L'influenceur influencé
Dans un monde idéal, Archie et Riverdale seraient une référence incontournable de la pop culture. Sans lui, Peter Parker n’aurait peut-être jamais hésité entre la blonde Gwen Stacy et la rousse MJ Watson ; Scooby-Doo serait probablement resté un chien benêt et gourmand et Fonzie de Happy Days aurait certainement promené sa moto et son blouson de cuir ailleur que chez les Cunningham. Tous ces personnages doivent plus ou moins directement leur existence à Archie Comics dont Riverdale est l’adaptation.
Mais le monde n’est pas parfait et aujourd’hui, Riverdale est davantage connu pour ses citations, ses emprunts, son côté post-moderne et méta que pour sa qualité de père fondateur des programmes adolescents. Roberto Aguirre-Sacasa (showrunner) et Greg Berlanti (producteur) ont eu la présence d’esprit de ne pas lutter contre une mémoire mi-sélective mi-amnésique et décidé de glisser Riverdale dans une somme d’influences.
Chaque saison devient l’occasion d’explorer des genres, sorte de visitations révérencieuses. La série figure l’aspect pâte à modeler de l’adolescence, incapable de se fixer, au caractère changeant et souvent construit par rapport à des référents culturels. Il n’est pas étonnant de retrouver cette distinction dans une série qui multiplie les sautes de ton, de genre ou de style.
Entre Twin Peaks et Pretty Little Liars
Pour son entrée en matière elle s’est montrée sage. En treize épisodes, elle n’explore que le spectre des séries ou films pour adolescents. La découverte du corps de Jason évoque l’image iconique de Laura Palmer dans Twin Peaks. L’ambiance à la lisière du fantastique et le paysage forestier feront aussi mention de la série de David Lynch et Mark Frost. Cette première saison utilise toute l’imagerie des teen shows : le lycée, les cheerleaders, l’équipe de football, le journal de l’école, le diner comme lieu de rassemblement après les cours… Dans ce contexte familier émergent des réminiscences d’autres séries, rappels plus ou moins directs, plus ou moins volontaires d’oeuvres bien connues.
Le triangle amoureux entre Archie, la blonde Betty et la brune Veronica renvoie à Dawson’s Creek ; le personnage de Cheryl n’aurait pas dénoté dans le paysage new-yorkais de Gossip Girl ; enfin, la voix off un peu sarcastique de l’outcast Jughead peut faire penser à Veronica Mars. Riverdale pique à droite à gauche sans encore souffrir du syndrome du cadavre exquis. Elle possède, pour la CW, un petit côté best of, puisqu’elle pourrait aussi bien rappeler Pretty Little Liars, en plus de Dawson’s Creek, Veronica Mars ou Gossip Girl, toutes diffusées sur la chaîne aux Etats-Unis.
You have failed Riverdale !
La fin de l’innocence ? Finies les bluettes adolescentes et autres histoires de coeurs, les choses sérieuses débutent à Riverdale. Un meurtre ne suffisait pas, la seconde saison ajoute une guerre des gangs (les Serpents face aux Ghoulies), un réseau mafieux (Hiram Lodge, le père de Veronica), un boogeyman moralisateur (le Black Hood) et un groupe de vigilantes mené par Archie. Un programme dense !
Plus urbain et moins scolaire semble être le maître mot de cette seconde saison. La série fait toujours dans la citation sans être aussi explicite que l’année passée. Au lieu d’investir dans un genre particulier, elle choisit d’en parasiter plusieurs. Riverdale n’emprunte pas à L’Equipé Sauvage ou Sons of Anarchy pour illustrer ses gangs mais en perpétuant certains archétypes, elle entretient l’imaginaire collectif. Le Black Hood renvoie autant aux slashers puritains des années 80 (Vendredi 13, etc…) qu’au tueur du Zodiac (les énigmes adressées à Betty). Avec Hiram Lodge, c’est la mythologie mafieuse que la série évoque, des Affranchis aux Soprano (toutes proportions gardées, l’un des parrains s’appelant Papa Poutine). De même que le groupe de vigilante d’Archie, le Red Circle, rappelle les heures de gloire de Charles Bronson (en moins violent et expéditif) et son Justicier dans la Ville.
Enfin le temps d’un épisode spécial, les auteurs décident d’offrir aux acteurs des numéros musicaux. L’atelier théâtre de l’école reprend ainsi en chanson, le roman de Stephen King (et l’adaptation de Brian de Palma) : Carrie. La musique a toujours pris une part importante dans la série, notamment avec Archie ou Josie et ses Pussycats, ponctuellement accompagnées par Veronica (l’actrice Camila Mendes partage régulièrement ses qualités de chanteuses dans ses stories Instagram), la présence d’un tel épisode est alors tout indiquée.
Prison Break et magie noire
Changement de décors et d’ambiance. Archie incarcéré, c’est au tour de la prison de passer par la moulinette des auteurs de Riverdale. Ambiance barreau, grillage, maton, mutinerie et compagnon de cellule pour la série plus si teen school. Bien sûr, au même titre qu’en deuxième saison, s’applique un filtre Riverdale qui lui permet de conserver une légère homogénéité. Il ne faut pas s’attendre à trouver du Oz dans l’arc narratif d’Archie mais les marqueurs narratifs du genre donnent ainsi l’impression de se trouver en terrain familier.
Bien que l’apprentie sorcière Sabrina Spellman n’apparaîtra pas dans cette troisième saison, Riverdale est tout de même aller chercher dans l’occultisme pour l’un de ses principaux arcs narratifs. Au menu, le Gargoyle King, entité mystérieuse et adepte de la magie noire, tout droit inspiré de l’équivalent riverdalien du jeu Donjons et Dragons (Griffons et Gargouilles dans la série). Les meurtres rituels survenus au début de la saison rappelleront ceux de True Detective, quand les célébrations païennes et autres interventions magiques semblent piocher du côté de True Blood. Enfin, cerise sur le pudding déjà bien chargé, la chronologie des événements impliquant les parents des héros, tend à suggérer une histoire de vengeance à la Souviens toi… l’été dernier.
Crise d'identité
Cette tendance à sauter de genre en genre montre l’envie de Roberto Aguirre-Sacasa et Greg Berlanti de ne pas tourner en rond. Seulement ce côté insaisissable, protéiforme et forcément un peu bordélique traduit aussi un manque de constance, d’une oeuvre qui se fabrique par rapport à. Il y a bien sûr l’idée, qu’aujourd’hui, une série “seulement adolescente” ne suffit plus : 13 Reasons Why aborde des sujets majeurs (harcèlement scolaire, viol,...), tout en conceptualisant sa narration ; Pretty Little Liars importait un grand mystère à résoudre dans un immense et ludique jeu de piste ; Vampire Diaries avait… des vampires. Des plus-values, des twists qui entendent sortir le genre adolescent d’une grille de lecture où tout a déjà été dit et bien.
Riverdale a choisi le post-modernisme, la mention directe ou indirecte, l’emprunt. Tous ses titres d’épisodes citent des films : Body Double, Death Proof, House of the Devil, There Will Be Blood, Prisoners, The Wrestler… Une liste qui chipe dans tous les genres, tous les types, du film d’auteur à la série B, du récent au classique, de l’horreur pur jus au drame carcéral. A l’image d’une série qui, à force de changer de genre finit par moment, à ne plus ressembler à rien.