Des Hommes Tourmentés
Début 2000, la télévision vit l’une de ses révolutions avec l’avènement de HBO et de séries comme Oz, The Sopranos ou The Wire. Suivis par AMC avec Mad Men et Breaking Bad, FX avec The Shield, Showtime avec Dexter et beaucoup plus tard Netflix avec House of Cards. Point commun de toutes ces séries : des anti-héros torturés, que le journaliste Brett Martin réunit sous l’étiquette « Des Hommes Tourmentés » dans son ouvrage éponyme. Avec eux, c’est presque une décennie et demie de personnages sombres, de séries noires, d’ambiance suffocantes… Quinze années où ce n’est pas trop la fête à la maison.
Les modes et consensus étant cycliques, il fallait bien que tous ces personnages tirent leur révérence. Leur récurrence et leur omniprésence devenait un peu épuisantes, sinon lassantes. Peut-être mû par un climat général qui s’assombrit, on se met à rêver de séries qui font du bien. Parks & Recreation a fait office de dernier petit village gaulois pendant sept saisons d’attitude positive, menée par l’énergique Leslie Knope mais elle est restée trop confidentielle pour prétendre que le changement était maintenant. Il aura fallu trois enfants, nés le même jour, pour souffler un vent de fraîcheur et rappeler qu’il était peut-être temps de se détendre.
Une famille formidable
Des séries qui parlent un peu plus de nous et un peu moins de personnalités extraordinaires. Voilà le pari de Dan Fogelman avec This is us. Succès phénomène de la saison 2016/2017 aux Etats-Unis, les Pearson ont été massivement accueilli par les foyers américains. Elle va à rebours des tendances et choisit la lumière. Avec elle, l’écran cesse de renvoyer une image déformée du quotidien et embrasse un rôle plus avenant. A celles qui bandent les muscles pour plonger les spectateurs dans des abîmes de noirceur, This is us joue profil bas et invite à se lover dans un cocon de douceur, entre le pilou et les pantoufles.
Grâce à This is us, les grandes chaînes américaines découvrent que les bons sentiments font vendre, qu’il existe une place à prendre pour des séries positives et lumineuses. En d’autres termes, la bienveillance est la nouvelle arme de séduction. S’il est toujours délicat et difficile de préciser avec exactitude, le point d’origine des tendances, il y a clairement un avant et un après This is us à la télévision américaine.
Les bons bons
« Bienvenue au bon endroit », c’est par ces mots que Michael accueille les nouveaux arrivants au paradis de The Good Place. Des mots, qui ne sont peut-être pas grands choses mais qui signifient beaucoup. Parce que le bon endroit, ce lieu où l’on se sent bien, où il fait bon vivre, entouré de gens sympathiques, affables et généreux avait disparu du paysage télévisuel. Diffusée la même saison que This is us (sans reproduire le même succès), The Good Place est la dernière création de Michael Schur (Parks and Recreation, Brooklyn Nine-Nine). Dans cette sitcom pas comme les autres aux rebondissements dignes de Lost et 24, une jeune femme, Eleanor (Kristen Bell) est envoyée, suite à une erreur administrative, au paradis alors que sa vie passée la destinait aux tourments de l’enfer. Drôle, impertinente, avec ce petit soupçon d’acidité chafouine propre à l’auteur, The Good Place est une ode à la bienveillance. Une bienveillance qui prend la forme d’un chemin de croix mais qui célèbre un vrai élan civique et chaleureux.
Lancé la saison suivante, The Good Doctor (aucun lien de parenté avec The Good Place, ou The Good Fight, ou The Good Wife) est l’autre grand et important succès qui va montrer que la tendance va définitivement s’inverser. Shaun Murphy est un jeune résident en chirurgie, atteint d’autisme. Autour de cette caractéristique, David Shore (Dr House) va délivrer une série au ton optimiste, sincère et candide. Des traits singuliers qu’on pourrait prendre à tort pour quelque chose d’un peu dégoulinant quand la série montre au contraire une intelligence très affûtée.
De l’optimisme, que diable !
Deux gros succès suffisent à ouvrir les vannes et la saison 2018/2019 s’annonce comme celle qui va célébrer l’harmonie. La réponse hollywoodienne devant un pays aux divisions de plus en plus franches et un président qui semble moins motivé à abaisser les tensions qu’à asseoir son autorité. Alors, les chaînes américaines tentent de soulager cette situation en offrant à leurs spectateurs des séries optimistes (et de grignoter une part du gâteau de This is us).
Dans God Friended Me, un jeune homme semble être chargé d’une mission divine. A mi-chemin entre Les Routes du Paradis et Demain à la Une 2.0 ( Facebook a remplacé le journal - tout un constat), la série célèbre ces petits gestes qui peuvent accomplir de grandes choses. A Million Little Things se veut comme la réponse d'ABC à This is us. Elle parvient à s'en affranchir en jouant pourtant sur les mêmes archétypes (un personnage décédé comme motif de bienveillance) et se révèle confortable et lumineuse. Dans New Amsterdam, c’est le nouveau directeur d’un hôpital qui tente de pratiquer une médecine plus serviable et moins tournée vers le profit. A l’idéalisme un peu naïf de son personnage principal, elle tempère avec une lecture juste et émouvante des rapports humains face à la maladie. Dans The Neighborhood, un couple blanc emménage dans un quartier afro-américain. Sa comédie un peu naphtalinée (rythme, blague et forme d’un autre âge) cherche à combler les distances entre communautés. Un peu trop gentil et lisse pour être tout à fait pertinent, le message progressiste passe néanmoins.
Les pompiers ont également la côte. Chicago Fire de Dick Wolf (7 saisons), 9-1-1 de Ryan Murphy (2 saisons) et le spin off de Grey’s Anatomy, Station 19 (2 saisons) donnent le rôle principal aux soldats du feu ou secouristes. Accompagnés par de vaillantes séries médicales (The Good Doctor, The Resident, New Amsterdam, Grey’s Anatomy, Chicago Med), elles témoignent d’une télévision qui cherche davantage à sauver qu’à punir. Les séries policières ne sont pas forcément moins nombreuses mais plus anecdotiques, perpétuant les vieux schémas d’une télé passé (la franchise NCIS, Criminal Minds, Hawaii Five-O ou Blue Bloods dépassent les neuf saisons au compteur).
CBS a même raté le coche dans son remake de MacGyver. Dans la version originale, l’homme au couteau suisse accumule les qualités : écolo, anti arme, travailleur social, as de la récup’, il ne boit pas, ne fume pas… le gendre idéal. Le remake le montre bien plus violent et expéditif, n’hésitant pas à éliminer ses assaillants avec quelques effets pyrotechniques (mais sans armes). C’est finalement ABC qui prendra la bonne décision avec The Rookie, débutée cette saison et dans laquelle Nathan Fillion joue un (vieil) aspirant policier idéaliste.
Le plus grand malentendu autour de ce retour à la bienveillance se situe peut-être dans la croyance que les bons sentiments sont incompatibles avec un propos sérieux, comme si l’optimisme rendait inaudible une idée ou invisible, des symboles. Les bonnes séries, qu’elles commencent par « The Good » ou s’appellent This is us, New Amsterdam, A Million Little Things ou The Rookie ont toutes des choses intéressantes à dire et le font avec un sourire franc et sincère, sans électrochoc ni effets ostentatoires. Et c’est agréable comme sensation...