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    Une intime conviction : "Un film de procès avec une dynamique de thriller"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 13 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Avec "Une intime conviction", Antoine Raimbault, dont c'est le premier long métrage, s'empare de l'affaire Suzanne Viguier. Très précis et documenté, le cinéaste a choisi de revisiter l'affaire à travers un personnage fictif, joué par Marina Foïs.

    AlloCiné : Quel a été le point de départ de ce projet Une intime conviction ?

    Antoine Raimbault, réalisateur : Plus qu’un film sur l’affaire Viguier, ce qui m’intéressait était de faire un film de procès, de raconter la justice. Je suis allé assister au premier procès de Jacques Viguier, j’ai découvert d’un coup d’un seul la cour d’assises, la justice de mon pays sur cette affaire, et cette famille condamnée à l’incertitude, c’est-à-dire les enfants de Jacques et Suzanne Viguier, qui ont grandi dans cette équation ‘maman a disparu, papa est accusé de l’avoir tuée’ pendant 9 ans au moment où le procès s’ouvre. Je me suis fait la réflexion que d’abord je connaissais très mal la justice française et que je suis rompu, à mon avis comme la majorité des spectateurs, aux codes de procédure judiciaire anglo-saxons à travers les films américains : « objection, votre honneur, contre interrogatoire, le témoin est à vous… ».

    J’ai voulu avant tout raconter la justice, donner à voir la justice

    Je me suis interrogé sur la raison pour laquelle on ne représente plus du tout la cour d’assises en France et cette affaire est vraiment symptomatique des dysfonctionnements de la justice française. C’est une affaire assez singulière : d’abord, c’est un procès pour meurtre sans cadavre, cette femme est toujours sur le registre des femmes disparues. On ne la recherche plus malheureusement. Cet homme a comparu pour meurtre sans qu’on n’ait de preuves qu’elle soit morte. J’ai voulu avant tout raconter la justice, donner à voir la justice. J’ai l’impression que dans le cinéma français, il y a eu des tentatives, des films sur des affaires, mais un vrai film de procès, on n’en a pas fait depuis très longtemps.

    Ensuite, l’idée était d’approcher ce sujet de manière un peu moderne : l’idée que l’on se fait des films de procès en France, ce sont des drames de prétoires, bien souvent en noir et blanc et un peu poussiéreux. Les Américains ont développé un genre qui est plutôt du côté du thriller. Ce que j’ai vécu à la cour d’assises, ça ressemblait effectivement à ce vertige, cette tension dramatique permanente. Le film est rentré dans cette dynamique thriller. J’ai essayé de faire un thriller judiciaire sur ces faits réels auxquels on n’a pas touché.

    Séverine Brigeot

    Tout ce que vous voyez des audiences a bien eu lieu, a été scripté. J’ai recoupé les notes de tous les journalistes qui ont bien voulu me les donner. Il y a beaucoup de choses qui sont déjà dans la presse. Mais tous les éléments de l’affaire, le dossier, les écoutes téléphoniques, tout ça est vrai. On raconte cette histoire à travers un personnage de fiction qui est donc joué par Marina Foïs, et à travers le point de vue duquel on va vraiment rentrer dans cette affaire. C’est une espèce d’électron libre dans les coulisses du procès qui va se lancer dans une quête de vérité impossible. C’est ce que ça raconte, sur la quête de vérité de ce personnage et l’intime conviction qu’on demande aux jurés. On juge dans le silence et le recueillement et dans la sincérité de sa conscience. Le film essaye à la fois de creuser l’affaire et de s’interroger sur la justice de manière un peu plus large.

    Tout ce que vous voyez des audiences a bien eu lieu, a été scripté

    Le film a nécessité combien de temps de recherche, écriture, préparation, etc ?

    9 ans. C’est très très long. Le procès a eu lieu en mars 2010 et le film sort le 6 février 2019, donc 9 ans après. J’ai vécu les deux procès : au premier, j’ai rencontré un certain nombre de protagonistes de cette affaire, et au deuxième, j’étais vraiment aux premières loges, à observer de très près notamment le travail de la défense, d’Eric Dupond Moretti qui est donc joué par Olivier Gourmet.

    Ensuite, j’ai sourcé tout ce qu’on a écrit. Il y a eu un gros travail de documentation. J’ai mangé tout le dossier, un peu comme le personnage de Marina Foïs. J’ai fait de mon obsession une obsession de cinéma, et de mon obsession de cinéma, j’ai créé ce personnage obsessionnel qui est dans sa quête de vérité. Je me suis penché sur les écoutes téléphoniques comme elle dans le film, mais après le procès pour ma part.

    Séverine Brigeot

    J’ai imaginé ce personnage pour réinterroger l’affaire. Ce qui m’intéresse, c’est de raconter une autre histoire que celle qui a été racontée dans les médias pendant 10 ans. Globalement, la grande majorité des médias ont raconté l’histoire du mari qui a tué sa femme. C’est la réalité médiatique de cette affaire : c’était le coupable idéal. Le film essaye de réinterroger ça à travers le personnage de Marina, et encore une fois de s’interroger sur la justice.

    C’est un vrai film de procès qui s’assume

    Ce qui est intéressant est que vous avez réussi à faire un film qui ne se passe pas uniquement au tribunal…

    Oui, c’était hyper important que ce ne soit pas un film assis. C’est la cour d’assises. C’est un vrai film de procès qui s’assume, c’est à dire qu’une bonne moitié du film se passe au procès, mais on le raconte depuis les coulisses, à travers ce personnage et son rapport avec l’avocat. Elle va se retrouver en électron libre à travailler avec la défense, à essayer d’aider et nourrir la défense, et notamment l’avocat qui va se retrouver débordé par 250 heures d’écoutes téléphoniques qui ont existé. Il va lui donner et elle va lui donner un coup de main.

    C’était très important d’éviter le film figé, que ça soit un film très en mouvement, que l’on sente les corps, la sueur, l’épuisement, les nuits sans sommeil, qu’on soit tout le temps avec elle… Ce qui tient le film, c’est le point de vue de ce personnage. On est dans son angoisse, dans son vertige, dans sa course folle pour la vérité. En immersion dans son intime conviction.

    Séverine Brigeot

    Est-ce que pour le rôle d’Eric Dupond Moretti, vous avez envisagé Eric Dupond Moretti lui-même ?

    Non. Ca n’a jamais été une option. Evidemment Eric Dupond Moretti a fait une petite incursion du côté du cinéma, je l’avais fait jouer dans un court métrage. Il y avait pris goût. Je crois que c’est dur la vie d’un avocat ! Ca l’amuse de faire des petites récréations de temps en temps. Au lieu de partir en vacances, il fait un tournage. Ca n’a jamais été une option car on ne peut pas lui demander de feindre l’émotion qui était la sienne. Ca aurait été ridicule en fait, pour lui et pour moi. Je pense qu’il n’aurait jamais accepté un truc pareil. Une plaidoirie se fait une fois, c’est quelque chose d’une puissance dramatique folle qu’on a essayé de reproduire pour le film avec Olivier Gourmet. C’est un énorme travail d’acteur.

    Il y avait un pari un peu compliqué pour Olivier Gourmet d’incarner Eric Dupond Moretti

    Il y avait donc un pari un peu compliqué pour Olivier Gourmet d’incarner Eric Dupond Moretti, qui est aujourd’hui plus que jamais omniprésent médiatiquement. Je tenais à ne pas changer les noms puisqu’on a gardé l’affaire. On aurait tout de suite eu une suspicion si on avait changé les noms. On n’a pas pu garder tous les protagonistes de l’affaire évidemment. Il y a des avocats qui étaient présents qui ne sont pas dans le film.

    Eric Dupond Moretti et Olivier Gourmet se sont rencontrés : je tenais absolument à ce qu’il vienne le voir à l’audience. Ils sont un peu fait du même bois, la voix, une présence, une humanité… J’ai un peu envoyé tout le monde à la cour d’assises en fait. C’était très important qu’on ne fasse pas ça à distance, que tout le monde sache ce que c’est qu’un procès et pas à travers les films justement. Le film baigne dans le réel, il est nourri par la réalité de ce qu’est un procès.

    Séverine Brigeot

    Pouvez-vous nous parler du choix de Marina Foïs également ?

    Marina Foïs a un truc assez incroyable d’empathie. Je lui avais donné Fenêtre sur cour et Vertigo parmi d’autres classiques. Elle a un truc à la James Stewart. C’est un acteur qui est souvent allé vers des personnages très sombres. Elle peut aller loin, mais on ne la lâche jamais, on est toujours avec elle. Je l’adore, je la trouve extraordinaire.

    Le boulot qu’elle a fait dans le film est assez incroyable. Elle avait déjà une appétence pour ces sujets là. Elle savait ce qu’était la cour d’assises. Le personnage et le scénario l’ont enthousiasmé. Elle s’est investie énormément dans le film. 

    La bande-annonce d'Une intime conviction :

    Propos recueillis par Brigitte Baronnet au Festival du film de Sarlat 2018 

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