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    Dreamcatcher sur SundanceTV : la réalisatrice Kim Longinotto au micro pour son documentaire sur les travailleuses du sexe
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    Rencontre avec Kim Longinotto, récompensée en 2015 au Festival de Sundance par un prix de meilleur réalisatrice pour son documentaire "Dreamcatcher" sur les travailleuses du sexe et l'aide que leur apporte Brenda Myers-Powell.

    Rencontre avec la réalisatrice Kim Longinotto, pour son documentaire Dreamcatcher, diffusé ce 2 février à 22h30 sur la chaîne SundanceTV. Le film est consacré au travail de Brenda Myers-Powell, ancienne prostituée et victime de viol, qui oeuvre à aider les travailleuses du sexe au quotidien.

    AlloCiné : L'une de ses phrases récurrentes dans votre film c'est "ce n'est pas de votre faute". Est-ce pour elle une façon de leur redonner espoir ?

    Kim Longinotto : Je suis ravie que vous ayez choisi cette phrase. Car si lorsque vous êtes enfants on abuse de vous on vous dira que c'est de votre faute. La plupart de ces femmes ont été violées enfant, or si vous savez que ce n'est pas de votre faute, vous ne serez pas d'accord. Et vous commencerez à guérir.

    On découvre que Brenda et son équipe doivent apprendre à ces femmes à s'aimer.

    C'est exact. Si vous passez par les épreuves par lesquelles Brenda est passée, en étant sexuellement agressée à quatre ans, vous vous haïssez. On le voit dans la scène dans laquelle elle doit choisir une perruque. Elle doit prendre sur elle pour devenir quelqu'un qu'elle peut aimer afin de pouvoir faire face au monde. C'est très difficile, après s'être faite traiter de "pute" toute une partie de sa vie ce n'est pas facile de penser du bien de soi.

    Ce film traite de sujets dont la plupart des gens ne parlent pas.

    Je suis entièrement d'accord et je pense que c'est la clé. Cela commence en Angleterre, à l'école, mais la plupart du temps on essaye de préserver les enfants, de ne pas en parler. Alors que certains prêtres abusent des enfants pendant 60 ans. Mais la honte fait taire.

    J'aime le fait d'être un haut-parleur

    Vous êtes très investie, vous sentez-vous parfois une responsabilité envers ces femmes dont vous êtes parfois le haut-parleur ?

    J'aime le fait d'être un haut-parleur et j'ai fait le film avec Brenda, c'est une oeuvre commune. Je ne lui ai jamais demandée quoi que ce soit. C'était son film : elle m'appelait et me disait "venez-vite à la maison, il se passe ceci" ou "je vais à cet endroit, retrouvez-y moi". Je voulais qu'elle soit en contrôle et que c'était très important.

    Combien de temps à duré ce tournage à suivre Brenda ?

    Nous avons eu trois mois de tournage. Nous avons passé les premières semaines ensemble, puis nous recevions des coups de fil. Trois ou quatre nuits par semaine nous montions dans son va [avec lequel elle va à la rencontre des travailleuses du sexe, NdlR]. La vie de Brenda est incroyable : elle a connu une vie de douleurs, et reste éveillée trois ou quatre nuits par semaine [pour aider les autres], c'est épuisant. Nous ne pouvions donc pas l'appeler et prendre le risque de la réveiller, cela venait toujours d'elle.

    Et elle travaille dans une prison en parallèle.

    Oui, c'est elle qui a bataillé pour que nous ayons le droit d'y filmer.

    En parlant de batailler, était-ce facile d'avoir la confiance des prostituées que vous filmiez ?

    Oui, c'est toujours facile pour moi. Ce n'est pas tant qu'elles doivent faire confiance à la caméra, c'est qu'elles doivent me faire confiance à moi, à l'ingénieur du son et à Brenda. Notre petite équipe était féminine, nous demandions avec beaucoup de respect si nous pouvions les filmer et je crois que personne n'a dit non (...).

    Certains témoignages révèlent des situations dans lesquelles les parents ont violé leurs enfants ou laissé des gens violer leurs enfants... Quatre années ont passé, certains cas ont-ils été portés devant les tribunaux ou certaines situations personnelles ont-elles changé ?

    Je crois qu'avec ce film, nous ne cherchions pas à réouvrir des affaires, mais avec Brenda nous cherchions à ce que les gens parlent de ces agressions ou du fait que l'on peut y survivre si l'on arrive à croire en soi. C'est très proche du mouvement #MeToo avec des voix qui se sont faites entendre pour réveiller les consciences. C'est avant tout ce que nous cherchions : "si elle peut le faire, je peux le faire".

    En parlant de parole qui se libère, vous travaillez avec beaucoup de précision avec votre monteur Ollie Huddleston...

    (Elle coupe) C'est une star, il est brillant. (...) Ollie a une remarquable sensibilité (...), il aime Brenda et son montage est très spécial.

    Avant, il était très embarrassant et honteux de parler de viol

    Oui, je voulais d'ailleurs vous demander comment se déroule votre collaboration, car on dirait qu'il sait toujours où couper un moment d'interview, un témoignage au moment adéquat ?

    Il arrive en bout de chaîne, lorsque j'ai tout tourné, mais je m'arrange pour garder des scènes faciles à couper pour lui mais nous passons en revue tous les rushes et nous les montons dans l'ordre chronologique (car faire autrement sonnerait faux). Lorsqu'il a choisi les scènes, il les coupe à son rythme en respectant celui du film. Nous avons tout monté en 7 ou 8 semaines.

    Diriez-vous que votre film a ouvert un peu plus le dialogue à propos de la situation des travailleurs du sexe ?

    C'est très difficile pour moi d'y répondre en général, je ne sais pas vraiment. Je peux par contre vous parler des gens que je connais. Les gens deviennent plus réceptifs à parler des agressions sexuelles et du viol. Avant vous savez, il était très embarrassant et honteux de parler de viol. (...) Je ne parlais jamais de mes propres expériences, mais j'étais si fière de ces femmes qui en parlaient ! (...) La première fois que je me suis faite violée, j'étais en école de cinéma et je m'étais faite frappée. Plus tard, je faisais la queue à la cantine et une amie me dit "mais qu'est-ce qui t'es arrivée au visage, Kim ?" et j'ai répondu "non, je me suis faite violer la nuit dernière" et elle ne m'a plus parlé de l'année, elle était gênée. Et c'est ça qui a changé, les gens sont plus ouverts et nous ne devons plus nous sentir humiliée de l'être ou de l'avoir été.

    Merci pour ces déclarations, c'est aussi touchant de vous entendre raconter cela.

    C'est si gentil à vous de le dire ! Vous savez, le mouvement #MeToo parfois on a tendance à opposer les hommes et les femmes alors que pour la plupart, les hommes que nous connaissons sont sensibles (...) et nous devons dépasser le stade homme-femme.

     

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