Comment François Ozon s'est-il emparé de l'affaire Preynat, dont Grâce à Dieu s'inspire ? Comme le souligne le réalisateur, il s'agit bien d'une fiction, basée sur des faits réels, et dont les noms n'ont d'ailleurs pas été changés ou cachés, mis à part les victimes pour lesquelles François Ozon a souhaité protéger, en particulier pour respecter l'anonymat des mineurs.
Si François Ozon est connu pour faire des films parfois ambigus ou dérangeants, pour Grâce à Dieu, c'est la sobriété qui prédomine, mettant au premier plan les faits. "Pour ce film j'ai fait une grande enquête, une enquête journalistique. J'ai rencontré plusieurs membres de "La Parole Libérée". J'ai rencontré leur entourage, leurs parents, leurs enfants, leurs frères et soeurs. Et de toutes ces rencontres, j'ai senti une grande complexité. Ce n'est pas les bons et les méchants. C'était beaucoup plus fin, beaucoup plus humain et beaucoup plus intéressant."
Et d'ajouter : "Je me suis rendu compte qu'il ne fallait pas faire un film à charge. C'est un film qui essaye d'exprimer des choses compliquées, montrer que des gens sont aussi victimes au sein de l'institution, que chacun joue son rôle, que chacun essaye de faire le mieux possible... Et c'est une catastrophe en fait, puisque l'histoire de ce prêtre qui n'a jamais nié avoir abusé des enfants et avoir des problèmes avec les enfants a pu pendant trente ans être au contact d'enfants. Je n'avais pas envie de faire un film politique au sens où je donnais des solutions mais plus un film citoyen dans lequel je pose des questions. D'ailleurs le film se termine par une question. Donc c'est un film qui ouvre le débat, qui permet d'essayer de mieux comprendre et à partir de cette compréhension de trouver des solutions."
François Ozon poursuit, à notre micro : "On a pris la décision, en ce qui concerne le prêtre et le cardinal, et aussi une psychologue de l'Eglise, de garder les vrais noms. Parce que leurs noms avaient déjà été publiés. Tout ce que je raconte sur l'affaire était déjà publié dans la presse. Il y a eu des livres qui ont été écrits. Il y a eu des documentaires, des reportages télé... Tout ça était déjà connu. Je ne révèle rien. Ce que je révèle, c'est sur l'intimité des victimes. Quelles ont été les répercussions dans leur vie ?
Donc très vite nous avons décidé, parce que ça aurait été hypocrite de changer les noms, d'appeler le Cardinal Barbarin le Cardinal Baratin... C'était ridicule. Donc on a gardé ces noms pour bien inscrire le film dans une réalité. C'est une fiction basée sur des faits réels. Ca me semblait important que le public en voyant ce film sache que cette histoire s'est vraiment passée à Lyon entre 2014 et 2016. C'était ça qui était vraiment primordial pour moi.
Après, par rapport aux victimes, comme on parle de leur vie privée, c'est-à-dire de leur rapport avec leurs enfants, leurs épouses, leurs parents, il fallait protéger cet entourage, notamment les enfants qui sont, pour la plupart, mineurs. Je ne voulais pas leur faire porter le poids qu'aurait pu être ce film, bien que les victimes n'arrêtent pas de témoigner. Ils assument et d'ailleurs ils m'ont dit que je pouvais garder leur nom dans le film sans problème. Mais moi, c'était plus pour protéger leurs enfants."
Mis à part les pressions pour sortir le film, dont nous nous faisions l'écho ici, François Ozon a-t-il rencontré des difficultés pour produire ce film ? "C'est vrai que c'est un film qui a été difficile à produire, parce qu'a priori la pédophilie dans l'Eglise, ce n'est pas très bankable pour les financiers et les chaines télé. Donc on a eu un peu de mal à faire le film, mais je pense que le fait d'avoir fait d'autres films précédemment, qui ont eu un peu de succès, ça a permis que le film se fasse. Mes producteurs sont des producteurs solides. C'est Mandarin Production. Ils croyaient au projet. Donc le film a réussi à se monter, avec des difficultés financières, mais quand même il existe. C'est vrai que si j'avais été un jeune réalisateur et que ça avait été mon premier film avec une petite boite de production, je pense que le film n'aurait pas pu exister."
Grâce à Dieu : comment le secret autour du film de François Ozon a-t-il été préservé ?