Maya Avant Forrester, jouée par Karla Mosley.
En France, le changement a donc mis plus de temps à intervenir (les soaps quotidiens aussi). Interrogée par 20min, Stéphanie Nicot, transgenre et présidente de la fédération LGBT estime que « la télévision française s’est souvent montrée conventionnelle », ne faisant « rien avancer ». Un sentiment que n’est pas loin de partager Jonas Ben Ahmed : « Je me dis que j’ai ouvert une porte… en 2018. Et ça, honnêtement, ça me choque un peu parce que dans d’autres pays, elle a été ouverte bien avant », confie-t-il à BRUT. Le soap quotidien s’est parfois montré plus réactif mais il ne recule pas devant la difficulté d’encourager débats et réactions autour de faits de société et événements : mariage homosexuel, grossesse adolescente, attentats, élections présidentielles, en attendant un futur (et hypothétique) arc narratif sur la GPA. A travers le parcours d’Antoine (né Clara), Plus Belle La Vie montre le chemin que doit emprunter celles et ceux qui choisissent d’effectuer leur transition.
L’évolution de la société sur ces questions passe aussi par une évolution de la représentation dans les fictions. En parler, informer, sensibiliser passe par le fait de raconter. Mais encore faut-il bien le faire. Sur la question, la fiction, et particulièrement celle télévisée, a montré qu’elle avançait dans le bon sens, au sein d’une progression notable. Il existe encore des choses à corriger, il y a eu des accidents de parcours mais on peut aujourd’hui célébrer certaines oeuvres pour offrir une visibilité honnête, non seulement aux personnages transgenres mais aussi aux actrices et acteurs transgenres. S’il reste du chemin, on peut apprécier qu’une marche vers des fictions plus inclusives se met en route. Et les feuilletons quotidiens, les soaps, ces genres très souvent décriés, ont montré qu’ils avaient un rôle fondamentale à jouer et que sur ces question, ils se sont montrés le plus souvent avant-gardiste.