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    Les Drapeaux de papier : rencontre avec Guillaume Gouix et Nathan Ambrosioni, réalisateur précoce, passionné et culotté !
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    A seulement 18 ans, Nathan Ambrosioni a réalisé un premier long métrage, "Les Drapeaux de papier", remarqué dans le circuit des festivals d'automne. Nous avons rencontré ce jeune cinéaste précoce et passionné, avec son comédien Guillaume Gouix.

    Sensito Films

    Un film écrit à 17 ans, réalisé à 18 ans, et qui a fait le tour des festivals d'automne (primé par le public de Premiers plans d'Angers notamment) alors que son réalisateur n'a que 19 ans (avec le bac en poche), le parcours de Nathan Ambrosioni sort des sentiers battus, et étonne par sa précocité. Le jeune cinéaste, originaire de la Côte d'Azur, a réalisé Les Drapeaux de papier, avec un joli casting, Guillaume Gouix et Noémie Merlant, qui l'ont tous les deux suivis dans cette aventure, et en laquelle a cru aussi la productrice Stéphanie Douet (Sensito Films).

    Le synopsis : Lui a 30 ans et sort tout juste de prison après 12 ans derrière les barreaux. Il a tout à apprendre dans un monde qu'il ne connait plus. Elle, bientôt 24, mène une vie sans excès et peine à joindre les deux bouts. Quand il vient la retrouver, tout se bouscule mais elle est prête à l'aider à reprendre une vie normale. C'est son frère après tout, son frère dont la colère peut devenir incontrôlable et tout détruire malgré lui.

    AlloCiné : Nathan, comment avez-vous réussi à mener ce projet de long métrage si jeune?

    Nathan Ambrosioni, scénariste et réalisateur des Drapeaux de papier : J'ai commencé à avoir envie de faire des films quand j'avais 12 ans. C'est là que j'ai fait mes premières expériences cinématographiques : je faisais des films pour m'amuser avec des potes. Ca m'a vraiment passionné et ça m'a vraiment plu de le faire. Je me suis dit que j'avais envie de continuer de faire ça. Ca a été un apprentissage qui s'est fait pendant toute mon adolescence, qui continue aujourd'hui. Et j'ai écrit Les Drapeaux de papier en me demandant si ça allait se faire. Je ne pensais pas du tout. J’avais envie de passer à l’étape suivante, de faire les choses conformément. Finalement, Stéphanie Douet [productrice de Sensito Films] a aimé et c’est grâce à elle que ça s’est fait. Elle y a cru. C’est vrai que ce n’est pas facile de convaincre une production quand on a 17 ans, en disant ‘j’ai un scénario’. Ca a plu à Stéphanie, et voilà, le film s’est fait. C’était une grande aventure et une super expérience.

    J'ai commencé à avoir envie de faire des films quand j'avais 12 ans

    Comment avez-vous fait pour que cette productrice vous suive ? Il y a inévitablement une forme de méfiance quand on est jeune… Reviens nous voir plus tard, etc.

    Nathan Ambrosioni : Il y a eu de ça, j’ai eu des retours comme ça. ‘Fais une école et viens nous voir après’. Stéphanie Douet a lu le scénario sans se soucier de ce qu’il y avait autour. Elle l’a lu tel qu’il était. C’est un premier film, qu’elle a lu vierge de tout ressenti. Ca s’est fait naturellement. Elle m’a rencontré, comme un réalisateur plus âgé. C’est parce qu’elle n’a pas eu peur que ça s’est fait comme ça, parce qu’elle n’a pas eu d’a priori. Elle m’a considéré comme un réalisateur qui en avait 30.

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    Guillaume, saviez-vous qu’il s’agissait du projet d’un jeune réalisateur quand on vous a fait parvenir le scénario ?

    Guillaume Gouix, acteur (Vincent) : On m’avait expliqué avant que je le rencontre. Je n’ai eu aucun a priori. Quand j’ai lu le scénario, ce qui m’a touché tout de suite, c’est le rapport frère-sœur, et comment ces gens vont pouvoir s’aimer à partir du moment où ils ne seront plus obligés de s’aimer. Comment on prédéfinit des places dans les familles. On peut vivre à partir du moment où l’on déplace ces places. On peut les casser. On est des entités, pas des appendices.

    Il y a eu très vite une rencontre avec Nathan ; j’ai lu très vite. C’était tellement évident pour lui. Il est arrivé avec son sac à dos, a commandé un Coca. Il ne connaissait pas Paris. Il avait le culot qu’il y avait dans son scénario. Je ne demande que ça : faire des films qui sont des aventures. Il avait ce culot, où tout paraissait facile.

    Lorsque vous avez présenté le film en festival, Guillaume, vous avez justement parlé de ce culot de Nathan…

    Guillaume Gouix : C’est un des premiers trucs que je lui ai dit quand on a décidé de faire le film ensemble. Il y avait peu de moyens pour le faire, mais j’étais persuadé qu’il fallait le faire tout de suite ou jamais. Il fallait se saisir de cette énergie. C’est un film qui se faisait au présent, et surtout, je lui ai dit ‘fais un film de ton âge’. C’est mon opinion, mais il fallait se servir de ça. On n’essaye pas d’imiter un mec de 40 ans : ‘Fais un film avec ce que tu es, toi’. Son film a quelque chose de très organique. Ce qu’il ressent, il le met, sans se poser la question des codes. C’était passionnant à faire. 

    Il y a cette insolence dans le film. C'est ce que tous les artistes essayent de conserver, j'ai l'impression. L'insolence, le geste...

    Nathan, diriez-vous que vous êtes autodidacte ou est-ce que vous vous êtes procuré des livres, formé par des méthodes ? A vous écouter, on dirait que c'est simple d'écrire un scénario, mais ce n'est pas le cas !

    Nathan Ambrosioni : J'avais un logiciel pour présenter le scénario comme il faut. Il y avait des exemples de présentation de scénario. Mais je n'en avais jamais lu, je n'y avais pas accès. J'aurais vraiment aimé, mais je ne connaissais pas du tout ce monde là. J'étais à la campagne, dans le Sud chez moi, je n'avais pas accès à ça. Il fallait apprendre comme ça.

    Donc j'ai regardé des films, c'est ça qui m'a vraiment aidé. De regarder comment ça se construit, etc. On a voulu me faire lire des livres, mais je ne suis pas un grand lecteur. J'écoute beaucoup, et j'avais peur de trop écouter ces livres et de faire exactement ce qu'ils allaient me dire de faire. J'avais envie d'écrire comme ça, et ça a été de l'apprentissage au fur et à mesure de l'écriture. Et grâce à Stéphanie [Douet] qui m'a guidé après sur la réécriture. Donc c'est un apprentissage sur le tas.

    Guillaume Gouix : Il y a cette insolence dans le film. C'est ce que tous les artistes essayent de conserver, j'ai l'impression. L'insolence, le geste...

    Sensito Films

    Comment avez-vous vécu ce tournage ?

    Guillaume Gouix : Le film a été fait un peu comme un cinéma guérilla. Il y a avait une production, l'aide du CNC, mais il a été fait avec cet entrain là. C'est vrai qu'en plus il y a eu un truc très familial. Avec Nathan, on est devenu très amis très vite. Avec Noémie [Merlant], on ne se connaissait pas, mais il y a eu des raccourcis affectifs très rapides. Et puis il y a Alysson [Paradis, compagne de Guillaume Gouix] dans le film qui est venue participer. C'est un film fait avec le cœur. Le défendre, c'est le même principe. J'aime vraiment ce film. J'aime les aventures de cinéma, ce sont des films qui doivent exister et ça devient difficile que ces films existent. Ce sont ces films que j'ai envie de faire.

    J'aime les aventures de cinéma, ce sont des films qui doivent exister et ça devient difficile que ces films existent

    Quel a été le point de départ de cette intrigue ? Comment avez-vous choisi le sujet que vous traitez avec Les Drapeaux de papier ?

    Nathan Ambrosioni : C'était vraiment sur le thème de la liberté que je voulais me concentrer. Comment on l'appréhende, comment on la vit... Quand j'avais 17 ans, je n'avais jamais vécu ailleurs que chez mes parents, comme beaucoup de jeunes de cet âge. Il y a ce truc où l'on se dit : bientôt on va être dans un autre monde. Ça va être différent quoi ! C'est quelque chose qui me préoccupait beaucoup : comment j'allais vivre cette liberté. Est-ce que ça allait être quelque chose de simple ou au contraire très difficile ? Je voulais donc écrire sur ce sujet, mais je ne voulais pas le faire de manière trop personnelle. Je voulais vraiment trouver un point de vue qui me permettrait de me détacher de mes ressentis.

    Quand j'ai lu cet article qui était un portrait d'un prisonnier qui faisait une sortie sèche, sans aucune aide de l'Etat, ça m'a bouleversé. Étrangement, même si je n'ai aucun lien avec ce milieu là, je me suis senti vraiment concerné par cette vie qu'il doit retrouver, ce vrai problème de société, et ça collait parfaitement avec la thématique de la liberté que je voulais aborder. Mon personnage voit la liberté comme quelque chose de matériel, c'est quelque chose qu'il a envie d'avoir, comme un objet.

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    Guillaume Gouix  : Il se brûle un peu avec. On le voit par exemple la première fois qu'il a accès à une fenêtre, il entrouvre à peine les rideaux. C'est une image hyper forte, c'est violent. D'un coup, il a accès à tout. Quand on a passé 12 ans enfermé, évidemment les gens rêvent de liberté, mais on se brûle avec parfois. Il sort presque à l'âge auquel il est entré. Il a 35 ans dans le film, mais c'est comme s'il avait 18 ans. Il sort, il joue au basket avec des ados, il met son T-Shirt de rap, il écoute son vieux rap… Il reprend sa vie à 18 ans.

    Parlons des choix esthétique : il y a un travail sonore, mais aussi dans votre façon de filmer, de faire beaucoup de gros plans… Il y a une approche très sensorielle. On sent que vous avez envie que l'on soit au plus proche, comme en immersion…

    Nathan Ambrosioni : Ce que je voulais faire en écrivant, c'était de faire un film sur des personnages. Il y a un personnage qui habite tous mes plans. Je voulais qu'ils soient des alliés de la caméra et qu'ils communiquent vraiment avec le spectateur. Essayer un peu de briser un mur en filmant comme ça. Ça me passionne.

    Ce sont les comédiens qui m'ont donné envie de faire du cinéma. C'est ça qui me donnait envie, c'était de les regarder jouer. J'étais hyper admiratif de leur travail sur le tournage et ça m'a conforté dans l'idée de rester toujours proche d'eux. J'espère qu'ils intéresseront les gens, leur histoire à eux. On voulait, avec le chef opérateur du film, être toujours avec eux. Bouger, parfois improviser des mouvements de caméra et il fallait qu'ils jouent avec. C'est comme s'ils dansaient ensemble.

    Sensito Films

    Guillaume Gouix : Essayer de rester en contact avec la vie pendant que je joue, c'est ce que je recherche. Je ne dis pas que j'y arrive tout le temps, mais en tout cas, dans ce film, c'est ce qu'on recherchait ensemble. (...) Après, c'est son culot ! Il n'a pas peur des émotions. Avec Noémie, on a essayé de suivre ça. Il voulait que ça soit extrême. Les sentiments sont vivants, il n'y a rien de plaqué.

    Si vous deviez donner un conseil à quelqu'un qui est jeune comme vous, qui serait inspiré par votre exemple, que lui diriez-vous ?

    Nathan Ambrosioni : De le faire ! De ne pas intellectualiser le truc ! On se met nous mêmes des barrières. Faut y aller et ce n'est pas grave s'il n'y a personne, pas de budget, faut le faire.

    Guillaume Gouix : Je l'ai vu faire son casting, aller à des avant-premières où il savait qu'il y avait telle et telle personne. Il allait attendre l'acteur. Il y a plein de gens qui auraient pu ne pas le prendre au sérieux mais ça s'est fait tellement simplement.

    Il y a plein de gens qui auraient pu ne pas le prendre au sérieux mais ça s'est fait tellement simplement

    Nathan Ambrosioni : Pour Noémie Merlant, je suis allée la voir à une avant-première où je savais qu'elle serait. J'ai pris le train et j'y suis allé. Je lui ai dit : « je ne viens pas pour un autographe ou une photo, -même si j'aimerais beaucoup parce que je l'admire-. Je lui ai dit que j'avais écrit un film et que j'aimerais lui faire lire pour savoir si ça lui plaît. Elle a dit d'accord pour le lire. Elle a fait ce pas. Il faut aussi des acteurs qui aient l'audace d'accepter. Je ne sais pas si tous les acteurs auraient accepté de le lire car c'était une proposition particulière.

    Un dernier mot : pourquoi ce titre ? 

    Nathan Ambrosioni : Le titre, pour être très concret, se rapporte au seul personnage qui n'est pas présent dans le film. C'est le personnage de la mère. Elle a écrit à ses enfants avant que Vincent (Guillaume Gouix) ne rentre en prison, elle lui envoyait des drapeaux de papier. Ce sont les petits drapeaux que Vincent accroche dans sa chambre. Mais il y a plein d'autres inteprétations possibles qui m'ont été partagées par les spectateurs qui m'ont beaucoup touché.

    La bande-annonce des Drapeaux de papier, à l'affiche ce mercredi :

    Propos recueillis en octobre 2018, au Festival de La-Roche-sur-Yon

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