Lors de sa traditionnelle conférence de presse, au cours de laquelle il a dévoilé la sélection du Festival de Cannes 2018 en avril dernier, Thierry Frémaux avait fait part, en préambule, de son envie d'injecter un peu de sang neuf dans la Compétition. Et le délegué général de joindre le geste à la parole en annonçant la présence de Leto de Kirill Serebrennikov parmi les candidats pour la Palme d'Or. Un cinéaste qui a emballé une bonne partie de la Croisette un mois plus tard, avec un long métrage électrisant et poétique qui célèbre l'esprit rock et la liberté. Mais sans pouvoir le constater de lui-même, car retenu dans sa Russie natale, où il est assigné à résidence.
La raison : le metteur en scène est accusé d'avoir détourné 133 millions de roubles (soit 1,7 million d'euros) de fonds publics alloués à sa troupe de théâtre 7ème Studio, entre 2011 et 2014. Des perquisitions ont lieu, dans ce cadre, le 23 mai 2017, alors que Kirill Serebrennikov prépare le tournage de Leto, et n'intervient alors qu'en qualité de témoin. Il est donc libre d'entamer les prises de vues de son nouveau long métrage, en juillet de la même année, mais il est arrêté par le Comité d'enquête de la Fédération de Russie à Saint-Petersbourg, le 22 août, et transféré à Moscou où son assignation à résidence est prononcée. Celle-ci doit initialement durer jusqu'au 17 octobre, puis au 9 janvier 2018, et ne cesse d'être prolongée depuis, le privant des marches de Cannes, que ses acteurs ont montées en brandissant un panneau à son nom.
Alors que son procès public se tient depuis le 7 novembre, et risque de durer plusieurs mois supplémentaires selon Le Monde, qui relate son avancée "kafkaïenne", le traitement de Kirill Serebrennikov apparaît de plus en plus comme une sanction politique envers ce farouche opposant de Vladimir Poutine, quand bien même ce dernier affirme ne pas être l'initiateur des poursuites. Le président russe avait cependant refusé que le cinéaste ne soit libéré afin de se rendre au Festival de Cannes, en réponse à la demande formulée par le ministre français des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian dans une lettre, affirmant qu'il ne pouvait y répondre car "la justice est indépendante en Russie."
Sept mois après le Festival de Cannes, la situation de Kirill Serbrennikov ne s'est toujours pas améliorée, à la veille de la sortie de son film dans nos salles. Un long métrage qu'il est parvenu à terminer en communiquant avec son équipe par le biais de son avocat, et s'apprête à faire vibrer les écrans avec une belle ironie à la clé : centré sur la scène rock russe et son émergence au début des années 80, Leto parle d'artistes que l'on tente d'empêcher de créer. Toute ressemblance avec des personnes réelles ne serait que fortuite, et ce n'est pas son acteur Roman Bilyk, alias Roma Zver, rock star qui fait ici ses débuts au cinéma, qui nous contredira, affirmant avec un sourire malicieux que l'on peut faire un parallèle entre la situation de son personnage dans le film et celle de son metteur en scène lorsqu'on lui pose la question.